Jacques Benillouche. Cet article m’a été inspiré à la suite d’une remarque d’un journaliste parisien qui m’a demandé si Israël n’était pas devenu la nouvelle Sparte.
Cette possibilité qu’un «quarteron de généraux» puisse arriver au pouvoir en Israël peut étonner, voire inquiéter les chancelleries internationales faisant croire à un pronunciamiento par lequel l’armée agit contre le gouvernement en place pour le renverser. Mais Israël est un pays spécial car il est en guerre depuis sa création. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui veulent l’éradiquer parce qu’il gêne au Proche-Orient. Donc, rien à voir avec un gouvernement de colonels qui prend le pouvoir par la force et qui impose une dictature sans concessions.
En plus des trente mois de service militaire obligatoire, des périodes militaires annuelles, souvent d’un mois pour les combattants et les anciens des troupes d’élite, sont instituées pour que la population se sente en permanence consciente de la défense nationale et que les civils ne perdent pas le contact avec la réalité du terrain militaire. Les filles sont astreintes à deux années de service militaire ou civil. Il n’y a pas plus populaire que cette armée qui voit d’ailleurs de nombreux exemptés la rejoindre pour ne pas faire tache, en particulier les religieux orthodoxes et à présent les Arabes qui ont compris que l’intégration à la nation passe par un petit don de soi. L’armée est aussi chargée de missions de police dans les territoires de Cisjordanie.
Par souci d’efficacité la rotation des militaires est obligatoire pour éviter les rentes de situation : pas plus de trois ans au même commandement et dans la même région et un rajeunissement systématique, pour éviter les généraux bedonnants, permet de maintenir un dynamisme permanent. Les officiers de carrière disposent de salaires attractifs pour favoriser une stabilité technique. Tsahal veut des hommes jeunes ; c’est pourquoi la plupart des militaires quittent l’armée active vers 50 ans, un peu plus pour les généraux de haut niveau. Ils sont très vite recasés à la tête d’industries militaires et civiles et souvent au sein des partis politiques qui ne peuvent attirer des électeurs que s’ils ont une crédibilité militaire pour un pays en guerre. Cela a l’avantage d’intégrer les militaires dans la vie de tous les jours et de ne créer aucune source de mécontentement pouvant mener à une révolte, voire un coup d’État. L’armée n’est pas un monde à part, disposant de privilèges mais une entité décisionnaire puisqu’elle participe chaque semaine au Cabinet de sécurité des principaux ministres.
Pendant les premières années de l’Israël historique et pionnier, le parti travailliste était au pouvoir et le haut commandement de l’armée était totalement affilié à ce parti. L’élite militaire vivait dans les kibboutzim laïcs et socialistes. Après la victoire en 1977 du dirigeant de droite, Menahem Begin, le camp national-religieux s’intégra dans les échelons supérieurs de l’armée sachant qu’à présent 40% des nouveaux officiers portent la kippa. La droite nationaliste trouve ainsi des alliés parmi les chefs militaires et une oreille attentive.
Israël est habitué à voir des anciens militaires au sommet de l’État. D’ailleurs ils ont souvent marqué l’histoire du pays. Ehud Barak, le soldat le plus décoré de l’histoire d’Israël, Yitzhak Rabin le vainqueur de la Guerre des Six-jours en 1967 et le signataire des accords d’Oslo, Ariel Sharon le sauveur de la guerre du Kippour de 1973 et celui qui imposa le désengagement de Gaza, se sont lancés dans la politique après avoir quitté l’armée. Des généraux au pouvoir ne choquent pas, au contraire ils rassurent. Certains sont des colombes notoires comme l’ancien commandant en chef de la marine, Ami Ayalon, qui a agi en collaboration avec le palestinien Sari Nussibeh, philosophe et universitaire palestinien, pour initier une paix durable, en vain.
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