Les dirigeants israéliens évoluent plus dans un environnement simplement « turbulent ». Ils avancent désormais dans ce que l’historien britannique de l’économie Adam Tooze appelle la polycrise : un système où de nombreux chocs – géoéconomiques, climatiques, logistiques, inflationnistes, technologiques – interagissent et se renforcent. Ce ne sont plus des événements isolés mais des phénomènes systémiques qui s’amplifient mutuellement, et provoquent un brouillard stratégique.

XERFI. (COPYRIGHTS). Quand tout se dérègle en réseau

Dans ce contexte, toute décision — un investissement, un lancement produit, une transition numérique — est prise dans un maillage serré d’interdépendances. Une tension géopolitique fait flamber l’énergie ; cette flambée fragilise vos fournisseurs ; ces fragilités se répercutent dans vos délais, vos prix, vos ventes. La rupture ne suit plus une logique sectorielle : elle se propage en cascade.

Le mirage du contrôle total

Face à ce chaos, la tentation est de multiplier tableaux de bord, indicateurs, simulations. Pourtant, comme l’a montré le psychologue et économiste Daniel Kahneman, prix Nobel pour ses travaux sur les biais cognitifs, nous surestimons partout notre capacité à prévoir l’avenir. Cette hypertrophie du contrôle fabrique des organisations rigides, incapables d’absorber les chocs pour lesquels elles n’ont pas été conçues.

L’IA, alliée à double tranchant

L’intelligence artificielle semble offrir une issue de secours : elle promet de mieux anticiper, de décider plus vite, d’optimiser partout. Mais Geoffrey Hinton, pionnier du deep learning et prix Turing, rappelle qu’elle peut aussi amplifier les erreurs, rendre opaques les décisions et diffuser des informations fausses à grande vitesse. Un dirigeant qui sur-délègue à l’IA ne gagne pas en maîtrise : il s’aveugle simplement sur le niveau de risque.

Le cyberespace comme champ de bataille

Quant au piratage c’est devenu un risque stratégique majeur capable de paralyser une usine, de voler une base clients ou de ruiner une réputation en quelques heures. Dans un monde numérisé, la polycrise se propage aussi par les réseaux.

Passer de la performance à la résilience

La vraie question stratégique n’est plus : « comment optimiser le scénario central ? », mais : « combien de chocs successifs l’organisation peut-elle encaisser ? ». Diversifier fournisseurs, talents et canaux, réduire les dépendances critiques, accepter des redondances coûteuses : la capacité de résilience devient un choix structurel.

Changer de récit stratégique

Adam Tooze éclaire la mécanique des chocs en chaîne, Kahneman révèle nos angles morts décisionnels, Hinton et bien d’autres pointe les dérives possibles de l’IA : mis bout à bout, leurs alertes imposent un nouveau type de dirigeant. Non plus des gestionnaires d’équilibres stables, mais des bâtisseurs inquiets et pragmatique d’organisations capables d’absorber, détourner et transformer les chocs sans s’effondrer.

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