En France, on oppose souvent justice sociale et compétitivité, redistribution et croissance, État et entreprise. Et si cette opposition n’était qu’un faux dilemme ? Car ailleurs, certains pays parviennent à conjuguer équité et efficacité.

Leur nom est devenu presque un mythe : le modèle nordique. Leur point de convergence, au-delà de leur proximité géographique, est d’être de véritables paradoxes économiques. Danemark, Suède, Finlande, Norvège : des impôts records, mais aussi une prospérité, une innovation et une cohésion sociale que beaucoup envient. Dans ces pays, la pression fiscale dépasse souvent 42% du PIB, soit un niveau nettement supérieur à la moyenne des autres pays européens, mais le chômage reste bas (notamment au Danemark et en Norvège), la productivité élevée et les inégalités contenues. Un paradoxe ? Non. Une architecture cohérente.

Une fiscalité conçue comme levier de compétitivité

La structure fiscale est conçue pour renforcer la compétitivité. Elle repose sur un taux de TVA nettement plus élevé qu’en France — supérieur de cinq points ou davantage — combiné à des cotisations sociales allégées : du côté des charges patronales, l’écart moyen avoisine 20 points et dépasse même 40 dans le cas particulier du Danemark, où ces cotisations sont quasi inexistantes. Du côté des charges salariales, l’écart reste lui aussi considérable, autour de 15 points en moyenne. La mécanique est la suivante : Les entreprises récupèrent la TVA et n’en supportent pas le coût, tandis que la baisse des cotisations réduit leurs coûts de production. Au final, leurs prix hors taxe diminuent, leurs exportations gagnent en compétitivité et les importations — privées de cet avantage — deviennent relativement plus chères.

Une justice sociale pensée comme investissement productif

Dans les pays scandinaves, la justice sociale n’est pas une compensation, mais un investissement. L’éducation gratuite, la santé universelle, la formation continue ne sont pas des charges, mais des moteurs de productivité. En soutenant les compétences, le modèle nordique transforme la dépense publique en capital humain. C’est la « justice efficace ». À l’inverse, ces pays savent que sans efficacité économique, la redistribution n’a plus de base. Le marché est donc assumé. Les entreprises sont libres, les syndicats puissants mais responsables, et les négociations sociales évitent les blocages. C’est le cœur de la « flexicurité » : flexibilité pour l’employeur, sécurité pour le salarié. L’un finance l’autre. Ce qui rend ce système possible, c’est la confiance. Confiance dans l’État, dans la transparence des dépenses, dans l’usage de l’impôt. Là où le citoyen français voit un prélèvement, le Suédois voit une contribution. Ce capital moral vaut autant que le capital financier.

Un modèle sous pression et une leçon pour la France

Mais ce miracle nordique a ses fissures. L’homogénéité culturelle qui le rend possible s’effrite avec la mondialisation et l’immigration. Le vieillissement pèse sur le financement. Et la transition écologique commence à fragiliser un modèle fondé sur des industries intensives en ressources. Les inégalités patrimoniales, discrètes mais croissantes, inquiètent aussi. Transposer ce modèle en France supposerait de changer non seulement les règles, mais aussi les mentalités : la relation à l’impôt, à la négociation, à la transparence. Les institutions nordiques fonctionnent parce qu’elles reposent sur une confiance que ni la technocratie ni la défiance hexagonale ne favorisent. La leçon venue du Nord est limpide : le modèle scandinave n’est pas un miracle, mais une méthode. Il prouve qu’une économie peut être à la fois juste et performante, à condition d’investir dans la compétence, la transparence et la confiance. Ce que les pays nordiques ont compris, c’est que l’équité n’est pas un coût, mais une stratégie. Reste à savoir si la France veut l’appliquer… ou simplement l’admirer.

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