La photographie annuelle dressée par l’Institut israélien de la démocratie sur la société harédie est nette : la dynamique démographique est spectaculaire, mais les indicateurs d’intégration avancent beaucoup plus lentement, surtout du côté des hommes. Publié alors qu’Israël débat d’une nouvelle législation sur la conscription, le rapport met en lumière un décalage de plus en plus difficile à ignorer entre la croissance du groupe et sa participation aux grands mécanismes économiques et civiques du pays.
Premier constat : la population ultra-orthodoxe atteint environ 1,45 million de personnes, soit 14,3 % de la population israélienne. Sa structure d’âge est singulière : 57 % ont moins de 19 ans, ce qui fait de cette société l’une des plus jeunes au monde. Cette jeunesse s’explique par une fécondité élevée, estimée autour de 6,5 enfants par femme. Une telle pyramide des âges agit comme un multiplicateur de besoins : davantage de classes, d’enseignants, de services sociaux, mais aussi, à terme, davantage d’entrants sur le marché du travail.
C’est précisément là que le tableau devient contrasté. Sur le plan économique, l’emploi des hommes harédim stagne depuis une décennie, oscillant autour de 50–55 %. Les femmes suivent une trajectoire différente : leur taux d’emploi a continué à progresser et se situe désormais à un niveau proche de celui des femmes juives non harédies. Pourtant, même lorsque l’emploi progresse, les revenus restent nettement inférieurs à ceux du reste de la population juive, pour les deux sexes, ce qui pèse sur le niveau de vie et sur les ressources publiques mobilisées.
Le rapport souligne aussi l’essor de l’appareil éducatif ultra-orthodoxe : environ 420 000 élèves en 2024. Dans l’enseignement post-secondaire religieux, la progression est encore plus marquée : les effectifs en yeshiva et kollel ont augmenté d’environ 83 % en dix ans, atteignant près de 169 500. Une baisse apparente en 2024 s’explique par des critères de financement : des dizaines de milliers de jeunes en âge de conscription ne sont pas comptabilisés dans certains décomptes. Côté compétences générales, le taux de réussite au bagrout a bien progressé (de 10 % à 16 %), mais demeure très loin des niveaux constatés dans l’enseignement public et public-religieux.
Enfin, sur la question sensible du service, 3 060 diplômés harédim se sont engagés en 2024, un chiffre quasi stable sur dix ans, ce qui signifie une baisse en proportion compte tenu de la croissance démographique. Autre signal : plus de la moitié des engagés intègrent des filières générales, suggérant que certains ne se définissent plus comme ultra-orthodoxes au moment de l’enrôlement.
Sur le plan social, 33 % des familles harédies vivent sous le seuil de pauvreté (contre 14 % chez les familles juives non harédies), tandis que 75 % possèdent un logement, un taux légèrement supérieur au reste du public juif.
Dans ce contexte, il faut aussi rappeler un élément central du mode de vie harédi : pour une large partie des hommes de ces communautés, l’étude de la Torah n’est pas une activité parmi d’autres, mais une priorité structurante, parfois vécue comme une mission spirituelle et collective. Le travail salarié, quand il existe, peut alors être envisagé comme un moyen pragmatique — gagner de quoi faire vivre le foyer, stabiliser le budget, améliorer le quotidien — plutôt que comme un objectif d’accomplissement personnel ou de carrière. Autrement dit, même si la réalité varie d’une famille à l’autre, le choix de vie revendiqué par beaucoup met l’accent sur l’apprentissage religieux et la continuité des institutions d’étude, tandis que l’emploi peut rester volontairement limité au “minimum nécessaire”, parce que l’ambition principale n’est pas professionnelle, mais spirituelle, conformément aux valeurs qu’ils ont choisies.
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