Double smartphone, écouteurs sans fil, ChatGPT: comment les élèves réinventent la triche au collège et au lycée.
Dans l’enseignement secondaire, les nouvelles technologies ont permis de faire éclore de nouveaux moyens de gruger lors des évaluations et examens. Sans pour autant faire disparaître les bonnes vieilles méthodes.
Petits papiers planqués au fond de la trousse ou roulés dans le tube du stylo quatre couleurs, yeux qui traînent sur la copie du voisin en pleine évaluation… Quand il s’agit de tricher, certaines techniques qui ont fait leurs preuves il y a plusieurs décennies continuent de rencontrer un franc succès auprès des élèves de collège ou de lycée. Mais parce qu’à la manière des cyclistes dopés, il est important de toujours garder une longueur d’avance sur celles et ceux qui surveillent et sanctionnent, les élèves les plus enclins à la gruge sont sans cesse à la recherche de nouvelles combines.
Pour les membres de la trichosphère, l’avènement du smartphone puis l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) dans notre quotidien ont marqué des étapes capitales. Face à des surveillants peu attentifs, planquer son téléphone dans sa trousse ou sur sa cuisse a permis à un grand nombre d’adolescents d’effectuer quelques requêtes bien senties sur un moteur de recherche ou de pouvoir consulter leur cours préalablement photographié.
Tours de passe-passe
C’est un fait: les tricheurs sont des gens inventifs. «On a beau savoir que les élèves utilisent leur smartphone pour tricher, on se fait encore avoir, constate Paloma*, professeure d’anglais dans un lycée général et technologique de la Loire. Même l’été, des types en short et t-shirt à manches courtes arrivent apparemment à planquer leur portable. Je ne sais pas comment ils font.» Les plus forts reprennent à leur compte les grands trucs des illusionnistes: l’idée principale est de détourner l’attention pour pouvoir accomplir tranquillement son tour de passe-passe –ou bien de disposer d’un ruban adhésif de qualité.
«Avec certains profs, il n’y a pas besoin de forcer son talent, rappelle cependant Antoine, lycéen à Angers (Maine-et-Loire). Pendant les évaluations, il y en a qui restent planqués derrière leur bureau du début à la fin. S’ils ne font pas leur boulot, c’est normal qu’on en profite.» Antoine le confesse: il triche souvent et depuis longtemps. Il adapte les techniques et les supports utilisés au type d’évaluation et au profil de la personne qui surveille. «Souvent, une feuille d’antisèches glissée dans la copie double ou un téléphone planqué dans la trousse, ça passe crème. Les trois quarts des profs ne quittent pas leur estrade. Souvent, ils sont sur leur téléphone ou ils corrigent des copies.»
En réaction, les enseignants sont de plus en plus nombreux à interdire la présence de la trousse sur la table. «Le jour du bac, on demande aux élèves de sortir leurs stylos et de ranger leur trousse dans leur sac, résume Anne, qui enseigne l’histoire-géographie à des collégiens et des lycéens dans les Hauts-de-Seine. Ça m’a semblé tout à fait logique de faire pareil pendant les devoirs surveillés et j’ai même commencé à étendre ce principe à l’ensemble de mes séances, évaluation ou pas: ça permet d’éviter les portables planqués.» Pendant la dernière Coupe du monde de foot, en décembre 2022, Anne se souvient avoir attrapé un lycéen qui ne trichait pas, mais regardait un match sur son smartphone en toute clandestinité.
Téléphone en rab et appel à l’IA
«À part quelques-uns qui s’en foutent, les profs sont beaucoup plus au taquet sur nos téléphones, reconnaît Antoine. Depuis un an ou deux, on doit leur montrer que nos poches sont vides et qu’on les a rangés dans nos sacs. Certains profs ont même des “boîtes à téléphone” pour qu’on les range pendant les heures de cours et les évals.» Une parade s’impose alors, de plus en plus généralisée: celle du double téléphone, une méthode que n’auraient pas reniée les héros du film Les Sous-doués (1980).
«C’est pas très compliqué, avoue Leslie, lycéenne à Morlaix (Finistère). Tu récupères un vieux smartphone inutilisable et c’est lui que tu donnes à la prof quand elle te le demande. Comme ça, tu as toujours le tien bien planqué quelque part.» Même son de cloche chez Ben, également lycéen, à Paris, qui avertit cependant les élèves qui voudraient tester cette méthode: «Les profs se parlent entre eux, ils se refilent nos techniques. Le problème avec les méthodes populaires, c’est qu’à un moment, ça commence à se savoir et qu’il faut trouver autre chose.»
De toute façon, il ne suffit pas de planquer son portable pour réussir son opération triche. «Que ce soit dans le cadre des devoirs à la maison ou des évaluations réalisées en cours, les élèves sont de plus en plus nombreux à passer par ChatGPT», concède Margot, conseillère principale d’éducation dans une cité scolaire en Picardie. «Ça va super vite, confirme Antoine. Tu prends une photo du sujet du devoir, même pas besoin de tout taper, et hop tu obtiens une réponse en cinq secondes.»
Mais voilà, recopier ce qui apparaît à l’écran sur sa feuille, c’est prendre le risque de se faire repérer, y compris au moment de la correction. «L’an dernier, j’ai reçu dans mon bureau tellement d’élèves qui avaient tout pompé sur une IA, poursuit Margot. Ils utilisent des mots savants qu’ils ne connaissent pas et c’est pire dans une matière comme les maths, où c’est immédiatement grillé. ChatGPT a fait de gros progrès, mais il ne maîtrise pas encore parfaitement toutes les notations mathématiques. Donc pour “bien tricher”, il faut adapter un peu. Ce que la plupart des élèves ne font pas.»
Il faut tout de même pas mal d’inconscience (ou des profs vraiment inattentifs) pour prendre le temps de recopier minutieusement sur sa copie des pages et des pages d’écran de smartphone. Lisa, lycéenne dans le Haut-Rhin, ne prend plus ce risque: «J’ai failli me faire choper plusieurs fois, c’est terminé pour moi.» Pour les évaluations qui en valent la peine («celles avec des gros coefficients ou avec plein de formules ou de dates à apprendre»), elle se prépare dès la veille.