Israël met au point un test sanguin qui pourrait faciliter le traitement de la dépression.
Fondée par deux neuroscientifiques, NeuroKaire affirme que sa nouvelle technologie, assistée par l’IA et qui utilise des cellules souches pour répliquer le tissu cérébral, permet de tester et sélectionner les meilleurs traitements
Ce tout nouveau test sanguin, co-créé par les docteures Talia Cohen Solal et Daphna Laifenfeld, toutes deux membres de la start-up israélienne de technologie de santé NeuroKaire, se présente comme une plate-forme de traitement personnalisé des troubles mentaux.
Guidés par les résultats de ces tests, les cliniciens et psychiatres pourront déterminer quel est le traitement le plus adapté à l’état de santé de chaque patient.
« Pendant trop longtemps, les patients atteints de dépression ont dû endurer bien des tâtonnements avant de finir par trouver un traitement efficace », explique Cohen Solal au Times of Israel.
« Dans un tiers des cas, l’état de santé du patient s’améliore partiellement ou totalement alors même qu’il est toujours en train de tester le meilleur traitement. Et dans près de deux tiers des cas, les médecins doivent changer de traitement ou ajuster la posologie, et ce à plusieurs reprises. »
« En règle générale, ces tâtonnements en vue d’identifier le bon traitement pour un patient souffrant de dépression peut prendre de 12 à 18 mois. Nous faisons tomber ce chiffre à deux mois », assure-t-elle.
Le test sanguin est disponible en Israël et aux États-Unis depuis cette semaine, mais cette nouvelle technologie requiert davantage de recherches et de données issues d’essais pour établir sa réelle efficacité, estime le professeur Mark Weiser, chargé du département de psychiatrie du centre hospitalier Sheba et qui a pris part aux tests.
« Cette combinaison unique de cellules souches, de génomique et d’IA – la marque de fabrique de NeuroKaire – est un sacré pas en avant par rapport à la pharmacogénétique traditionnelle. C’est très prometteur même s’il est encore trop tôt et qu’il faudra davantage d’essais cliniques de grande envergure, avec des cohortes de centaines de patients, pour comparer les résultats avec des populations témoins et améliorer la précision de l’outil », explique Weiser.
L’outil de dépistage sanguin de NeuroKaire, BrightKaire, a récemment reçu l’approbation réglementaire des Centers for Medicare & Medicaid Services aux États-Unis, ce qui en fait le premier test clinique basé sur des neurones dérivés du sang, affirme la start-up. Il a donc été mis à la disposition des médecins et des patients, en Israël comme aux États-Unis, pour la somme de 1 000 dollars.
Le test est remboursé par plusieurs régimes d’assurance premium et privés aux États-Unis et en Israël, dont Medicare Part B, souligne Cohen Solal.
« Nous avons actuellement une centaine de psychiatres prescripteurs actifs », précise-t-elle.
Cohen-Solal et Laifenfeld ont des dizaines d’années d’expertise universitaire en matière de recherche sur le cerveau et la médecine personnalisée.
Cohen Solal a passé une dizaine d’années à étudier les troubles psychiatriques à l’Université d’Oxford, à l’University College de Londres ainsi qu’à l’Université Columbia.
Mme Laifenfeld a travaillé dans le domaine de la recherche sur le cerveau au Technion, en Israël, et à l’Université Harvard, aux États-Unis, et possède plus de 20 ans d’expérience en médecine personnalisée, notamment en tant que responsable de la médecine de précision chez Teva Pharmaceuticals Industries.
Les deux neuroscientifiques se sont rencontrées lorsque Cohen Solal a quitté les États-Unis pour venir s’installer en Israël, en 2017 ; elles ont décidé d’unir leurs forces pour fonder NeuroKaire en 2018, dans l’idée de développer un test personnalisé plus précis utilisable par les cliniciens pour choisir le traitement médicamenteux optimal pour les patients souffrant de dépression.
Dans un premier temps au sein de BioGiv, un incubateur pour jeunes startups situé sur le campus Givat Ram de l’Université hébraïque de Jérusalem, Cohen Solal et Lifshitz-Leipnfeld ont développé un test basé sur le modèle du « cerveau dans une boîte », avec des cellules souches fabriquées en laboratoire à partir de l’échantillon de sang d’un patient grâce à la technologie des cellules souches.
Ensuite, l’équipe de recherche et développement de NeuroKaire transforme les cellules souches en neurones cérébraux frontaux – la région du cerveau la plus impliquée dans la maladie mentale et la dépression – sur lesquels ils testent 70 antidépresseurs afin de déterminer le médicament ou la thérapie combinée la plus efficace pour chaque patient.
À l’aide d’une plateforme d’IA propriétaire utilisée pour analyser les données personnalisées, à commencer par les données génétiques d’un patient, ses antécédents médicaux et la micro-imagerie neuronale, le test produit un rapport détaillant la réaction du patient à divers médicaments assortie de la probabilité d’effets secondaires.
« La dépression se traduit par une connectivité réduite au niveau du cerveau, ce qui s’exprime le plus souvent par un manque de motivation », explique Cohen Solal.
« Avec notre réplication de cerveau, nous pouvons voir ce qui se passe au niveau cérébral et analyser la façon dont les neurones se connectent ou communiquent après une exposition aux antidépresseurs. Ce qui nous permet, par une analyse quantitative, d’en déduire la force avec laquelle un médicament affecte la connectivité au sein des échantillons. »
« Notre technologie de réplication cérébrale vous dit non seulement si le médicament passe du foie au cerveau, mais aussi ce qu’il fait dans le cerveau et s’il fonctionne », souligne Cohen Solal avant de préciser que la startup a validé sa technologie lors d’essais cliniques de diagnostic sanguin en Israël en collaboration avec le centre hospitalier Sheba de Ramat Gan et du centre de santé mentale Geha de Petah Tikva.
Aux États-Unis, des essais ont été menés à l’hôpital Jefferson de Philadelphie, en collaboration avec le National Institute of Mental Health. Par ailleurs, NeuroKaire a noué des partenariats avec les sociétés de biotechnologie israéliennes Clexio et Neurosense.
« Ces deux dernières décennies, nos connaissances en matière de génétique humaine et de biologie du cerveau ont progressé comme jamais mais elles restent limitées », souligne M. Weiser. « Ce qui implique que lorsqu’un patient vient se faire prescrire un traitement, il n’existe pas de test biologique capable de nous dire s’il faut prescrire du Prozac ou un autre antidépresseur. C’est la consultation et les impressions cliniques qui nous guident. »
Weiser rappelle que d’autres entreprises ont, par le passé, développé des tests sanguins basés sur les gènes pour trouver les meilleurs traitements médicamenteux pour la dépression, mais sans jamais parvenir à une validation satisfaisante.
En 2023, NeuroKaire s’est développé aux États-Unis et a ouvert un laboratoire commercial, avec son centre de R&D, qui emploie 25 personnes, installé à Tel Aviv.
À ce jour, la startup a levé 25 millions de dollars auprès d’investisseurs en capital-risque, dont GreyBird Ventures, Meron Capital, Jumpspeed Venture Partners et Sapir Ventures.
« Israël a des doctorats fantastiques en sciences de la vie et en neurosciences, ce qui est parfait pour attirer d’excellents scientifiques en R&D », ajoute Cohen Solal. « La guerre nous impose aussi de lancer cet essai ici aussi, et nous sommes très heureux de pouvoir apporter notre contribution en cette période de fort besoin. »
Un rapport publié par le bureau du contrôleur d’État cette année a révélé que près de 3 millions d’Israéliens adultes souffriraient de trouble de stress post-traumatique, de dépression ou d’anxiété, conséquences directes du massacre du 7 octobre 2023 commandité par le Hamas dans le sud d’Israël et de la guerre qui s’en est suivie à Gaza.
« De nombreux médicaments sont efficaces pour la dépression et le symptôme de stress post-traumatique », souligne Cohen Solal. « Les médecins peuvent également utiliser notre outil pour choisir le meilleur médicament contre les troubles de stress post-traumatique. »
« Nous allons bientôt constituer des cohortes de patients atteints de troubles de stress post-traumatique afin de valider également notre outil pour ce type de pathologie », ajoute-t-elle.
Cohen Solal précise que la dépression est la première indication, mais qu’à l’avenir, des tests pour d’autres affections neurologiques utiliseront cette méthode.
« NeuroKaire s’est donné pour mission de mettre la médecine de précision au service du cerveau », conclut-elle. « L’an prochain, nous commencerons nos études sur le TDAH. C’est notre prochain chantier. »
Times of Israel
