L’UE choisit Israël pour sa cyberprotection sur son flanc Est, le Cyber-Dôme est né

La guerre des Douze Jours avec l’Iran a posé la première pierre de la cyberguerre du XXe siècle. Il n’y avait nul besoin d’un salon spécialisé. La démonstration in situ, au Moyen-Orient, a très utilement remplacé le salon professionnel.

L’UE avait déjà fait un choix stratégique dès 2023 lorsque Berlin a passé commande du système Arrow 3 de défense anti-aérienne pour son flanc Est face à la Russie.

Un premier scoop, Israël et Berlin viennent de conclure un « pacte de cybersécurité » : le Dôme de fer a désormais un petit frère qui résidera aussi en Europe. De quoi s’agit-il concrètement ?

C’est une coopération sur deux plans

  • La cyberdéfense face à la multiplication des attaques de toutes origines connues et inconnues, et contre les drones,
  • ainsi qu’un renforcement dans le domaine du renseignement.

Par commodité de compréhension, on l’appelle le Cyber Dôme.

Les antécédents

On savait dejà qu’une coopération sur le plan militaire existe depuis les années 50. Il s’agit ici d’un grand pas supplémentaire et inédit. Devant l’augmentation des risques et l’irruption de l’intelligence artificielle dans la guerre moderne – voir les 12 jours qui ont bouleversé le Moyen-Orient – cet accord, qui ne pouvait qu’être en préparation depuis un certain temps, n’est certainement pas une pure coïncidence.

Il vient souligner qu’Israël est bien la vigie avancé de l’Europe, dont elle devient de facto partie intégrante, bien que située à quelques milliers de kilomètres. Les nouveaux moyens mis en œuvre par Israël ont démontré que la distance est abolie.

Depuis les années 1990, l’objectif de la Bundeswehr était d’exploiter l’expérience opérationnelle de Tsahal, en vue de sa transformation comme force d’intervention sur des théâtres d’opérations extérieurs. Il faut rappeler qu’avant la guerre d’Ukraine, l’Allemagne n’avait pas formellement d’armée offensive. Depuis, pour le Chancelier F. Merz : « elle doit devenir la première force conventionnelle en Europe. »

Déclaration reprise régulièrement à Berlin. Le chancelier a été le seul en Europe à souligner que « c’était bien Israël qui faisait le sale boulot pour les autres ».

Israël, de par sa situation géopolitique unique, a développé une industrie militaire, dans laquelle les entreprises privées et les développements militaires sont intriqués. Les personnels des uns rejoignent l’industrie privée et des relations étroites sont ainsi créées et constituent un moyen supplémentaire d’accélérer les projets. C’est ce qui permet sans doute la rapidité des recherches et leurs résultats sur le terrain. De plus une collaboration entre Israël et les États-Unis n’a fait qu’amplifier ce processus. Cette année le salon du Bourget est devenu une annexe du théâtre des opérations déplacées au Moyen-Orient.

Ce que comporte la cybersécurité, partie constitutive de l’accord, et plus largement la cyberguerre, comme les récentes interventions d’Israël, au Liban, en Iran et ailleurs, l’ont démontré. Il faut y inclure notamment :

  • le cyber sabotage,
  • la surveillance des individus, tant en situation de conflit qu’en matière de sécurité intérieure.

L’IA est désormais totalement intégrée aux responsabilités et moyens d’action des États-majors. Sans que cela soit officiellement ou explicitement proclamé, l’unité 8200 israélienne, à la pointe des technologies, utilise l’IA couramment.

Un accord pour quoi faire ? Intégrer totalement le changement de paradigmes

Durant sa visite fin juin, le ministre allemand de l’Intérieur Alexander Dobrindt a précisé les priorités de Berlin :

  • D’abord la cyberdéfense, quand on sait à quel point la république fédérale, en matière de défense civile, a décidé de diverses mesures en cas de conflit. On n’en sait pas plus sur les aspects offensifs susceptibles de figurer dans cet accord. On pense aux bipeurs, aux téléphones portables et à la technologie requise.
  • Ce pacte sécuritaire prévoit la création d’un centre de recherche commun.
  • La défense contre les drones est un sujet de grande importance, quand on observe ce qui se passe actuellement dans le conflit ukrainien à nos portes et ce qui s’est passé au Moyen-Orient.
  • Un aspect qui concerne tous les pays de l’UE également : le système israélien gradué d’alerte des populations en cas d’attaque de missile ou autres engins aériens.

Israël, partenaire de l’UE en matière de renseignements : les faits sont têtus

L’accord stipule un renforcement explicite en matière de renseignement et cite le Mossad et le BND, son homologue allemand. Ceci impliquera nécessairement les services des autres pays européens, notamment en matière de terrorisme et d’autres trafics.

Ces mesures constituent un élargissement majeur des relations avec l’Union Européenne

En effet, on ne peut faire preuve d’hypocrisie et détourner le regard en feignant de croire qu’il ne s’agit que de l’Allemagne, voire de la Roumanie (avec des fonds européens). Qui dit Allemagne, comprend UE, sauf à nous démontrer le contraire. Aucune rupture des relations entre l’UE et Israël ne peut être décidée, sauf un vote à l’unanimité, ce qui s’avère impossible. Et ceux qui le réclament le savent parfaitement, tout en prenant cette posture.

Quelle défense pour l’UE et l’OTAN en Europe.

Pour mémoire, en 2024, 54% des exportations israéliennes de matériels militaires sont allés vers l’Europe. Ce qui en dit long sur la coopération existante, nonobstant les déclarations et gesticulations par ailleurs.

Le renforcement bilatérale des relations entre Berlin et Jérusalem n’est pas sans mettre en lumière les très grandes divergences d’analyse entre les grands pays au sein de l’UE et des membres européens de l’OTAN. On ne parle pas encore de la lutte d’influence entre Turquie et Israël concernant la Syrie, mais le sujet est sur la table et chaque partie veut essayer d’évincer l’autre, a minima la contenir si possible.

Entre temps on apprend un second scoop, qui reste cependant à confirmer

La Roumanie aurait décider de passer commande pour environ 1,9 milliard d’euros du système de défense anti-aérienne Spyder système mobile V/SHORAD (défense très courte et courte portée) utilisant des missiles Python‑5 (~40 km) et Derby (~80 km) selon plusieurs sources.

Le Spyder se distingue par sa configuration « all‑in‑one » : radar, détecteur électro‑optique, lanceur et unité C2 embarqués sur un même véhicule défence. Aucune contestation n’a été déposée, la signature du contrat serait donc une « formalité ».

Objectif stratégique

Le remplacement du vieillissant système Hawk est un succès pour Rafael et l’industrie israélienne. Ce contrat serait le deuxième plus important jamais signé par une entreprise de défense israélienne (après Arrow 3 à l’Allemagne).

La défense européenne mise en question

On doit s’attendre à des débats internes vifs entre pays de l’UE et ceux de l’OTAN. Israël se trouve déjà en bonne position au vu de son implantation en Europe. On ne change pas de cheval au milieu du gué.

Les deux choix faits par Berlin et Bucarest (à venir) sont stratégiques. Ils posent instantanément la question de l’homogénéité de la défense. On ne peut pas atteler un zèbre et un cheval dans le même attelage, serait-ce même un pur-sang

On ne doit pas perdre de vue que dans les nouvelles conditions régissant le fonctionnement de l’OTAN – contre la demande française, plusieurs pays, dont l’Allemagne et la Pologne, ont obtenu d’acheter jusqu’à 35% de leurs équipements à l’étranger, alors que Paris demandait une limitation à 15%, pensant bien entendu à sa propre industrie militaire. La défense n’entre pas dans les attribution de la commission européenne. Chaque état reste souverain dans ses décisions.

La bataille des egos

La bataille politique n’en sera sans doute que plus rude. Dans ce rapport de force, Berlin dispose de tous les atouts que Paris n’a pas dans sa situation actuelle. Au-delà du duel franco-allemand, il faudra également prendre en compte la position de plusieurs autres pays, ceux capables de constituer une force militaire, même à petite échelle. À ce rythme et dans ces conditions, une défense homogène européenne n’est pas pour demain, sauf si la raison l’emportait sur les egos individuels et collectifs, là où le mythe remplace la réalité.

Ainsi va le monde…

à propos de l’auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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Soufisme vs djihadisme : l’arme ultime, l’exception marocaine

Al-Sufi représenté dans "L'hémisphère céleste nord" d'Albrecht Dürer, 1515, gravure sur bois, Rosenwald Collection. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 4.0)

Al-Sufi représenté dans « L’hémisphère céleste nord » d’Albrecht Dürer, 1515, gravure sur bois, Rosenwald Collection. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 4.0)

« Je me méfie de tous les -ismes » écrivait André Gide.

Le soufisme sera-t-il l’arme spirituelle, l’antidote qui permettrait d’endiguer les vagues mortifères du salafisme, du djihadisme, de l’islamisme, de l’intégrisme, du fondamentalisme et du frérisme qui envahissent le monde occidental ? Rien n’est moins sûr. En effet, leur masse est très largement supérieure à celle des Soufis en pays d’Islam. Il reste cependant une lueur d’espoir quand on découvre comment le souverain chérifien a su préserver cette voie étroite et controversée, même en terre musulmane.

Sa Majesté Mohamed VI a peut-être trouvé un remède à la propagation de l’extrémisme religieux, à défaut d’une arme radicale. La question est posée : bien que toutes ces tendances soient issues de l’Islam, la haute spiritualité peut-elle efficacement combattre ses dérives qui sème la mort ?

Tous les visiteurs du Maroc connaissent Marrakech, mais peu savent que la ville a également sept saints patrons soufis qui confèrent à la ville son statut de lieu de spiritualité. Le plan de Moulay Ismail (1672-1727), héritier d’une tradition de pèlerinages concurrencée par la tribu berbère des Regraga, a fonctionné à travers les siècles. Il renforça la présence de centres soufis, les zawyas, autour d’Essaouira.

Illustration : Festival de Fès de la Culture Soufie, lundi 11 octobre 2021. (Crédit : Youtube / Capture d’écran)

Contrairement à la tribu berbère, les sept saints ainsi que la famille royale sont d’origine arabe. Ce pèlerinage a attiré de très nombreux visiteurs religieux, qui ont donné une dimension spirituelle à la ville et contribué à son développement économique.

Le pèlerinage, qui traditionnellement durait sept jours sur les sept tombes des saints, est peu suivi de nos jours. L’une des tombes est située dans le sanctuaire de Sidi Ben Slimane El Jazuli, connu dans tout le Maghreb. Un autre mausolée également célèbre est celui du tombeau de Sidi bel Abbes.

À partir des Xe et XIe siècles, des confréries soufis se sont établies au Maroc.

L’un des soufis le plus connu et influent fut Abou al Hassan al Shadili qui fonda l’ordre des Shadhiliyya, très répandu en Afrique du Nord. Un autre grand érudit soufi Ahmed al Tijani, dont la tombe se trouve à Fès, fonda la Tijaniyya. Autant de lieux qui maintiennent la tradition des pèlerinages.

Cette présence a permis le développement d’une forme de soufisme populaire incarnée par les marabouts, réputés saints hommes, qui eux-mêmes participent aux pèlerinages.

L’extrémisme au Maroc est en corrélation directe avec le niveau de chômage très élevé des jeunes qu’on évalue à 40% et qu’on retrouve dans tout le Maghreb. On relèvera aussi que nombre d’auteurs d’attentats en France sont originaires du Maghreb.

L’Arabie Saoudite a très longtemps financé la diffusion du wahhabisme au Maghreb grâce à ses moyens considérables. On n’a pas oublié les attentats de Casablanca et de Marrakech des années 2000.

Le roi du Maroc, chef religieux de son pays, a favorisé la promotion des confréries soufis et des penseurs islamiques modérés. Il considère que c’est une des façons de lutter contre l’intégrisme. Ce qui ne va pas sans difficulté, car la voie soufie reste une voie individuelle, dont l’effet collectif est difficile à mettre en œuvre. Certains peuvent y voir un parallèle avec la voie kabbaliste, que très peu d’individus peuvent suivre sans pouvoir la partager.

Le ministre marocain des Affaires religieuses, Ahmed Toufik (à droite), et le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius (à gauche), signent les documents relatifs à un accord bilatéral sur la formation des imams français, le samedi 19 septembre 2015, au palais de la Marche, dans la ville portuaire de Tanger. En arrière-plan, le président français François Hollande (à gauche) et le roi Mohammed VI du Maroc (à droite) assistent à la cérémonie. (Crédti : Alain Jocard / AP)

Il n’en reste pas moins que le très illustre Émir Abdelkader, qui combattit victorieusement la France, était soufi. Le ministre des Cultes nommé par le roi du Maroc après les attentats de Casablanca était soufi lui-même. Ahmed Toufiq, qui a enseigné le soufisme à Harvard, fut nommé ministre des Cultes en 2002, et a été reconduit en octobre 2021 comme ministre des Habous et des Affaires islamiques. Il est l’auteur de divers ouvrages, dont Les juifs dans la société marocaine au XIXe siècle : l’exemple des Juifs de Demnate. Il a déclaré :

J’ai grandi parmi des mystiques et des conteurs qui mettent l’accent sur la cohésion sociale et la compassion, la guérison et la gentillesse envers les autres êtres humains. Le soufisme fait partie intégrante de la culture marocaine. Il est plus social que théorique.

En 2014, il avait contribué à la création de L’Institut Mohammed VI de formation des imams morchidines et morchidates de Rabat. Le maître spirituel du ministre, Sidi Jamal el Kadiri, chef spirituel de la confrérie Boutchchiya, a déclaré :

Le soufisme est un islam sérieux. C’est le cœur et la moelle de base de l’islam. C’est la station d’excellence, de purification, de sincérité et de dévotion dans toutes les actions et travaux.

Bien que les opinions et les définitions divergent, le soufisme est considéré comme la haute spiritualité de l’islam, dans ce qu’elle a de plus universel, et que les deux autres religions du livre partagent. C’est pourquoi, il est généralement admis qu’il existe une passerelle ésotérique, aussi étroite soit-elle, entre la Kabbale juive à son niveau le plus élevé, l’ésotérisme chrétien et le soufisme.

Il ne s’agit pas ici d’entreprendre une étude sur le soufisme, mais de souligner qu’il y a un très large fossé entre les confréries soufis et les adeptes de l’intégrisme qui revendiquent le Coran pour entreprendre un djihadisme radical envers tous ceux qui n’acceptent pas de se soumettre. Les Soufis sont persécutés parce qu’ils n’adhèrent pas au djihadisme ou au salafisme, victimes à leur tour.

Les Soufis s’efforcent de comprendre le cœur de la tradition, de l’intérioriser et de la vivre activement. Pour cela, on cite volontiers la métaphore de la noix (qu’on retrouvera ailleurs, sous une forme analogue) : les formes rituelles extérieures et les commandements religieux sont comme une coquille qui protège l’intérieur de la noix, mais la coquille tire son existence du noyau de la noix. En d’autres termes, si vous vous accrochez simplement à la coque, vous n’atteignez pas le noyau interne, et vous manquez l’objectif principal.

Ainsi, les Soufis privilégient-ils l’intériorisation. Le but de toutes leurs pratiques est de se rapprocher de Dieu. Un hadith célèbre dit :

Celui qui se connaît, connaît son Seigneur.

Ce qui nous renvoie au fronton du temple de Delphes où figure cette maxime :

Connais-toi toi-même et tu connaîtras les dieux.

Pour les Soufis, les racines spirituelles de leur tradition remontent au prophète Mahomet lui-même, qui fut de facto le premier Soufi comme chef spirituel. Mais à son époque, il n’était pas nécessaire de donner un nom propre à la tradition ésotérique de l’islam, puisque c’était la seule existante.

Les Sahaba, un peu comme les premiers Chrétiens autour de Jésus, ont formé la première communauté proto-soufiste-islamique. En Occident, l’islam est réduit à une image réductrice qui n’a plus rien à voir avec la spiritualité et l’ésotérisme des Soufis.

Les évolutions de l’islam comme religion populaire et intégriste ont creusé un très large fossé par rapport au message spirituel et à la pratique de l’islam. Au fil du temps, ceux qui voulaient aborder la dimension intérieure de l’islam se sont vu attribuer le nom de « Soufis » pour les différencier des autres mouvements. Un étudiant a demandé un jour à son maître : qui était en fait un Soufi. À quoi il a répondu : « Un Soufi ne demande pas qui est un Soufi ».

Ce qui se passe au Maroc semble constituer une exception en Afrique du Nord et au-delà. On peut ne pas être convaincu par ce volet de la politique royale, mais on ne doit pas en sous-estimer la portée.

C’est un exemple unique dans l’immédiat, où le pouvoir en place veut utiliser une branche de la religion, la plus haute en la circonstance, pour lutter contre la version la plus sombre, la plus sanglante, la plus coercitive, la plus meurtrière de la religion, celle du salafisme et de l’intégrisme, dans ses œuvres les plus tragiques.

On ne peut que lui souhaiter de réussir, même si l’époque ne va pas dans ce sens :

  • la déculturation bat son plein,
  • le recul de la spiritualité se confirme partout,
  • et une large partie des jeunes Français et d’autres relativisent la Shoah, sa portée, son enseignement.

Le vivre ensemble, que ce soit en Occident ou en Orient, est couvert de nuages. En France, certains, comme les islamo-gauchistes, s’érigent en défenseurs des Mollahs de Téhéran. L’orage gronde, les éléments se déchainent. Il est peut-être trop tard.

Ainsi va le monde…

à propos de l’auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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UE contre Russie : Kaliningrad, le baril de poudre prêt à provoquer l’explosion

Le corridor de Suwalki, bande de terre lituano-polonaise aux frontières de la Pologne au Sud, de la Lituanie au Nord, de l’enclave russe de Kaliningrad à l'Ouest et de la Biélorussie à l'Est. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 3.0)

Le corridor de Suwalki, bande de terre lituano-polonaise aux frontières de la Pologne au Sud, de la Lituanie au Nord, de l’enclave russe de Kaliningrad à l’Ouest et de la Biélorussie à l’Est. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 3.0)

La Lituanie, au sein de l’OTAN, pays partenaire de la Bundeswehr, par son attitude vis-à-vis de la Russie, crée un risque majeur d’escalade. Si le mot n’a pas encore été formellement prononcé, il figure dans tous les échanges entre membres de l’UE et de l’OTAN : blocus. Quand on dit blocus, on pense Casus Belli. Par son intransigeance et ses décisions, la Lituanie est à deux doigts d’allumer la mèche.

En cas de guerre, la Lituanie deviendrait une zone d’engagement pour la Bundeswehr en charge de cette responsabilité dans le nouveau dispositif déployé par l’OTAN. Ce sera l’armée allemande qui sera chef de file dans ce contingent, également chargé de recevoir des troupes de l’UE.

Le corridor de Suwalki

En Lituanie, la Bundeswehr se concentre sur un pays qui présente un risque considérable d’escalade – vu sa situation géostratégique – très largement accru par la propension incompréhensible de son gouvernement aux provocations.

La situation de ce pays se caractérise par le fait que sa partie Sud, ainsi que l’extrême nord-est du territoire polonais, séparent l’enclave russe de Kaliningrad de la Biélorussie.

La bande de terre lituano-polonaise, le couloir de Suwalki – en référence à une ville polonaise qui s’y trouve, assure, seule, une continuité territoriale entre les trois États baltes et les autres pays de l’OTAN – la Pologne au premier chef.

D’une longueur de 85 km, cette bande de terre dans le nord-est de la Pologne et le sud de la Lituanie, est située à la plus petite distance entre l’enclave russe de Kaliningrad et la Biélorussie vassalisée par Moscou. La distance entre Kaliningrad et la Biélorussie est de 65,4 km à son point le plus étroit.

Pendant des années, les stratèges de l’OTAN ont travaillé à un scénario selon lequel la Russie pourrait lancer une attaque contre les pays baltes en mobilisant ses troupes de Biélorussie et de Kaliningrad via le couloir de Suwalki, et ainsi isolerait la Lituanie, voire même occuperait les trois républiques baltes.

Ces pays ne seraient, de facto, plus défendables. La position actuelle lituanienne rend ce scénario plausible.

Le lien entre cette situation et la confrontation sino-américaine 

L’actuel gouvernement lituanien considère être investi d’une mission particulière pour le compte des États-Unis, et se croit sans doute protégé par le double parapluie américain et celui de l’OTAN. C’était avant l’invasion russe de l’Ukraine.

Depuis, s’appuyant sur la politique de sanctions décidée par l’UE, sa propension aux provocations persiste, déjà démontrée lors d’un litige relatif à l’ouverture d’un bureau de représentation taïwanais dans sa capitale Vilnius. Cet étrange incident (2022) était une provocation délibérée sur ordre américain, car la Lituanie n’a pas de liens économiques significatifs avec l’Asie.

Les États-Unis ont lancé une campagne visant à renforcer la position de Taiwan dans les instances internationales, conformément à leur stratégie pour affaiblir la Chine et renforcer leur position dans la zone Asie-Pacifique.

À l’automne 2022, le gouvernement lituanien – en étroite coordination avec les États-Unis – a préparé le terrain pour que Taiwan ouvre un bureau de représentation. Au lieu d’utiliser la formule existant partout ailleurs, « Taipei representative office », la Lituanie a sciemment choisi le nom « Taïwan » :

  • ce qui s’explique uniquement si la Lituanie a accepté de jouer le rôle de pion perturbateur sur ordre de Washington ;
  • ce qui provoque un litige de plus avec la Chine.

Le blocus de Kaliningrad

La Bundeswehr s’installe désormais en Lituanie conformément aux dispositions prises par l’OTAN, Allemagne en tête. Berlin veut devenir la première puissance militaire conventionnelle de l’UE. Comme programmé, le contingent allemand s’installe très progressivement en Lituanie pour compter jusqu’à 5 000 hommes. Actuellement il n’est que de quelques centaines.

Avec le soutien de l’UE et des États-Unis, la Lituanie s’est lancée frontalement dans le conflit avec la Russie par la mise en place d’un quasi-blocus par intermittence : depuis l’invasion en Ukraine, les chemins de fer lituanien ont bloqué le transport de toutes les marchandises de Biélorussie vers Kaliningrad, qui figurent sur les listes de sanctions de l’UE.

La Lituanie avait déjà fermé son espace aérien. Les Russes sont donc contraints de faire un détour par Saint-Pétersbourg et la mer Baltique. La Russie est obligée d’acheminer près de la moitié de ses marchandises, notamment des matériaux de construction, des métaux, du ciment, par voie maritime jusqu’à Kaliningrad, auxquels se sont ajoutés le charbon et le pétrole.

Moscou pointe le fait que le blocus viole les accords de 1994 et 2002 entre l’UE et la Russie, permettant le libre transit des marchandises entre Kaliningrad et le territoire de la Russie continentale, et se réserve le droit de riposter.

Ce faisant, l’UE risque de s’être tiré une balle dans le pied et de créer un dilemme. On sait qu’elle était en pourparlers pour exempter Kaliningrad des sanctions, pour autant que la Lituanie renonce à ses blocages, ce qui n’était pas le cas au départ.

C’est surréaliste quand on mesure l’énorme risque que ce petit pays fait courir à toute l’Europe. Après avoir adopté dix-sept paquets de sanctions, l’UE à du « négocier » avec la Lituanie pour qu’elle ne les applique pas ! (Sauf à imaginer que le parrain de Washington encourage sa position – totalement incompréhensible – car chacun sait qu’une fausse manœuvre pourrait déclencher une riposte russe).

Troupes allemandes arrivant en Lituanie 

Si la confrontation devenait incontrôlable, la Bundeswehr serait directement impliquée, d’une part en raison de ses troupes stationnées en Lituanie, et de l’autre en raison de sa marine, qui se concentre de plus en plus en mer Baltique.

L’inspecteur général de la marine, Jan Christian Kaack, a confirmé que la marine allemande est prête à « assumer un rôle de leadership en mer Baltique, dans le cadre de l’OTAN ». Or le quartier général de la flotte russe de la Baltique se trouve à Kaliningrad.

Devant ce double risque, la tension règne au sein de l’UE à propos de Kaliningrad et des sanctions. La Commission européenne a recherché « un compromis » avec la Lituanie. Ce qui est tout simplement extraordinaire ; des responsables de l’UE, avec le soutien de l’Allemagne, ont négocié avec la Lituanie pour suspendre l’interdiction de transit, déclarait un proche du dossier.

Cependant, la Lituanie était encore « réticente ». Dès 2022, une porte-parole du ministère lituanien des Affaires étrangères déclarait :

Les sanctions doivent être appliquées. Aucune décision ne doit saper la crédibilité et l’efficacité de la politique de sanctions de l’UE.

Les sanctions ont fait du chemin depuis.

Les médiateurs craignent toujours une escalade. Moscou pourrait utiliser la force pour créer un couloir terrestre, car Kaliningrad est une terre « sacrée » pour la Russie. Berlin a donc saisi la Commission Européenne. Finalement on a suspendu les sanctions sur les livraisons par voie ferrée mais maintenues celles par voie routière, ce qui revient à énoncer qu’il y a sanctions et sanctions. Comprenne qui pourra.

D’autres dissensions apparaissent : l’UE, malgré toutes les affirmations, continue à acheter du gaz russe. On indique que ce sera sans doute le cas jusqu’en 2026 ; la Hongrie continue à acheter du gaz, l’Espagne exige aussi des dérogations.

Pour autant, la Commission européenne refuse tout commentaire. Elle n’a même pas voulu confirmer les pourparlers avec Vilnius. Cela montre à quel point l’UE présente des failles majeures dans sa stratégie tant le sujet est explosif, et à ce rythme, risque de se tirer une seconde balle dans l’autre pied, ce qui l’immobiliserait face à la Russie qui poursuit son action.

L’arme alimentaire est également utilisée, car depuis 2014, les sanctions ont renforcé les capacités russes, notamment la production agricole.

Pendant que le lobby militaro industriel international y trouve son compte, pendant que l’Europe commence à subir les effets sociaux et économiques de la guerre hybride qu’elle mène par Ukraine interposée, il est grand temps que les belligérants et leurs parrains recherchent la paix, sauf à espérer mettre la Russie à genoux et provoquer une balkanisation dans toute l’ex-URSS, avec les conséquences qu’on peut imaginer.

Ce n’est pas l’intérêt de l’Europe, qui a nombre d’autres chats à fouetter et depuis, le nombre de chats se faisant de plus en plus nombreux.

Ainsi va le monde…

à propos de l’auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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