La nouvelle loi sur la fiscalité d’entreprise risque d’avoir des effets imprévus et coûteux.
La loi sur les profits « retenus », en vigueur depuis le 1er janvier, vise à endiguer l’évasion fiscale ; certains craignent une application complexe freinant les investissements
Cette pratique aura entraîné un manque à gagner annuel estimé entre 5 et 6 milliards de shekels pour l’État en impôts sur les dividendes, selon l’Autorité fiscale israélienne. De 2013 à 2021, plus de 700 milliards de shekels de profits retenus ont ainsi été accumulés par des entreprises basées en Israël.
Les experts fiscaux et les avocats qui ont parlé au Times of Israel ont exprimé leur inquiétude et leur colère, affirmant que la nouvelle législation sera complexe à mettre en œuvre et qu’elle risque de réduire la propension à l’investissement dans les entreprises et dans l’économie.
« De nombreux clients aimeraient comprendre ce qui se passe exactement », indique Eric Benishay, associé en fiscalité chez PwC Israël.
« Le processus législatif s’est déroulé en dernière minute. Il a été présenté début décembre pour être bouclé avant la fin de l’année, ce qui est scandaleux. »
« Il n’y a pas eu de concertation adéquate avec les acteurs du marché pour élaborer une législation plus simple et mieux adaptée », déplore Benishay.
Le régime israélien qui concerne les impôts sur les sociétés fonctionne sur deux niveaux. Dans un premier temps, les bénéfices sont soumis à l’impôt sur les sociétés, à 23 % et, dans un second temps, lorsqu’ils sont distribués sous forme de dividendes, ils sont à nouveau taxés, à un taux d’environ 30 %.
Ce mécanisme en deux étapes permet aux entreprises de reporter la seconde tranche de l’impôt, afin d’encourager le réinvestissement des bénéfices non distribués dans le développement de l’entreprise plutôt que leur distribution immédiate en dividendes. Dans la plupart des pays occidentaux, les revenus des sociétés sont imposés deux fois – au niveau de la société et au niveau des actionnaires.
« C’est devenu un moyen courant de différer l’impôt pour les particuliers, les indépendants ou les dirigeants qui ne sont pas salariés directement, comme certains PDG, comptables ou médecins », précise Doron Mutai, associé et responsable du pôle fiscal en Israël au cabinet Pearl Cohen.
Ce système fiscal a entraîné la prolifération de deux types de sociétés : les sociétés « portefeuille » (ou sociétés de services personnels) et les sociétés holding, qui tirent avantage du double niveau d’imposition en investissant leurs bénéfices non distribués dans des actifs financiers plutôt que dans une activité économique réelle, ou qui les conservent dans la société.
Les sociétés « portefeuille » (ou wallet companies) sont détenues à 100 % par un professionnel qui, au lieu de recevoir sa rémunération en tant que salarié, la perçoit via la société pour tenter de diminuer sa charge fiscale. Les revenus sont alors imposés au taux de 23 % (impôt sur les sociétés), et l’impôt sur les dividendes, de 30 %, n’est réglé que lorsque les bénéfices sont effectivement distribués. Cette pratique permet d’éviter de payer un impôt sur le revenu pouvant aller jusqu’à 50 %, surtout pour les hauts revenus.
« Au fil des ans, de nombreuses entreprises, en particulier celles qui sont unipersonnelles, ont payé 23 % d’impôt sur les sociétés pendant des années, puis elles ont conservé pendant des années leurs bénéfices au sein de la société et elles n’ont pas distribué de dividendes, ce qui signifie qu’elles n’ont pas payé l’impôt sur les dividendes. C’est une faille du système que le gouvernement cherche à combler », déclare Ronen Solomon, PDG de l’Association israélienne de l’artisanat et de l’industrie, qui représente 100 000 PME [petites et moyennes entreprises], dont des fabricants de meubles, de chaussures et d’articles en cuir, des coiffeurs, des esthéticiennes et des imprimeries.
« Nous sommes en guerre, et le ministère des Finances doit trouver des ressources financières. C’est la principale raison de cette loi », ajoute Solomon. « Les plus touchés seront les professions libérales, comme les comptables ou les médecins, qui ont établi une société unipersonnelle et qui devront dorénavant payer plus d’impôts. »
La nouvelle législation vise à réduire la possibilité de différer indéfiniment le paiement des impôts en gardant les bénéfices non distribués dans la société plutôt qu’en les réinvestissant concrètement dans l’économie israélienne. Elle s’applique aux entreprises comptant jusqu’à cinq actionnaires et dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 30 millions de shekels.
Le ministère des Finances a expliqué que les nouvelles règles fiscales ciblent deux types de sociétés : les sociétés de portefeuille actives, souvent détenues par un seul actionnaire, dont l’essentiel des bénéfices provient de l’activité de cet actionnaire ; et les sociétés de portefeuille sans réelle activité commerciale, et qui perçoivent principalement des revenus passifs et qui sont utilisées par leurs propriétaires pour investir sans être soumis au plein régime de l’impôt.
Avec ces nouvelles règles, les détenteurs majoritaires de sociétés de portefeuille actives seront soumis à un impôt marginal sur la part de leurs bénéfices non distribués dépassant les 25 % du chiffre d’affaires. Chaque année, les entreprises auront le choix entre payer un impôt de 2 % sur leurs bénéfices accumulés non distribués, ou distribuer au moins 5 % de ces bénéfices non distribués en 2025 (et 6 % au-delà) en s’acquittant également de l’impôt sur les dividendes.
« Premièrement, ces nouvelles règles risquent de freiner l’appétit des entreprises pour des investissements plus risqués », selon Benishay. « Deuxièmement, les entrepreneurs ou actionnaires pourraient se demander s’ils veulent continuer à mener des opérations en Israël ou s’ils préfèrent transférer leurs activités à l’étranger, comme c’est déjà le cas pour certains gestionnaires de fonds de capital-risque avec des investissements hors du pays. »
« Cela pourrait, à terme, aboutir à une situation perdant-perdant », avertit-il.
Certains secteurs sont néanmoins exemptés, notamment les petites entreprises qui ont accumulé moins de 750 000 shekels de bénéfices non distribués, ou lorsque le montant de ces bénéfices est inférieur aux dépenses moyennes de l’entreprise sur les trois dernières années. De plus, les « entreprises privilégiées » – secteurs industriel, construction, usines relevant de la loi sur l’encouragement des investissements en capital, y compris de grandes multinationales telles qu’Intel et Microsoft, qui reçoivent des subventions du gouvernement – sont également exonérées.
« Le gouvernement veut rattraper ces professionnels ou entreprises qui abusent de ce report d’impôt, mais il utilise un marteau de forgeron pour écraser une mouche », a constaté Mutai. « L’intention était de taxer les entreprises dans des situations spécifiques, mais la loi s’appliquera quasiment à toute société détenue par un maximum de cinq actionnaires privés. »
« La mise en œuvre de ces dispositions complexes demandera une analyse technique poussée afin de déterminer si une entreprise est visée ou non », a-t-il ajouté.
Benishay déplore également que la loi aille « trop loin » sans distinguer la nature des investissements, générant ainsi confusion et insécurité.
« C’est une réforme fiscale de grande envergure, qui aurait dû être préparée en concertation avec le monde des affaires et avec l’ensemble des parties prenantes, afin d’aboutir à une mesure plus adaptée en taxant précisément ce qui doit l’être », observe-t-il. « On aurait ainsi pu réduire sensiblement l’impact négatif. »
« Un système fiscal devrait être aussi simple que possible pour favoriser l’activité économique, mais cette loi nous ramène en arrière. »
… alors c’est le moment d’agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanti