Israël : comment le temple du secret est devenu le royaume des fuites, par Raphaël Jerusalmy.

Mesdames et messieurs les anciens du Mossad, les retraités de Tsahal, les ministres, enquêteurs et stratèges de bistrot, ayez la décence de vous taire pendant que nos soldats et soldates combattent

Raphaël Jerusalmy
Raphaël JerusalmyAncien officier du renseignement militaire israélien, Auteur d' »Evacuation » chez Acte Sud.
Israel's Prime Minister Benjamin Netanyahu (center) is flanked by outgoing Mossad chief Yossi Cohen (right) and incoming head David Barnea at an award ceremony in Jerusalem on May 24, 2021.

Les services secrets israéliens sont-ils en train de perdre leur principal atout ? Celui du secret, justement. Jusqu’à récemment, il était de règle de garder le silence absolu sur tout ce qui concernait la sécurité de l’État. Tout problème était réglé à l’interne. Ou, du moins, sous le sceau de la censure militaire, et non rendu public comme aujourd’hui et jeté en pâture aux médias et aux politiciens.

Depuis le documentaire « The Gatekeepers », tourné en 2013, où six chefs du Mossad et du Shin Beth à la retraite ont décidé d’épancher leurs états d’âme, il est devenu loisible, pour ne pas dire à la mode, de s’exprimer en public. Comme si le public disposait des outils, de la formation et des connaissances nécessaires pour comprendre les enjeux, évaluer les menaces sécuritaires et décider de la meilleure façon d’y faire face. Depuis que le laisser-parler est devenu admissible, on ne compte plus le nombre de fuites, de dérapages, de langues qui fourchent. Des ministres ont fanfaronné plus d’une fois, sur leur compte X, à propos d’opérations d’éclat de Tsahal ou du Mossad qu’il était préférable de ne pas revendiquer officiellement.

Maintes personnalités de la politique et des médias ont « divulgué » des informations, exprimé leur avis éclairé, ouvertement pris à partie le haut commandement de Tsahal ou le chef du Shin Beth, donnant une image de pagaille et de zizanie que nos ennemis considèrent comme un signe de détérioration, une baisse de la garde. Ils y voient un manquement à la discipline sécuritaire. Et ils se réjouissent des brèches qui fissurent le ciment national d’union et de solidarité qui a toujours fait la force d’Israël.

Des experts en communication et psychosociologie travaillent aujourd’hui à la rédaction de messages et signaux destinés à impressionner ou tromper l’ennemi. Du coup, nul ne sait si une déclaration apparemment intempestive d’un général de Tsahal est sincère et spontanée ou bien minutieusement orchestrée par les spécialistes de la guerre psychologique. Malheureusement, ces mêmes méthodes de manipulation de l’information et d’exploitation des canaux de communication sont employées, non pas pour influencer l’ennemi, mais l’opinion publique israélienne ou même mondiale.

Force est de constater que les relations entre le gouvernement et les forces de sécurité et de défense sont aujourd’hui au plus bas. Les politiciens affichent une perte de confiance envers les militaires sur lesquels ils rejettent l’entière responsabilité du drame du 7 octobre. Les militaires se méfient à leur tour des gouvernants et d’agendas politiques qui entravent parfois la menée d’une campagne sur le plan stratégique. On en est arrivé au point où le bureau du Premier ministre envisage de créer une commission du renseignement indépendante des services secrets, composée de membres qui ne doivent jamais avoir servi dans le Mossad ou le Shin Beth, pas même dans l’intelligence militaire. Cette commission sera supposée jouer l’avocat du diable alors qu’il existe déjà un département jouant ce même rôle au sein du service du renseignement de Tsahal. Des désaccords surviennent bien trop souvent, avec pour dernier résultat en date un limogeage du ministre de la Défense, Yoav Galant, alors que le pays est en guerre. Et tout ce linge sale est lavé au grand jour !

Dans le même temps, une enquête d’une gravité sans précédent est menée à l’égard de procédés émanant du bureau du Premier ministre. Procédés qui mettent en danger les agents secrets sur le terrain et dévoilent ce qu’Israël sait ou ne sait pas sur ses ennemis. Des mouvements civiques et les médias ont exigé de la Cour de justice qu’elle fasse lever la censure sur ce dossier extrêmement sensible, alors qu’il est évident que la publication des détails de l’affaire nuira à la défense du pays pour les années à venir. Pourquoi exposer ces allégations au grand jour ? Cela dessert la bonne menée de l’enquête. Et surtout, le prix à payer pour ce droit de regard est un préjudice irréparable causé au travail acharné des commandants de Tsahal et des agents du Mossad ou du Shin Beth, surtout en temps de guerre. C’est un acte irresponsable.

En temps de guerre, ces mêmes commandants et agents doivent jouir de la discrétion absolue qui s’impose de la part des médias, des citoyens, des parlementaires et même de la part des membres du gouvernement. Mesdames et messieurs les anciens du Mossad, les retraités de Tsahal, les ministres de ci ou de ça, les enquêteurs et les stratèges de bistrot, ayez la décence de vous taire pendant que nos soldats et soldates combattent. Protégez-les de votre silence. Revenez à la grande tradition qui a toujours donné à Israël l’avantage quand il s’agit de sécurité et défense et dont le mot d’ordre est : Motus, bouche cousue.

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