BEER SHEVA – Le campus de l’université Ben Gurion du Néguev était animé dimanche dernier pour la rentrée officielle, avec étudiants et personnel arrivant pour entamer la nouvelle année universitaire. Sous un ciel frais et ensoleillé, les étudiants se sont rassemblés à l’extérieur du centre étudiant Zlotowski, autour de tables représentant divers groupes et organisations, riant et se saluant tout en grignotant du pop-corn gratuit.

Une autre rangée de tables présentait les produits d’artisans et de commerçants locaux, dont un vendeur qui proposait des centaines de vieux vinyles. Tandis que certains parcouraient les stands, une soixantaine de personnes assises sur des poufs dans une zone verte écoutaient attentivement deux parents d’otages parler de leurs efforts pour obtenir la libération de leurs proches et des autres otages toujours détenus à Gaza depuis le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël.

Ce nouveau semestre débute après une année de guerre très éprouvante, sans perspective de fin. Plusieurs étudiants portaient des fusils, signes que, à l’instar de plusieurs milliers d’étudiants des universités israéliennes l’année dernière, ils poursuivent leurs études tout en servant dans les forces de réserve de l’armée israélienne.

« C’est très difficile, mais je garde confiance en moi », a confié Yarden, un étudiant en génie civil, au Times of Israel.

Portant un sac à dos et un M-16 équipé d’un lance-grenades, Yarden, au sourire franc et entouré d’amis, a expliqué qu’en raison des contraintes du service de réserve, « certains ont réussi l’année dernière et d’autres non, même si l’université a essayé de nous aider. J’ai des amis qui ont été recalés ».

La question de la réussite académique, alors que de nombreux étudiants et membres du personnel servent en tant que réservistes, reste un défi pour les administrateurs, une question que les universités ont tenté d’aborder depuis la mobilisation massive de l’année dernière, à la suite du déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas.

Des étudiants de l’université Ben Gurion du Néguev le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Université Ben Gurion)

Le nombre d’étudiants réservistes est sans précédent, puisqu’il représente environ 30 % des étudiants inscrits, selon une estimation du syndicat des directeurs d’université. Israël compte environ 300 000 étudiants de l’enseignement supérieur, y compris ceux inscrits dans les diverses académies et collèges universitaires.

L’année dernière et cette année, les établissements d’enseignement supérieur ont mis en place des programmes d’aide spécialisés pour les réservistes, comprenant notamment une aide financière, des professeurs particuliers et des horaires d’examen aménagés.

L’année dernière, la rentrée universitaire avait également été reportée en raison de la guerre. Prévue pour le 15 octobre 2023, elle n’a débuté officiellement que le 31 décembre, après une série de reports. Des semestres raccourcis et une session d’été spéciale ont été introduits dans la plupart des universités.

Cette année, la majorité des universités ont ouvert leurs portes le dimanche 3 novembre, bien que l’université hébraïque de Jérusalem et l’université Bar Ilan aient repris les cours la semaine précédente. L’université de Haïfa et le Technion, invoquant la situation sécuritaire dans le nord, n’ouvriront que ce dimanche 10 novembre.

Des étudiants de l’université Ben Gurion du Néguev le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Université Ben Gurion)

Autour du campus

Dans un grand espace de verdure entrecoupé d’arbres offrant de l’ombre et d’un petit ruisseau gazouillant, un groupe d’étudiantes en soins infirmiers rattrapent le temps perdu en attendant le début des cours. « Nous nous sommes habituées à la situation, mais je ne fais pas confiance à l’université » pour que l’année se déroule sans encombre, a indiqué Liron, étudiante en troisième année.

Le programme de soins infirmiers, en partenariat avec l’hôpital Soroka, tout proche, compte un grand nombre d’étudiants arabes. « Et l’année dernière a été un peu difficile » en raison des tensions en classe après le 7 octobre, a dit Liron, qui  espère que cette année sera plus facile.

Selon l’université, il n’y a pas eu d’incidents majeurs entre les étudiants juifs et arabes au cours de l’année écoulée et l’administration s’est efforcée d’apaiser les tensions entre les deux communautés. Environ 15 % des étudiants de Ben Gurion sont des Arabes israéliens – des Bédouins du sud ou des Arabes musulmans ou chrétiens de Galilée.

Les étudiants arabes israéliens constituaient une minorité visible lorsque ce journaliste a visité le campus. Deux étudiantes vêtues d’un hijab, qui ont indiqué suivre des études de médecine, ont refusé d’être interviewées, mais Mohammad, étudiant en informatique, a expliqué qu’il était à l’université Ben Gurion pour son premier jour d’études après avoir été transféré du Technion.

Il a expliqué qu’il avait changé de faculté en raison des tirs de roquettes dans la région de Haïfa, qui « rendaient impossibles les études cette année ».

« Ça a l’air sympa ici, mais je ne sais pas comment m’y retrouver », a-t-il ajouté. Il était venu accompagné de son cousin pour l’aider à se familiariser avec son nouvel environnement.

Tomer et Ofer, deux étudiants en génie chimique, étaient assis sur un banc à proximité. Bien que ni l’un ni l’autre n’ait été mobilisé, le phénomène a eu un impact important sur leur programme, a expliqué Tomer.

Tomer (à droite) et Ofer (à gauche), deux étudiants du campus de l’université Ben Gurion du Néguev, le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Gavriel Fiske/Times of Israel)

L’année dernière, les réservistes « ont eu beaucoup de mal » et « on craint qu’ils n’aient été négligés », a-t-il indiqué.

Ofer a raconté qu’il était dans le Sinaï pendant les vacances de Souccot en 2023, lorsqu’il a appris la nouvelle du pogrom du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été tuées et 251 autres ont été prises en otage à Gaza.

Ofer a fait partie des milliers d’Israéliens qui sont rentrés en Israël immédiatement après les massacres. Et, avec le retard de la rentrée scolaire, « c’était un vrai balagan [un désordre] », a-t-il déclaré.

« J’espère que cette année sera plus calme », a-t-il ajouté.

Plusieurs chiens, portant des gilets spéciaux et tenus par des étudiants, dans le cadre d’un programme dans lequel les étudiants reçoivent des crédits académiques tout en apprenant à dresser les chiens pour qu’ils servent de guides pour les aveugles, étaient une caractéristique inhabituelle sur le campus.

Bar, étudiante en deuxième année d’informatique, s’était inscrite au programme parce qu’elle espérait que le fait de s’occuper d’un chien l’aiderait à garder les pieds sur terre au cours d’une année qui, selon elle, s’annonçait difficile.

« Il y a tellement d’incertitudes », dit-elle en caressant son chien. Elle et son amie Maayan, également étudiante en informatique, ont toutes les deux effectué un service de réserve l’année dernière, mais pas autant que nombre de leurs amis, et pas dans des positions de combat, ont-elles précisé.

Cependant, en ce qui concerne Maayan, elle a été mobilisée et démobilisée à plusieurs reprises, a donné naissance à un enfant et a dû étudier pendant le semestre d’été complémentaire, si bien que la dernière année a été « très, très intense », a-t-elle dit en riant.

Des étudiants de l’université Ben Gurion du Néguev le premier jour de classe, avec des chiens dressés pour devenir des chiens d’aveugle, le 3 novembre 2024. (Crédit : Université Ben Gurion)

« Il nous faut beaucoup d’optimisme pour continuer à avancer », a-t-elle ajouté.

Étudiants-soldats

À l’université Ben Gurion, sur un total de quelque 20 000 étudiants, environ 6 500 ont été mobilisés au cours de l’année écoulée, dont 52 % ont servi pendant plus de 100 jours et 23 % pendant 61 à 99 jours, selon les statistiques fournies au Times of Israel. La grande majorité d’entre eux, soit 82 %, étaient des étudiants de premier cycle.

L’université ne sait pas encore combien d’étudiants seront appelés pendant leurs études, ni pour combien de temps. « Mais je ne serais pas surpris que nous soyons à nouveau des milliers, en particulier avec tout ce qui se passe, entre autres, dans le nord », a déclaré le recteur de l’université Ben Gurion, le Pr. Chaïm Hames, en rencontrant le Times of Israel autour d’un café dans son bureau tapissé de livres.

Le professeur Chaïm Hames, recteur de l’université Ben Gurion du Néguev, dans son bureau le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Gavriel Fiske/Times of Israel)

« Chaque réserviste a une histoire différente, mais lorsque vous traitez plus de 6 000 cas, vous devez élaborer un cadre général », a-t-il déclaré.

Cela implique « un équilibre subtil entre le fait de leur faciliter la tâche en leur donnant des notes, des cours particuliers ou autres, et le fait de s’assurer que le diplôme en soi […] leur permettra d’acquérir les compétences dont ils ont besoin lorsqu’ils quitteront l’université ou qu’ils poursuivront des études supérieures ».

« Je pense que nous avons réussi à aider autant d’étudiants que possible », a déclaré Hames, tout en reconnaissant avoir reçu « des tonnes de plaintes » de la part des réservistes.

« Vous avez des cas individuels, ce qui est toujours déchirant et vous comprenez les difficultés », a-t-il dit. « Nous n’avons pas toujours été en mesure de donner les réponses que ces étudiants auraient souhaitées, parce que nous pensions que cela aurait eu un impact sur la qualité du diplôme. »

Une période difficile

Cette année, les efforts de l’université pour aider les étudiants réservistes se poursuivront, en s’appuyant sur ce qui a été appris l’année dernière.

« Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que ceux qui portent le fardeau de cette guerre soient aidés », a-t-il expliqué, mais la nouvelle année universitaire pourrait être « bien pire », a ajouté Hames sans ambages.

Le 7 octobre a été un événement marquant qui a « défini tout ce que nous avons fait » et l’ensemble de la communauté universitaire « s’est mobilisée pour aider les étudiants », a-t-il déclaré. Aujourd’hui, « nous voyons que nos étudiants sont appelés encore et encore… les gens sont à bout de souffle et d’énergie ».

Le campus de l’université Ben Gurion du Néguev le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Gavriel Fiske/Times of Israel)

« Je pense que cette année universitaire sera plus difficile », a poursuivi Hames.
« Dans les salles de classe, nous risquons de constater beaucoup plus de stress, plus de débordements. Beaucoup de choses qui étaient restées enfouies pendant que nous nous concentrions sur la fin de l’année vont maintenant remonter à la surface. »

Les répercussions se feront pleinement sentir dans les années à venir, selon Hames, notamment l’impact économique d’une génération de diplômés universitaires effectuant leurs études en temps de guerre. Par exemple, parmi les réservistes de l’université Ben Gurion, environ 40 % sont des étudiants en ingénierie, et l’université forme « environ un tiers des ingénieurs du pays », a-t-il indiqué.

En raison des difficultés, « il est tout à fait possible que beaucoup d’entre eux passent un an de plus dans le circuit. Nous essayons d’éviter cela… [mais] s’il y a des centaines de personnes qui n’obtiennent pas leur diplôme à temps, ce sont des centaines de personnes en moins à entrer sur le marché du travail », et ce, pour une seule université, a souligné Hemes.

Outre les réservistes, dont « un grand nombre ont été blessés », le corps étudiant de l’université Ben Gurion comprend des survivants du massacre du Festival Nova et d’autres personnes directement touchées par le 7 octobre, ainsi que des personnes évacuées qui ont passé une grande partie de l’année dernière à vivre dans des hôtels, a-t-il déclaré.

Des étudiants de l’université Ben Gurion du Néguev écoutant lors d’une manifestation appelant à la libération des otages à Gaza, le premier jour de classe, le 3 novembre 2024. (Crédit : Université Ben Gurion)

Au total, « l’université a perdu 115 personnes, y compris celles qui sont tombées au combat, qu’il s’agisse d’étudiants, d’employés ou de parents du premier cercle », ce qui a eu « un impact considérable », a déclaré Hames.

En outre, des centaines de membres du personnel académique et administratif de Ben Gurion ont servi dans les réserves ou ont des enfants qui servent dans l’armée ou, dans certains cas, une combinaison des deux, et « doivent également faire face à la guerre », a ajouté Hames.

En raison de sa localisation dans le sud, « depuis 2007 ou 2008, nous sommes habitués aux missiles entrants, aux opérations et à tout le reste ». Après le 7 octobre, « nous sommes passés en mode survie, comme nous l’avons fait à de nombreuses reprises… Cette année, les gens vont être plus réfléchis. Personne ne s’attendait à ce que la guerre dure aussi longtemps », a-t-il fait observer.

Néanmoins, l’université Ben Gurion a connu « une augmentation des inscriptions, ce que je ne suis pas sûr de comprendre totalement, mais je m’en réjouis », a-t-il déclaré.

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