Vous avez sûrement entendu parler du procès de Sam Bankman-Fried, le fondateur de la plateforme de trading en cryptomonnaies FTX, qui vient d’écoper de 25 ans de prison après avoir fait faillite en novembre 2022. Cet américain de 32 ans est accusé de la plus grande fraude de la décennie : un million de personnes ont été victimes de ses malversations financières et il laisse un trou de 11 milliards de dollars.

Bankman-Fried, qui avait été précédemment, pendant trois ans, trader à Wall Street et qui donnait alors la moitié de son salaire à des œuvres caritatives, était un adepte affiché de « l’altruisme efficace », la doctrine du philosophe australien Peter Singer et de son disciple écossais William MacAskill. Peter Singer, qui dirige la chaire d’éthique de l’université Princeton, est considéré par les Américains comme « le philosophe vivant le plus influent ».


L’altruisme efficace est issu de l’utilitarisme ; il prône le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Avec un principe de base : les moyens financiers doivent sauver le plus de monde possible. Par exemple, plutôt que de dépenser 40 000 dollars pour former un chien guide d’aveugle, mieux vaut les utiliser pour soigner le trachome en Afrique : en effet, chaque opération coûtant 50 dollars, on sauvera de la cécité huit cents personnes au lieu d’en aider une seule.


De même, Singer explique que la meilleure manière de sauver des vies est de gagner le plus d’argent possible. Les diplômés des grandes universités, au lieu de s’engager dans des ONG, sont plus utiles en allant faire carrière dans la finance ou dans la tech : ils peuvent ainsi donner beaucoup plus aux œuvres caritatives.


Le cas du milliardaire des cryptomonnaies montre les limites de cette théorie. Bankman-Fried a certes redistribué une partie de sa fortune aux pauvres sous couvert « d’altruisme efficace », mais quand il a perdu beaucoup d’argent – et ses clients aussi à cause de ses malversations -, il s’est tout juste senti coupable puisqu’il avait agi pour la bonne cause ! Lui qui affirmait qu’il « rembourserait la dette des Bahamas » ne laisse aujourd’hui que des ruines… et son procès est devenu celui de l’utilitarisme. Mais le milliardaire déchu ne se remet pas en cause. A la sortie du procès, Il a simplement dit que « la période utile de sa vie était probablement terminée ».


Le gourou des « altruistes efficaces », Peter Singer lui-même, s’est retrouvé au cœur d’une polémique intéressante. Depuis toujours, il plaide pour la nécessité d’euthanasier les personnes âgées atteintes de démence sénile et tous ceux qui n’ont pas, à ses yeux, « d’utilité » dans la société. Il est anti-spéciste et a même affirmé qu’il « serait préférable de mener des expériences médicales sur des orphelins irrémédiablement handicapés et inconscients que sur des rats en parfaite santé ».


Seulement voilà. Singer a appris que sa propre mère était atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle avait laissé des instructions précisant que si elle devenait un jour inutile, il ne fallait pas prolonger sa vie. Or lorsque Singer a eu à décider, avec sa sœur, du destin de sa mère en situation de dépendance absolue, ils ont mis en place un système d’assistance permanente à domicile avec plusieurs soignants pour qu’elle puisse continuer à vivre !


La leçon de cette histoire ? Puisque tous les humains, placés devant la même alternative, agiraient probablement de la même façon, il ne reste pas grand-chose de cette « philosophie », cette vision froide, mathématique et rationaliste des vies humaines, aveugle aux spécificités et au contexte de chacun… Une philosophie qui rencontre pourtant un vrai succès chez les entrepreneurs de la Silicon Valley.

XERFI. CHRISTINE KERDELLANT.

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