Boris Cyrulnik : « Le pogrom du 7 Octobre a renforcé mon sentiment d’appartenance au monde juif »

DIEU DANS LES YEUX. Le neuropsychiatre se confie sur sa spiritualité et s’alarme du retour des discours de haine qui lui rappellent ceux des nazis.

Propos recueillis par

 

Boris Cyrulnik photographié chez lui pour Le Point.
Boris Cyrulnik photographié chez lui pour Le Point. © Iannis G./REA pour « Le Point »

Né le 26 juillet 1937 à Bordeaux, Boris Cyrulnik avait 5 ans quand ses parents furent arrêtés et déportés par les nazis. Ils ne revinrent pas des camps. Le petit garçon, caché pendant la guerre, qui échappa de justesse à la rafle de Bordeaux de juillet 44, fut élevé par sa tante maternelle, seule survivante de la famille. Et il est devenu le grand médecin neuropsychiatre que l’on connaît, qui a popularisé, à travers plusieurs livres à succès et de nombreuses interventions médiatiques, le concept de « résilience », permettant aux individus ayant vécu des traumatismes de renaître à partir de cette souffrance. Comme il nous le confie, Boris Cyrulnik s’est forgé sa propre spiritualité dans ses relations aux autres, à l’art, à la nature.

LE MONDE.  Boris Cyrulnik : « Ma mère a eu le temps de m’insuffler la confiance en moi »

« Je ne serais pas arrivé là si…  » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Le neuropsychiatre et auteur prolifique, traduit dans de nombreux pays, se confie sur l’importance de sa mère, déportée à Auschwitz.

Par 

Boris Cyrulnik, à Strasbourg, le 16 septembre 2023.

Boris Cyrulnik, 87 ans, s’est imposé en France comme le spécialiste de la résilience ainsi que du développement de la petite enfance. La sienne fut marquée par la Shoah. La résurgence actuelle de l’antisémitisme l’inquiète profondément.

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si, avant une multitude de rencontres qui ont orienté ma vie, je n’avais d’abord rencontré ma mère. Vraiment rencontré. Et ce fut décisif. Car pendant le temps très court que nous avons passé ensemble – elle a été déportée à Auschwitz alors que j’avais 4 ans – elle est parvenue à me donner l’appétit du monde, l’envie de l’exploration, le goût de la rencontre. Je ne sais pas comment elle a fait, mais elle m’a insufflé quelque chose qui s’est révélé crucial pour ma survie au cœur de la guerre, et même bien au-delà : la confiance en moi.

Les mille premiers jours de la vie d’un enfant sont d’une importance capitale, dites-vous toujours…

Essentielle ! C’est pendant ce court laps de temps, avant même l’apparition de la parole, que se sculpte le cerveau, que se construit le tempérament, que se joue la propension à la confiance, à l’audace, à l’optimisme. Et cela commence dans le ventre de la mère, où le bébé, en totale osmose, ressent le bien-être ou le malheur, la sécurité ou le stress. Des circonstances liées à la guerre, la précarité sociale, la violence conjugale ou des accidents de la vie influent évidemment sur le vécu de la grossesse et la transmission à l’enfant. Une mère insécurisée sera insécurisante pour son bébé, qui restera centré sur lui-même et n’aura aucune disposition à la rencontre.

Mais, justement, l’environnement dans lequel vivaient vos parents, avant votre naissance, n’était-il pas particulièrement insécurisant ?

C’est vrai. Je suis né en 1937 à Bordeaux dans une famille d’immigrés d’Europe de l’Est très pauvres, et à une époque où il ne faisait pas bon être juif alors que se profilait la guerre. Mais ma mère a merveilleusement joué son rôle de figure maternelle sécurisante. Elle s’entendait très bien, paraît-il, avec mon père. C’étaient des « copains amoureux ». Et si j’ai peu de souvenirs d’avant-guerre, ils sont joyeux.

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