«Hier l’Ukraine, aujourd’hui Israël: deux symptômes d’un nouvel ordre mondial». La tribune de Didier Toubia.

«Israël affronte un bloc mené par des puissances soucieuses de contrer l’influence grandissante des démocraties libérales».
Didier Toubia
Tribune Libre 2021

Beaucoup pensent que la guerre qui a éclaté en Israël résulte d’un conflit lointain et localisé, entre Juifs et Arabes. Une guerre de frontières ou de religion, en somme. C’est faux, ce qui se joue est bien plus international, et on en voit les implications aussi bien en politique que dans le monde des affaires.

En tant qu’entrepreneur franco-israélien, j’ai vu le paysage politique du Proche-Orient littéralement se modifier sous mes yeux, et les pays arabes et l’Etat hébreu se rapprocher dans un cadre d’intégration économique et de normalisation régionale tant nécessaire. Lorsque Israël, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et le Maroc ont signé les Accords d’Abraham en 2020 grâce à la médiation américaine, ADQ, un fonds souverain émirati, a investi dans Aleph Farms, la société de viande cultivée, dont je suis le fondateur. Depuis, nous avons œuvré sans répit afin de développer des solutions intégrées aux défis communs de la région entière, liés à la souveraineté alimentaire. L’histoire démontre que l’intégration économique est un vecteur de stabilité.

 

Le hic est que les discussions récentes d’élargissement des Accords d’Abraham à l’Arabie Saoudite représentent une menace tangible pour certaines forces en jeu au Proche-Orient comme l’Iran. Le conflit entre Israël et le Hamas-Jihad Islamique palestinien émerge comme la dernière émanation d’un nouvel ordre mondial redessiné sous le prisme de deux blocs en présence : d’un côté, les Etats-Unis, l’Europe et leurs alliés représentent le monde occidental basé sur des valeurs démocratiques libérales ; de l’autre l’Iran, la Russie, et dans une certaine mesure la Chine rassemblent un éventail d’alliés unis par leur volonté de promouvoir une alternative aux valeurs de l’Occident.

Influence. L’affrontement entre ces deux blocs a provoqué l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a bientôt deux ans. Lorsque l’Ukraine, ancien membre de l’URSS se rapprocha de l’Otan, la Russie déclencha cette guerre. Elle commandita certains alliés comme la Biélorussie pour contrer l’expansion de l’influence occidentale dans une zone traditionnellement alliée, à ses frontières.

Ces guerres périphériques entre deux axes superpuissants ne sont pas un nouveau concept : rappelons-nous des conflits de Corée ou du Vietnam pendant la guerre froide, dans les années 1950 et 1960

Nous observons des rapports de force similaires au Moyen-Orient : les Accords d’Abraham noués entre Israël et certains pays arabes modérés sous patronage américain, puis les discussions avancées avec de nouveaux pays clés comme l’Arabie saoudite, provoquent la réaction de l’Iran. Ce dernier perçoit ces alliances comme une enfreinte au statu quo dans la région, une menace à son influence au Moyen-Orient. Téhéran finance le Hamas ainsi que le Hezbollah, et les commandite pour attaquer Israël afin de torpiller les progrès de l’intégration régionale sous égide américaine.

Il est notoire que la Syrie — ennemie jurée d’Israël — est une alliée proche de la Russie et est armée, elle aussi, par cette dernière. Le rapport de force entre Iran et Russie d’un côté, et l’Occident de l’autre, s’exprime dans la guerre par procuration qu’ils mènent en Israël. Ces guerres périphériques entre deux axes superpuissants ne sont pas un nouveau concept : rappelons-nous des conflits de Corée ou du Vietnam pendant la guerre froide, dans les années 1950 et 1960. Les guerres qui se dessinent en Ukraine et en Israël apparaissent comme le symptôme d’une guerre froide moderne.

Racines. Il est vrai que les guerres contre l’Ukraine et contre Israël sont toutes deux alimentées par des tensions historiques. Elles trouvent leurs racines dans des conflits anciens. Mais elles servent des intérêts géopolitiques régionaux et globaux, dont certains sont parfaitement alignés avec ceux de l’islam radical anti-occidental.

Il est donc clair que lorsque Israël, seule démocratie du Proche-Orient, se bat pour sa survie, il n’est pas question d’une guerre entre juifs et Arabes (voir les Accords d’Abraham précités), ni d’un pur conflit local israélo-palestinien. Israël affronte un bloc mené par des puissances soucieuses de contrer l’influence grandissante des démocraties libérales. Cet axe hostile à l’Occident cherche à déstabiliser le bloc libéral — notamment la France, où certains groupes islamistes prennent de l’ampleur d’année en année.

Les Américains ont rapidement compris les enjeux de ce conflit et ont réagi en apportant leur soutien concret à Israël. Ils saisissent clairement l’ampleur des événements, comme le président Biden l’a exprimé lors de son discours du 19 octobre. Les Européens, quant à eux, avaient massivement soutenu l’Ukraine contre l’invasion russe il y a presque deux ans. Il sera intéressant de voir si l’opinion publique européenne prendra une position aussi forte contre l’axe Hamas-Hezbollah-Iran-Russie et demeurera fidèle à ses valeurs démocratiques.

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Didier Toubia, est co-fondateur et directeur général de la start-up israélienne Aleph Farms.

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