L’assassinat par Israël du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 27 septembre, et plus largement l’offensive israélienne au Liban, a infligé une série de coups historiques à l’organisation, la privant non seulement de son chef charismatique, mais aussi de la plupart de ses dirigeants militaires, d’une partie de son système de communication et de toute une série de dépôts d’armes et d’autres installations stratégiques. Mais si les dégâts colossaux infligés à l’appareil et aux infrastructures militaires et sécuritaires de la milice sont les plus flagrants, le Hezbollah doit aussi composer avec les conséquences du conflit sur son vaste réseau d’institutions économiques et sociales sur le territoire. «

Les bombardements israéliens ont également frappé des centres d’approvisionnement, des infrastructures logistiques, des entrepôts et des ateliers affiliés au Hezbollah dans de nombreuses localités du Liban-Sud, de la banlieue sud de Beyrouth et de Baalbek-Hermel », confie à L’OLJ un commerçant proche de certains cercles d’affaires liés au parti chiite. D’autres sources de ces milieux mentionnent d’ailleurs la présence de dizaines de conseillers iraniens se trouvant actuellement auprès du parti, et notamment pour « le suivi des activités et du sort de nombreuses institutions civiles affiliées, qui ont coûté des milliards de dollars au cours des dernières années », précise l’une d’elles. L’enjeu est en effet de taille : alors qu’il fait déjà face à une crise existentielle, dans quelle mesure son réseau de revenus et redistribution clientéliste sera-t-il en mesure d’encaisser ces chocs, au moment même où sa base constitue le gros des centaines de milliers de déplacés dans le pays ?

Certes, le Hezbollah est loin d’être en situation de faillite : selon plusieurs sources convergentes, les fonds en provenance de Téhéran, considéré comme son premier bailleur de fonds, ont continué d’affluer jusque dans les dernières semaines, certains laissant même entendre une tendance à la hausse, afin notamment de contrebalancer les accusations de soutien trop timide voire d’abandon de son mandataire sur le front – ces dernières s’étant d’ailleurs intensifiées depuis ce week-end. S’il est impossible de déterminer le volume exact de ces transferts, leur volume annuel a longtemps été estimé aux alentours de 400 millions de dollars, tandis que le témoignage d’un responsable américain a fourni le chiffre de 700 millions de dollars en 2018 – sans en préciser les sources. Si des experts estiment que ce soutien financier direct et traditionnel a fluctué au fil des ans et a été affecté par le durcissement des sanctions américaines, il continuerait d’abonder en grande partie un budget parfois estimé aux alentours du milliard de dollars par certaines sources américaines. Cette enveloppe finance l’ensemble des activités de l’organisation, dont une partie de ses prestations sociales et les salaires de ses 100 000 membres revendiqués. Plusieurs sources confirment d’ailleurs à ce sujet que, contrairement à ce qu’avait laissé sous-entendre son défunt secrétaire général, ce chiffre n’inclut pas seulement les combattants, mais l’ensemble des militants, dont les employés dans des secteurs de soutien au sein des différentes institutions économiques et sociales du parti.

Drogue, contrebande et… microcrédit

Cependant, sa dépendance à cette source de financement est depuis longtemps contrebalancée par le maillage de plus en plus large et diversifié d’activités – licites ou non – que l’organisation a patiemment tissé au fil des années et des circonstances. D’abord au niveau international, où le Hezbollah est notamment accusé depuis des décennies par ses adversaires d’avoir établi des liens privilégiés avec des cartels de drogue sud-américains, en aidant notamment ces derniers à blanchir l’argent de la cocaïne – ce que ses responsables ont toujours nié. Depuis le début de la guerre syrienne en 2011, le parti de Dieu est par ailleurs soupçonné de jouer un rôle-clé dans la production et la contrebande de captagon dans la région, en coordination avec le régime de Damas. Selon une étude du cabinet de conseil Center for Operational Research and Analysis (COAR), le pays du Cèdre pesait pour environ 20 % du trafic mondial, en incluant la production et le transit via les ports libanais – des allégations que le Hezbollah n’a cessé de démentir. Cette économie souterraine inclut également les nombreuses activités de contrebande aux frontières terrestres et maritimes du pays. Le parti est notamment soupçonné d’avoir tiré profit du détournement des subventions appliquées par la BDL sur les produits de première nécessité lorsqu’elles étaient en vigueur au début de la crise financière. « La contrebande est un phénomène ancien au Liban, qui ne se limite pas au port de Beyrouth. Elle s’opère également par le port de Tripoli et à travers les points de passage illégaux à la frontière syrienne, du Akkar à la Békaa », rappelle un responsable des douanes interrogé sur l’existence de contrebande via le port de Beyrouth et sur l’implication – non exclusive, rappelle-t-il – de la milice chiite dans ces activités.

 

Sur un autre plan, le Hezbollah dispose de nombreuses entreprises et sociétés dans divers secteurs, enregistrées au nom de personnes dont les liens directs avec le parti ne sont pas facilement détectables. Ces institutions, notamment dans les secteurs de l’alimentation, des télécommunications, des équipements, de la logistique et des matériaux de construction, contribuent à financer le parti et sont sous la menace permanente des sanctions américaines, qui n’ont cessé de s’intensifier et de s’élargir ces dernières années. Mais là encore, le changement d’environnement international puis local a contraint le parti à s’adapter pour tirer son épingle du jeu : soit en trouvant des arrangements avec la banque centrale pour limiter l’impact des mesures prises sur le secteur bancaire – comme lors du « Hezbollah International Financing Prevention Act of 2015 » –, soit en profitant de l’effondrement du secteur bancaire pour capter une partie des remises de la diaspora, via des sociétés de transfert ou des changeurs proches du tandem chiite.

Et surtout en s’appuyant sur l’essor de certaines institutions, dont l’emblématique association al-Qard al-Hassan fait figure de joyau de la couronne : selon le parti, cette structure, qui se présente comme un intermédiaire entre des « contributeurs », ou mécènes, et des petits emprunteurs, détient une licence du ministère de l’Intérieur en tant qu’association caritative, solidaire et coopérative, et non comme une banque commerciale à but lucratif. Elle n’est d’ailleurs pas reconnue par la BDL, figure sur les listes antiterroristes américaines et est régulièrement pointée du doigt par les organisations internationales antiblanchiment ou le secteur bancaire local comme un facteur aggravant de l’expansion de l’économie informelle. Cela ne l’a pas empêchée de croître à un rythme impressionnant ces dernières années, d’abord en raison des sanctions américaines, puis de l’arrêt du crédit par les banques. D’après le site de l’institution, en 2022, elle comptait historiquement plus de 406 000 contributeurs et membres, et avait accordé près de deux millions de prêts, pour un montant total de 4,3 milliards de dollars depuis sa fondation en 1983. Les prêts qu’elle octroie couvrent diverses nécessités, telles que les frais de mariage ou l’installation de systèmes d’énergie solaire, dont le coût ne dépasse pas généralement quelques milliers de dollars. En contrepartie, les emprunteurs doivent, en principe, déposer de l’or en garantie. Cependant, selon des sources bancaires, la réalité est plus complexe et certains soupçonnent même que, dans certaines circonstances, le parti utilise l’institution pour ses propres besoins de financement. Un débiteur d’al-Qard al-Hassan a confié d’ailleurs craindre des défauts de paiement en série une fois la guerre terminée, pouvant affecter des dizaines de milliers de familles endettées. D’autant que plusieurs agences de l’association dans différentes régions ont subi des dommages à la suite des frappes aériennes dans la Békaa, le Sud et la banlieue sud de Beyrouth, comme cela s’était déjà produit en juillet 2006. À l’époque, six des neuf succursales alors opérationnelles (contre une trentaine le mois dernier) furent bombardées par Israël. Par conséquent, de nombreuses questions se posent maintenant quant au sort des stocks d’or gagés auprès d’elle.

Institutions sociales débordées

Il reste que dans l’immédiat, la préoccupation du parti-milice ne porte pas seulement sur les structures à travers lesquelles il est soupçonné d’alimenter son budget, mais aussi sur la capacité de l’ensemble de ses fondations caritatives et services sociaux à répondre aux besoins de sa clientèle, en première ligne dans le conflit actuel. Même si la plupart des sources interrogées estiment que le budget du parti ne bénéficie pas à l’ensemble de la communauté chiite – certains avançant le ratio d’un tiers de bénéficiaires directs ou indirects –, les salaires (versés en dollars) et, plus largement, l’ensemble des « privilèges » réservés à ses membres ou ceux qui bénéficient d’une « wasta » en matière de santé, d’éducation et d’approvisionnement ont un poids non négligeable, et désormais très affecté. C’est par exemple le cas de la « Fondation Jihad al-Binaa », dont l’initiative la plus notable remonte à l’après-guerre de 2006, avec la reconstruction de logements détruits, principalement financée par l’Iran et le Qatar, et dont les autres initiatives – telles que le forage de puits ou les formations en agriculture et en médecine vétérinaire – sont demeurées marginales. Parmi les institutions affiliées, on trouve également l’Organisation islamique de santé, forte de plus de 45 succursales réparties dans la Békaa, le sud du Liban et la banlieue sud de Beyrouth. Conçue pour répondre aux situations d’urgence, elle a néanmoins récemment révélé ses faiblesses : « L’activité de cette institution s’est considérablement réduite, du fait de sa propre vulnérabilité aux bombardements », explique l’un de ses employés. De même, les activités de l’Organisation islamique de secours humanitaire restent limitées et ne s’adressent qu’à un cercle restreint de proches et de partisans du parti, et les aides qu’elle distribue peinent à suffire aux besoins, qui ont été multipliés de manière exponentielle. « Nous attendons que la tempête s’apaise pour voir dans quelle mesure nous pourrons contribuer », confie l’un de ses membres. Quant à la Fondation du martyr, qui a pour mission de verser des salaires aux familles des victimes et de garantir l’éducation de leurs enfants via des dizaines d’écoles réparties dans les zones chiites du pays, elle doit désormais composer avec des milliers de familles se retrouvant dans l’incapacité de régler les frais de scolarité. Or, selon nos informations, l’augmentation de ces derniers lui avait assuré une certaine autonomie financière qui devra être désormais compensée par le parti. Enfin, les limites de la Fondation des blessés se sont aussi cruellement manifestées ces dernières semaines, notamment après l’« attaque des bipeurs » : le seul grand hôpital affilié au parti, al-Rassoul al-Aazam, ayant déjà été submergé par l’afflux massif de blessés graves des bombardements précédents, des dizaines de patients souffrant de blessures critiques aux yeux et aux membres ont été évacués vers des hôpitaux spécialisés à Téhéran. Surtout, plus de 90 % des blessés lors de cette attaque ont dû être pris en charge dans des hôpitaux publics ou privés sans aucun lien avec le Hezbollah, selon une source au ministère de la Santé.

lorientlejour.com

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