EDITORIAL. Michel Barnier et le test d’octobre, par Michaël Darmon.
Michel Barnier est en effet l’exact contre-exemple de la révolution macronienne prônée en 2017, censée enterrer le « monde d’avant », la formule en vogue à cette époque.
C’est la leçon paradoxale de l’époque Macron : lorsque la droite perd, elle se retrouve au gouvernement. Ce fut déjà le cas en 2017 avec Édouard Philippe, premier soutien d’Alain Juppé, perdant de la primaire de 2016, qui s’en est allé négocier avec le président Macron son poste de Premier ministre, planqué sous une couverture à l’arrière d’une voiture. À l’été 2024, c’est au grand jour, posant un regard placide sur les gesticulations de la Première ministre des plages Lucie Castet, que Michel Barnier entamait une série de consultations avec le bras droit d’Emmanuel Macron, sur la possibilité d’entrer à Matignon.
Résultat : la droite, quatrième force politique aux législatives anticipées, hérite de la tête du gouvernement pour la première fois depuis douze ans. C’est la clarification façon Macron après sept ans au pouvoir : pour gagner, il faut donc commencer par perdre. Cela relève de la pure mystique politique : les derniers sont les premiers.
Autre signe : la nomination du Premier ministre s’inspire étonnamment de l’esprit des JO, mais il s’agit des Jeux Olympiques de 1992, dont Michel Barnier a été le grand ordonnateur avec le champion de ski Jean-Claude Killy. Michel Barnier est en effet l’exact contre-exemple de la révolution macronienne prônée en 2017, censée enterrer le « monde d’avant », la formule en vogue à cette époque.
Le candidat Macron fustigeait alors la ringardise des élus franchissant les étapes et gravissant patiemment les échelons. En cela, Michel Barnier est un pur produit de cette culture politique : depuis son mandat local à Bourg-Saint-Maurice en Savoie, il a occupé à peu près tous les postes et mandats que la politique propose. Piton après piton, le montagnard a progressé sur les versants du pouvoir et est devenu premier de cordée du président Macron à l’ancienneté. Une fois au sommet du gouvernement, Michel Barnier a planté sur le perron de l’hôtel Matignon le drapeau signifiant la fin du macronisme.
Le passage de relais à rebours, le plus jeune Premier ministre de la Ve République transmettant les clés du gouvernement au plus âgé des Premiers ministres, a scellé cet état de fait. Il faut garder à l’esprit l’ironie doucereuse de Michel Barnier – « nous allons beaucoup plus agir et moins parler », « les solutions peuvent venir d’en bas et non pas de la part de ceux qui pensent en haut qu’ils ont la science infuse » – pour comprendre à quel point les tenants « du système » sont satisfaits de la situation : le pouvoir, kidnappé par les macronistes accusés d’arrogance depuis 2017, est revenu entre les mains des partisans du classique clivage droite-gauche. Clap de fin, le macronisme aura duré un septennat.
Il a maintes fois été expliqué dans ces colonnes que le « en même temps » n’était qu’un paravent et que le projet de Macron était de siphonner la droite. Ce fut le cas jusqu’en 2022. Mais depuis, affecté par une cécité politique, Emmanuel Macron s’est pris le mur des réalités et c’est la droite qui liquide le macronisme. Faible mais performante, il y a du David contre Goliath dans cette partie jouée par LR.
Emmanuel Macron a donc promis de ne pas se mêler du gouvernement. À la demande du montagnard Barnier, qui s’y connaît en corde de rappel, les liens de gouvernance entre l’Élysée et Matignon ont été rompus. Plus de conseillers communs aux deux maisons ni de réunions gouvernementales avec l’œil de Moscou de l’Élysée.
Pourtant, Michel Barnier n’est pas à l’abri de dévisser : il suffirait pour cela que Marine Le Pen le décide et censure son gouvernement lors d’un vote de confiance. C’est un autre paradoxe macronien : après avoir incité les Français à faire barrage au RN durant les élections législatives anticipées, Marine Le Pen a bénéficié du pouvoir d’arbitre pour le choix du Premier ministre. Désormais, le maître des horloges n’est plus en mesure de donner l’heure. La chance de Michel Barnier réside dans le fait que Marine Le Pen a décidé de se donner du temps afin de tirer les enseignements de son échec aux portes du pouvoir. Le retour d’expérience, comme disent les militaires, après les élections de l’été 2024 a été rude et la candidate RN pour l’Élysée a réorganisé ces jours-ci sa garde rapprochée et se dote des outils manquants pour organiser plus efficacement la conquête du pouvoir.
De plus, même si le gouvernement devait tomber lors de la bataille du budget, une dissolution de l’Assemblée nationale est impossible avant juillet 2025. Dans ce contexte, le débat public commence à faire une petite place à la question de la démission d’Emmanuel Macron en cas de blocage prolongé du gouvernement. Pourtant, Emmanuel Macron n’est pas dans cet état d’esprit, il découvre les avantages d’être un président en retrait dans une sorte de « coexistence » et de « colocation », ses mains protégées du cambouis gouvernemental.
Marine Le Pen cherche du temps, Emmanuel Macron veut profiter du temps qui lui reste au pouvoir : deux raisons de penser que Michel Barnier pourrait être assuré d’avoir du temps.
Michel Barnier a fait preuve d’une grande empathie en se rendant au chevet des Israéliens meurtris peu après le massacre du 7 octobre 2023.
Les Jeux sont finis mais les jeux ne sont pas faits pour autant. Michel Barnier, dont le talent a toujours consisté à ne pas se préoccuper de ce qui est dit sur son compte, et heureusement tant ses pairs ont toujours eu la dent dure sur son style suranné, lent et peu charismatique, est en réalité obstiné, méthodique et habité d’une très haute opinion de lui. Il va avoir besoin de son assurance pour passer le test du mois d’octobre dès les premiers pas de son gouvernement sur le terrain miné du budget national.
Autre test très attendu : Michel Barnier a fait preuve d’une grande empathie en se rendant au chevet des Israéliens meurtris peu après le massacre du 7 octobre 2023. Nul doute qu’il aura à cœur d’exprimer son sentiment lors des cérémonies marquant la première année du pogrom dans les localités du Sud d’Israël. Le Premier ministre a promis « des changements et des ruptures ». On verra alors si le terrain du Proche-Orient sera le terrain où s’exprimera une première différence avec le discours habituel de la présidence et la diplomatie françaises.
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