Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font : ce propos de Raymond Aron pourrait s’appliquer au journaliste et essayiste israélien Mati Ben-Avraham qui vient de s’éteindre à Jérusalem.
Journaliste féru d’histoire et écrivain en quête d’identité, Mati Ben-Avraham donne une leçon de vie aux Israéliens qui hésitent parfois à faire la distinction entre religion et culture.
Mati Ben-Avraham restera longtemps discret sur son parcours identitaire. Dans un rare entretien à la webradio Studio Qualita diffusé en février 2022 depuis Jérusalem, il racontera qu’il a vu le jour en Corse sous le nom de Mathieu Paoli, de père inconnu et rejeté par sa mère.
Bon d’être Israélien.
A priori, rien ne prédestinait le Corse à devenir Israélien. De Paris à Genève, Mati Ben-Avraham embrassera le métier de journaliste ; il découvrira le judaïsme au contact de ses nombreux amis juifs et de la communauté juive de Genève, et notamment de son grand-rabbin, Alexandre Safran.
Sa carrière professionnelle le conduira en Israël en 1973 au lendemain de la guerre de Kippour, avec pour mission de réaliser des reportages pour la télé suisse. Sa rencontre avec le Rav Léon Askénazi (Manitou), qui venait de créer le centre d’études Maayanot à Jérusalem, marquera un tournant dans sa vie.
Converti au judaïsme, ce Corse de naissance s’installe à Jérusalem et fonde une famille. Sa carrière professionnelle connaît alors un nouveau départ : journaliste et réalisateur TV, il a longtemps dirigé le bureau francophone de la radio publique israélienne Kol Israel ; pour de nombreux auditeurs, sa voix chaleureuse restera la « Voix d’Israël émettant de Jérusalem ».
Homme aux multiples facettes, Mati Ben-Avraham était aussi diplômé de l’Ecole des Guides du ministère israélien du Tourisme ; une autre manière pour lui de mieux connaître son pays d’adoption, de mieux s’intégrer.
Maniant l’humour avec finesse, il affirmera sur sa page Facebook qu’il « est bon d’être citoyen d’un Etat qui comprend huit millions de Premier ministre, huit millions de prophètes, huit millions de messie ».
Culture et religion.
S’il fut surtout un homme de radio et de télé, Mati Ben-Avraham se lancera tardivement dans l’écriture. Une décennie durant, MBA (comme il signait parfois ses articles) sera éditorialiste pour le site d’informations économiques IsraelValley avant de se lancer dans l’écriture de livres.
J’ai eu le grand plaisir de partager avec lui, en 2015, la rédaction de son premier ouvrage Les Israéliens, hypercréatifs ! Dans l’introduction qu’il rédigera, il expliquera comment la société israélienne a évolué en citant Ben Gourion qui disait « celui qui ne croit pas au miracle n’est pas réaliste ».
A l’occasion du 70e anniversaire de l’indépendance israélienne, Mati Ben-Avraham publiera son second livre, Métamorphoses d’Israël depuis 1948 ; l’avant-propos débute avec une citation d’André Malraux : « Les Israéliens ne continuent pas les Israélites, ils les métamorphosent », des mots qui, pour MBA, condensent l’essence même du sionisme.
Et pour cause : pour Mati Ben-Avraham aussi, son histoire a modifié son identité, sa plus grande fierté étant d’être Israélien. Il aimait répéter que pour lui, être Juif c’est d’abord une question de culture et non un fait religieux.
Ensemble, nous partagerons l’écriture d’autres articles, notamment en 2019 une contribution commune à la revue La Règle du Jeu fondée par Bernard-Henri Levy et qui s’intitulera « L’optimisme israélien se nourrit de sa fragilité ».
D’intervieweur à interviewé
D’intervieweur chevronné, MBA passera au statut d’interviewé ; radios, télévisions et journaux à travers le monde le solliciteront fréquemment comme un observateur privilégié de la réalité d’Israël d’hier et d’aujourd’hui.
Son Dictionnaire insolite d’Israël paru en 2021 sera son dernier livre, presque un testament ; il y développera son amour pour ce pays, depuis l’histoire et l’archéologie, en passant par la gastronomie et l’art de vivre.
Car Mati Ben-Avraham aimait aussi les plaisirs de la vie ; il connaissait les méandres du marché Mahané Yehouda à Jérusalem, il savait siroter un bon café, recommander le meilleur vin et déguster un bon fromage.
Un homme de famille aussi qui disait en toute simplicité : « Je suis venu ici, j’ai fondé une famille avec mon épouse, j’ai des enfants, des petits enfants, que demander de mieux ? Rien, c’est une vie réussie ! » Une leçon de vie…
JACQUES BENDELAC.
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