Dans le match qui l’oppose à la Chine, l’Inde a marqué un point de plus en recevant davantage d’investissements directs étrangers que son puissant voisin en 2023. La partie a définitivement basculé. Parmi les grandes économies du monde, elle est celle où la croissance sera la plus forte en 2024 ; sa performance surpasse celle de l’Empire du milieu depuis 2014 (excepté pendant la crise de la Covid) et l’écart devrait se maintenir ces quatre prochaines années selon le FMI.
Démographie et amélioration des infrastructures, les clés du succès
Elle bénéficie pour cela de deux atouts majeurs. Le premier, sa dynamique démographie. Elle a ravi à son voisin la place du pays le plus peuplé du globe et la différence ira en se creusant avec d’une côté un pays vieillissant dont la population en âge de travailler recule et, de l’autre, un pays où elle progresse encore et lui assure une plus grande capacité à générer de la croissance.
Second avantage, les gains de productivité en cours et à venir issus des investissements massifs en infrastructures. La Chine a commencé son grand bond en avant il y a 20 ans. L’Inde a débuté le sien plus tard. Les deux pays ne sont donc pas dans la même phase de développement. Le gouvernement indien aura ainsi plus que triplé en dix ans ses dépenses dans les infrastructures ferroviaires, aéroportuaires, routières afin de favoriser son développement économique et industriel. Cet effort représente aujourd’hui plus de 5% du PIB.
Une puissance économique à relativiser
L’économie indienne devrait donc connaître une croissance durablement forte mais cela n’en fait pas pour autant une force motrice régionale supérieure à la Chine. Il faut mesurer dans un premier temps la puissance du moteur qui est le fruit du couple moteur (la taille de l’économie) et du régime moteur (son rythme d’expansion). Or, l’Inde demeure une petite cylindrée ne représentant pas beaucoup plus que 10% du PIB régional : c’est 5 fois moins que la Chine. La comparaison directe entre les deux puissances est aussi sans nuance : aux coudes à coudes il y a 30 ans, le PIB de l’Inde représente aujourd’hui moins du quart de celui de son rival.
Quant à la capacité du pays à maintenir dans un temps long un régime de croissance très élevé, il faut rester prudent. Les fondamentaux sont peut-être bons, mais ils ne sont pas pour autant un totem d’immunité. La question se pose à court terme, par exemple, sur la formation en cours d’une bulle financière avec : la croissance ultra rapide du crédit aux entreprises et aux ménages ; la flambée des cours en bourse ; et des prix de l’immobilier.
Défis sociaux et économiques persistants
Un incident de parcours est donc toujours possible. Sur un espace long le terrain semble dégagé mais il n’est pas pour autant sans embûches. Le défi majeur du pays, faire émerger et prospérer une puissante classe moyenne reste à relever. Cela passe par la transformation des bases sectorielles de l’économie, la formation d’une main-d’œuvre compétitive, la création massive d’emplois pour absorber l’arrivée de 13 millions de nouveaux travailleurs chaque année, mais aussi d’extirper de la pauvreté une partie de sa population et de réduire les inégalités. Sur tous ces fronts les avancées sont très lentes. La répartition de l’emploi par secteur dévoile une économie encore largement agraire avec près de 45% des emplois liés à l’agriculture contre moins du quart en Chine et ces personnes n’ont pas vu leurs revenus augmenter sensiblement ces dernières années. Le système éducatif reste en partie déficient, 450 millions de personnes sont sans travail, un tiers des enfants souffrent de malnutrition. Le niveau de vie des Indiens, appréhendé à travers le PIB par habitant, est devenu 5 fois inférieur à celui des Chinois.
La puissance du moteur indien demeure donc limitée à quoi s’ajoute un contenu en importations régionales de la croissance relativement faible. Bien qu’en hausse, la part de l’Inde dans les exportations des principales économies asiatiques est marginale ne serait-ce que parce que l’essentiel de l’activité est porté par des secteurs tels que l’agriculture, le secteur minier, le BTP, les services informatiques et financiers peu gourmands en intrants extérieurs. L’ascension économique de l’Inde ne fait pas de doute, mais elle restera longtemps encore dans l’ombre de son puissant voisin qui n’entend pas se laisser détrôner de sa place de leader asiatique.