L’ancien homme fort du Fatah à Gaza, Mohammed Dahlan, a passé plus d’une décennie en exil aux Émirats arabes unis où il conseille désormais le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed. Pourtant, le nom de cet ancien chef de la sécurité de l’Autorité palestinienne dans l’enclave est souvent cité comme un possible futur dirigeant des Palestiniens à Gaza, en cas d’éviction du Hamas par Israël.
« Mohammed Dahlan est originaire de Gaza, c’est un des héros de la première intifada (1987-1993). Il a le soutien des Israéliens et le soutien des Américains », explique Stéphane Amar, correspondant de France 24 en Israël. « Mais la question est de savoir s’il sera à même d’imposer son pouvoir. Plusieurs options sont sur la table dans l’hypothèse où Israël réussirait à détrôner le Hamas dans la bande de Gaza », ajoute le journaliste.
« Dahlan est israélo-compatible », poursuit Frédéric Encel, docteur en géopolitique et spécialiste du Proche-Orient. « Il est l’un des premiers [dirigeants palestiniens] à avoir accepté une solution à deux États et à avoir arrêté la voix armée ».
Le dialogue qu’il a jadis entretenu avec l’État hébreu n’est cependant pas du goût de tous les Palestiniens. L’ex-dirigeant palestinien, qui a participé à toutes les négociations avec les Israéliens du temps où il occupait des fonctions sécuritaires, n’a pas l’aura de Marwan Barghouti, surnommé « le Mandela de la Palestine », explique Frédéric Encel. Cet ancien chef du Tanzim – la branche armée du Fatah fondée en 1995 par Yasser Arafat – est actuellement emprisonné en Israël, où il a déjà passé plus de 20 ans derrière les barreaux.
Des relations dans tous les camps
Mohammad Dahlan a passé, lui aussi, une grande partie des années 1980 dans les prisons israéliennes, où il a appris à parler couramment l’hébreu, écrit le journal The Economist qui s’est entretenu fin octobre avec lui.
S’il n’a pas la légitimité populaire de Marwan Barghouti, l’enfant du pays, né à Khan Younès au sud de la bande de Gaza, dispose cependant de sérieux atouts tactiques. Il a grandi aux côtés d’une grande partie des dirigeants actuels du Hamas ; il dispose de relations dans tous les camps, mais aussi ennemis, particulièrement au sein du groupe islamiste contre lequel il a œuvré lors de la guerre civile de 2007. Enfin, il était conseiller palestinien à la sécurité nationale lorsque l’Autorité palestinienne a perdu le contrôle de Gaza cette année-là.
Mais Mohammad Dahlan a aussi des ennemis au sein du Fatah, notamment dans le cercle restreint de Mahmoud Abbas, le président vieillissant de l’Autorité palestinienne. C’est ce dernier qui le pousse à l’exil en 2011 après l’avoir fait expulser du groupe politique palestinien et lancé contre lui des poursuites pour détournement de fonds. Mohammad Dahlan sera d’ailleurs condamné par contumace pour corruption en 2016.
Un spectaculaire réseau d’influence.
Loin d’avoir chômé durant ces années d’exil, Mohammed Dahlan s’est converti en homme d’affaires sous la houlette des Émirats arabes unis. Il s’est fait beaucoup d’amis haut placés du Nil à Belgrade en passant par Khartoum, et il dispose désormais d’un spectaculaire réseau d’influence international qu’il a passé des années à tisser auprès du prince héritier d’Abou Dhabi dont il est le protégé. Ce dernier, de la même génération que Mohammed Dahlan qu’il connaît depuis 1993, le présente en public comme son « frère ».
Le Palestinien entretient aussi des liens étroits avec le président égyptien, Abdel-Fattah al-Sissi, avec lequel il partage une hostilité envers les Frères musulmans – dont le Hamas est une émanation.
« Les Émirats ont fait de Dahlan leur sous-traitant dans la lutte contre les Frères musulmans (…) De tous les leaders palestiniens de la seconde génération, il est celui qui a le plus de contacts haut placés dans la région. C’est devenu une véritable pieuvre », confiait au Monde, sous couvert d’anonymat, un journaliste palestinien de Ramallah en 2017.
Dans son article, le quotidien français, qui a enquêté sur Mohammed Dahlan, révélait que l’homme d’affaires est détenteur d’un passeport serbe, offert pour « ses bons offices » par la Serbie d’Aleksandar Vucic, après que les Émirats ont décroché de juteux contrats sur le territoire balkanique. Mohammed Dahlan aurait pu jouer un rôle plus opaque, selon l’enquête du Monde, dans la livraison possible d’armes émiraties acquises dans le Balkans pour le camp du maréchal Haftar, en Libye.
« 50 millions de dollars par an vers Gaza »
Grâce au parrainage des Émirats arabe unis, Mohammad Dahlan dispose aussi d’un portefeuille bien garni pour distribuer de l’aide à Gaza. Ces dernières années, « il affirme avoir acheminé environ 50 millions de dollars par an des Émirats arabes unis vers Gaza. Il a également mis en place un réseau de soutien dans les camps de réfugiés de Cisjordanie », révèle The Economist.
Ses amitiés au Caire ont sans doute contribué à faire ouvrir le terminal de Rafah plus d’une fois. Comme en 2015, lorsque les autorités égyptiennes laissent son épouse Jalila rentrer dans la bande de Gaza avec des valises pleines d’argent liquide pour financer un mariage collectif pour 400 Gazaouis.
Ces dernières années, l’argent émirati a servi à Mohammed Dahlan à distribuer de la nourriture aux plus démunis, de l’argent aux sans-emploi, des bourses aux étudiants, mais aussi à livrer des milliers de vaccins aux Gazaouis durant la pandémie de Covid en 2021.
« Abou Dhabi détient une des clefs »
Bien qu’il soit basé à l’étranger, le protégé d’Abou Dhabi qui, à lui seul, a réussi à fournir plus de vaccins anti-Covid à Gaza que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, reste donc un personnage puissant dans l’enclave.
Or comme le rappelle Frédéric Encel, les Émirats arabes unis auront un rôle à jouer dans la reconstruction de ce territoire en grande partie détruit par les bombardements israéliens. « Si le Hamas est défait, ce n’est pas le Qatar – proche du groupe islamiste – qui va reconstruite Gaza. Abou Dhabi détient une des clefs. Si le Hamas est détruit, il aura voix au chapitre sur son successeur », conclut le chercheur.
De son côté, Mohammed Dahlan a nié toute volonté de s’engager à la tête d’un futur pouvoir palestinien post-Hamas. Dans l’entretien accordé à The Economist le 30 octobre, il encourage plutôt l’établissement d’un « gouvernement composé de technocrates de Gaza et de Cisjordanie pendant deux ans ». À l’issue de cette période de transition, des élections parlementaires pourraient avoir lieu sans exclure le Hamas, « qui ne va pas disparaître », dit-il.
« Même après cette guerre, il serait impossible de gouverner Gaza sans son consentement », affirme-t-il. Mohammed Dahlan estime aussi que des États arabes tels que l’Égypte, la Jordanie, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pourraient soutenir l’organe de transition palestinien. Mais, rappelle-t-il, « cet État palestinien devrait alors être reconnu internationalement, y compris par Israël ».
Une solution qui va à l’encontre des volontés de Benjamin Netanyahu, opposé à un processus politique pouvant déboucher sur un État palestinien. Le Premier ministre de l’État hébreu a énoncé lundi 6 novembre son propre scénario : Israël, a-t-il dit dans un entretien à la chaine américaine ABC, devra « assumer, pour une durée indéterminée, la responsabilité générale de la sécurité » dans la bande de Gaza une fois ses objectifs atteints.
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