Procès antimonopole : pour le patron de Google, loin de tuer la concurrence, son entreprise la stimule.

Sundar Pichai a défendu ce lundi le groupe qu’il dirige contre les accusations d’entrave à la concurrence adressées par le Département de la Justice des États-Unis. Au centre de ce procès, un accord entre Alphabet et Apple pour faire de Google le moteur de recherche par défaut sur iPhone et Mac.

Le groupe Alphabet profite-t-il de sa position dominante pour écraser toute concurrence à son moteur de recherche ? Le dirigeant de l’entreprise, Sundar Pichai, était appelé à la barre ce lundi pour se défendre contre un procès intenté par le Département de la Justice américain, qui a démarré mi-septembre et dans lequel le géant californien est accusé d’enfreindre les lois antimonopoles du pays.

Il s’agit du premier procès de ce genre depuis l’assignation en justice de Microsoft à la fin des années 1990. L’entreprise avait alors échappé de justesse au démantèlement en permettant aux fabricants de PC d’installer des logiciels tiers sur leurs machines.

Un arrangement « oligopolistique » dénonce le patron de Microsoft

Le principal grief adressé à Alphabet est un accord conclu avec Apple. Le premier verse chaque année au second une importante somme d’argent en échange du maintien de Google comme moteur de recherche par défaut sur les smartphones et ordinateurs de la marque à la pomme. Un avantage non négligeable, quand on sait que l’iPhone détient près de 30% de parts de marché au niveau mondial.

 

Si la somme exacte réglée à Apple est inconnue, on sait que Google a payé en 2021 26,3 milliards de dollars pour assurer sa position de moteur de recherche par défaut, dont la majorité est allée à Apple. Le New York Times estime ainsi à 18 milliards le tribut versé à la marque à la pomme par Google cette année-là. Sundar Pichai a conduit en personne les négociations avec Apple autour de cette entente en 2016, et échangé régulièrement avec le patron d’Apple, Tim Cook, pour permettre sa poursuite.

Certains concurrents de Google, et non des moindres, affirment que cette entente tue la compétition dans l’œuf. Appelé lui aussi à la barre pour témoigner, le dirigeant de Microsoft, Satya Nadella, a dénoncé un arrangement « oligopolistique » nuisant à son propre produit concurrent, Bing, et faisant du web un « Google Web ». Selon lui, très peu d’utilisateurs ont en effet le réflexe de changer le moteur de recherche installé par défaut sur leur appareil.

Meilleurs ennemis ?

Des critiques auxquelles la tête pensante de Google s’est efforcée de répondre ce lundi. La première ligne de défense adoptée par Sundar Pichai a consisté à dire que son moteur de recherche s’était imposé car il était tout simplement supérieur à la concurrence, et non grâce à des tractations secrètes avec d’autres poids lourds du marché. Il a notamment pointé des choix en matière de design et d’expérience utilisateur, en particulier une intégration stratégique avec le navigateur Chrome, décidée il y a plusieurs années.

« Nous avons compris très tôt que les navigateurs sont un outil critique pour utiliser le web et y chercher l’information », a-t-il affirmé. À l’appui de ses thèses, son avocat, John Schimdtlein, a présenté des recherches datant de 2010 montrant que les utilisateurs passant d’Internet Explorer à Chrome effectuaient 48% de requêtes supplémentaires sur Google.

 

Deuxième argument avancé par Sundar Pichai : Google aurait stimulé et non appauvri la concurrence. Ainsi, lors du lancement de Chrome en 2008, le marché des navigateurs était dominé par Explorer, un leader « stagnant », selon les mots du patron d’Alphabet, qui n’était mis à jour qu’une fois tous les deux ans, là où Chrome a immédiatement proposé une nouvelle version toutes les six semaines. Sundar Pichai a également souligné que son système d’exploitation Android, concurrent d’iOS, avait permis de stimuler la concurrence sur le marché du smartphone, avec à la clef de meilleurs appareils pour les utilisateurs.

Ce qui nous amène à la troisième ligne de défense : loin de former un oligopole, Alphabet et Apple se livreraient une « féroce concurrence ». Pour preuve, le patron de Google a dégainé un email adressé à ses cadres pour leur demander de l’avertir chaque fois qu’un employé travaillant sur son moteur de recherche partait chez Apple. Il a également souligné que l’accord avec Apple avait fait l’objet d’âpres négociations, la marque à la pomme voulant une somme bien supérieure à celle avancée au départ par Google.

Un séisme sur le marché publicitaire

Il est encore trop tôt pour dire si les mots du dirigeant de Google ont su convaincre ses détracteurs. Dans le cas inverse, les conséquences pourraient être considérables, et pas seulement pour le géant californien. « Si l’accord entre les deux entreprises est décrété comme illégal, Apple ouvrirait ses téléphones à d’autres moteurs, ce qui réduirait la part de marché de Google sur la recherche en ligne, donc ses revenus tirés de la publicité. Cela constituerait un séisme sur le marché publicitaire », décrypte Darrell West, chercheur spécialisé dans la régulation des nouvelles technologies à la Brookings Institution, un laboratoire d’idées.

 

Quelle que soit l’issue du procès, la tenue de celui-ci est d’ores et déjà historique, et constitue la preuve d’un infléchissement dans la politique de l’administration Biden vis-à-vis de la Silicon Valley par rapport aux précédentes. En choisissant Lina Khan pour mener la Federal Trade Commission (FTC), le gendarme de la concurrence, puis Jonathan Kanter à la tête de la Division antimonopole du Département de la Justice, l’administration Biden a choisi deux partisans d’une ligne dure contre les géants technologiques à des postes clefs. Alphabet n’est pas le seul à en faire les frais : la FTC a également ouvert deux procès antimonopole contre Amazon et Meta. On est loin de l’état de grâce dont ces entreprises bénéficiaient sous la présidence Obama.

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