LIBRE PAROLE. C’est en plein cœur de l’été qu’un évènement exceptionnel a eu lieu en Israël : le 18 août, une ligne de tramway-métro a été inaugurée dans la métropole de Tel Aviv. Il aura fallu plus de vingt ans pour achever ce projet grandiose, un retard symptomatique d’un mal qui ronge Israël : le déclin des investissements publics.
Depuis deux décennies, l’Etat investit de moins en moins d’argent pour construire des routes, des métros, des centrales électriques, des logements, des crèches, des hôpitaux, etc. Résultat : les Israéliens souffrent régulièrement des pannes d’électricité, des routes encombrées, des classes surchargées et des lits d’hôpitaux dans les couloirs.
Selon l’édition 2023 du Panorama des administrations publiques que l’OCDE vient de publier, Israël reste à la traîne des pays occidentaux pour ses dépenses publiques d’investissement ; l’Etat juif y consacre 2,9 % de son PIB contre 3,3 % pour la moyenne de l’OCDE. Le rapport remarque surtout qu’Israël est un des pays qui « a connu les plus fortes baisses d’investissement en pourcentage des dépenses totales au cours des dernières années ».
Comment Israël en est arrivé là ? Il faut retourner une vingtaine d’années en arrière pour trouver l’explication de cet incroyable retard.
Vingt ans de libéralisme
C’est en 2003, il y a juste vingt ans, qu’Israël a pris le virage du libéralisme économique ; en devenant le grand argentier du gouvernement d’Ariel Sharon, Netanyahou a appliqué l’idéologie ultra-libérale à laquelle il a adhéré durant ses années passées aux Etats-Unis et qui se caractérise par la non-intervention de l’Etat dans l’économie, la privatisation généralisée et l’absence de toute régulation étatique.
Concrètement, le processus de libéralisation lancé par le ministre des Finances Netanyahou comprenait une baisse des dépenses publiques, la réduction de la pression fiscale, des coupes dans les allocations sociales et la privatisation des entreprises publiques.
En abaissant l’investissement public à son minimum, les dirigeants israéliens ont cru que l’investissement privé prendrait le relais ; ce fut loin d’être le cas.
Résultat du libéralisme à l’israélienne : les services publics en Israël sont de moins en moins « publics » et de plus en plus chers. Il ne faut donc pas s’étonner si le pays a pris du retard dans des activités déterminantes pour l’avenir du pays comme la recherche et développement (R&D), le recyclage des déchets, le développement digital ou la lutte contre le réchauffement climatique.
La fin de l’Etat
Les rapports internationaux de ces dernières années pointent du doigt les conséquences néfastes du désinvestissement public sur la vie quotidienne des Israéliens ; quelques exemples suffiront à illustrer le retard pris par Israël dans le développement de ses infrastructures, même les plus élémentaires comme routes, éducation et santé.
Dans le domaine routier par exemple, le rapport Going for Growth 2021 de l’OCDE sur l’économie israélienne est sans équivoque : « L’infrastructure de transport d’Israël est nettement en retard par rapport à la plupart des autres pays de l’OCDE et, par conséquent, la congestion routière est l’une des pires de l’OCDE ».
Dans l’éducation, la taille moyenne des classes est un autre indicateur de l’insuffisance de l’investissement public. Selon Regards sur l’éducation 2021 de l’OCDE, dans l’enseignement primaire, les élèves sont en moyenne 21 par classe dans les pays de l’OCDE mais 27 élèves par classe en Israël ; dans l’enseignement secondaire, les élèves sont en moyenne 23 par classe dans les pays de l’OCDE mais 29 élèves en Israël.
Même retard dans la santé : l’insuffisance du nombre de lits d’hôpitaux s’explique par le refus de l’Etat de financer de nouvelles infrastructures médicales alors que la population du pays s’accroît et vieillit. Selon le Panorama de la santé 2021, le nombre de lits d’hôpitaux en Israël est particulièrement bas : seulement 3 lits pour mille habitants contre 4,4 lits en moyenne dans les pays de l’OCDE (et 5,8 lits en France).
Inutile d’allonger la liste : le retard dans les infrastructures n’a fait que s’accroître au fil des ans.
Le dernier exemple en date est bien la ligne de tramway reliant Bat-Yam à Petah-Tikva en passant par Tel-Aviv : lancée par le gouvernement israélien en 2000, elle a été inaugurée le 18 août dernier, 23 ans plus tard…
Le cheval de Caligula ou le pouvoir d’un seul homme
Après l’hospitalisation samedi de Benyamin Netanyahou, on est en droit de se demander s’il est raisonnable que le Premier ministre israélien n’ait pas désigné un ministre qui assure son intérim en cas de vacance du pouvoir.
Pour d’aucuns, la question paraîtra superficielle à un moment où le critère de raisonnabilité est en passe d’être supprimé ou affaibli dans le droit israélien.
La limitation de la référence au raisonnable pour rejeter une décision du gouvernement israélien va consacrer la suprématie de la politique sur la compétence professionnelle.
Ce volet de la réforme judiciaire a rappelé à de nombreux commentateurs une autre époque où un empereur romain voulait nommer son cheval consul.
Déséquilibre des pouvoirs
L’adoption en première lecture par la Knesset de la loi visant à limiter l’usage du critère de raisonnabilité pour annuler une décision gouvernementale constitue un volet important de la réforme judiciaire.
Lorsque la loi sera définitivement approuvée, la Cour suprême ne pourra plus invalider une décision du gouvernement ou d’un ministre au motif qu’elle n’est pas raisonnable.
Autrement dit, le pouvoir exécutif ne serait plus soumis au pouvoir judiciaire pour contrôler certaines de ses actions, concernant notamment les nominations de fonctionnaires, le rapport Etat-religions, l’octroi de crédits publics et autres.
La limitation de l’usage du critère de raisonnabilité n’est qu’une première étape d’une réforme qui va affaiblir le pouvoir judiciaire au profit du pouvoir exécutif.
Depuis son retour au sommet de l’Etat en décembre dernier, Benyamin Netanyahou, mis en accusation pour corruption et prises illégales d’intérêts, fait tout pour se perpétuer au pouvoir, quitte à mettre en péril les principes démocratiques d’Israël ; en voici quelques exemples.
Suprématie de la politique
La nomination des juges par la coalition gouvernementale donnera au pouvoir exécutif la prérogative de nommer des hauts magistrats et juges de la Cour suprême qui seront soumis à sa cause.
La mise en accusation de Netanyahou accélèrera aussi la volonté politique d’une séparation de la fonction de Conseiller juridique du gouvernement de celle de Procureur général qui serait plus favorable au premier ministre.
De même, la modification des modalités de recrutement des conseillers juridiques qui existent dans chaque administration permettrait de les transformer en postes marqués par un lien de confiance et révocables à tout moment.
Ces projets de réforme permettront de révoquer aisément des hauts fonctionnaires, directeurs de cabinet et directeurs d’entreprises publiques qui déplaisent à leur ministre de tutelle, et d’en nommer d’autres en fonction de leur couleur politique et non plus selon leurs compétences professionnelles.
Comme si de rien n’était
Après le vote en première lecture de l’amendement à la loi sur le pouvoir judiciaire (critère de raisonnabilité), plusieurs éditorialistes israéliens ont évoqué l’empereur romain Caligula qui voulait nommer son cheval consul ; une désignation qui est restée le symbole de la suprématie de la politique sur la compétence.
Certes, personne ne prétend comparer l’Etat d’Israël à l’empire romain et Netanyahou n’est pas Caligula.
Il reste qu’après l’adoption de la réforme judiciaire, rien n’empêchera un premier ministre israélien de nommer son épouse au poste de directrice de cabinet ou son fils consul à New-York.
En l’absence de tout contrôle judiciaire, rien n’empêcherait un chef de gouvernement de nommer ministre un délinquant, condamné plusieurs fois pour fraude fiscale et abus de pouvoir, qui a effectué une peine de prison ferme et qui reviendrait sur les « lieux du crime », comme si de rien n’était…
Même après son admission aux urgences samedi dernier, Benyamin Netanyahou continue de peaufiner son image d’homme fort, qui maîtrise les médias et entretient le culte de sa personnalité ; oubliant qu’aussi fort soit-il, un homme politique n’est ni irremplaçable, ni immortel…