Des entreprises israéliennes qui innovent en alimentation, on en entend parler chaque semaine. C’est vrai pour les protéines non animales – nommées « alternatives » – issues de plantes, d’algues, de champignons ou de micro-organismes et Israël se targue d’être le second pays en termes d’investissement dans le domaine et avec un peu plus d’un milliard de dollars investi de 2020 à 2022, l’Etat hébreu coiffe le Royaume-Uni et le Chili au poteau pour se placer juste derrière le géant américain.
Mais ce constat n’est pas surprenant pour un petit pays bâti dans le désert. « On peut imaginer que, comme Singapour ou d’autres parties du Moyen-Orient, ce sont des régions relativement vulnérables en termes de sécurité alimentaire de par leurs conditions naturelles et météorologiques », analyse Gillian Diesen, responsable de la stratégie nutrition chez Pictet. Autrement dit, la longue quête de la suffisance alimentaire aurait préfiguré celle de la révolution alimentaire.
Cette ferveur à concevoir la nourriture de demain prend aussi sa source dans une appétence pour la technologie et comme l’’intérêt mondial pour les innovations alimentaires n’étant plus à démontrer, il n’est guère surprenant que la « start-up nation » s’inscrive dans cette veine.
Surtout pour un Etat dont on murmure qu’il accueille la plus importante population végane au monde – il suffit de voir le nombre de sushis, steaks et oeufs véganes dans les restaurants de Tel-Aviv pour s’en convaincre. Israël a même fait de la foodtech une priorité nationale en R&D.
Ces belles perspectives se sont un peu tassées ces derniers temps, guerre en Ukraine oblige. Jusque-là prospère, le marché mondial de la foodtech a dévissé en 2022, par l’action combinée de l’inflation et des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Cette année-là, les investissements mondiaux se montent à « seulement » 29 milliards de dollars, contre 51 milliards l’année précédente. Un temps faible, pour un secteur qui reste porteur.
L’émergence des sociétés spécialisées en foodtech n’est pas un phénomène ancien en Israël. L’impulsion originelle est à chercher du côté du puissant groupe agroalimentaire Strauss, qui fêtera bientôt son siècle d’existence. En 2015, son partenariat avec l’IIA a donné naissance au Kitchen FoodTech Hub, un incubateur qui a fourni à une vingtaine de start-up des locaux, un réseau, et une confortable mise de départ de 650 000 à un million de dollars.
« Il n’y avait rien de comparable, et beaucoup ont copié l’idée », se remémore David Nini, directeur scientifique du Kitchen Hub, dans son bureau à Ashdod, à une quarantaine de kilomètres au sud de Tel-Aviv. En effet, deux autres incubateurs ont suivi, Fresh Start et InNegev, auxquels se sont encore ajoutés quatre accélérateurs.
Pour le groupe Strauss, les millions de shekels injectés dans le Kitchen Hub sont rentables – l’Etat investit bien plus via l’IIA – et l’industriel garde une ribambelle d’idées sous le coude, ainsi que de jeunes entreprises à phagocyter si l’occasion se présente.
Mais au-delà des capitaux, la « start-up nation » tient aussi de l’état d’esprit. « Israël est mieux équipé pour mettre en place un écosystème d’innovation », analyse Emilie Dellecker, de FoodHack. Cette plateforme suisse de réseautage en foodtech a lancé sa plateforme de capital-risque HackCapital, une des plus actives du monde dans le domaine. « Il y a une mentalité et une façon de faire différentes par rapport à la Suisse. Là-bas, les gens poussent toujours l’innovation, cette mentalité infuse dans la vie de tous les jours. »
Lion David, directeur de Frontier, un centre d’innovation agro-technique pour les terres arides indique: « Ce n’est pas que les Israéliens soient plus intelligents. L’armée vous donne beaucoup de perspectives sur la vie, et aussi beaucoup de tripes. Quand vous avez 22 ans et que vous commandez une troupe de 200 personnes, monter une start-up après, c’est facile. »
Selon lui, la réussite israélienne de l’entrepreneuriat repose sur un autre trait culturel: la tolérance à l’échec, ce qui est démontré par les «Fuckup Nights », des rencontres populaires en Israël dans des bars et toutes sortes d’endroits où un entrepreneur monte sur scène pour parler d’un échec.
L’état d’esprit israélien serait donc une des clés du succès. Ajoutons-y un dernier ingrédient, pêché au gré de nos pérégrinations: la solidarité. Un reste de sionisme socialiste qui dominait lors de la création de l’Etat en 1948? Toujours est-il que, contrairement au mantra libéral, il n’est pas rare d’observer de l’entraide entre entreprises concurrentes.
Gali Fried est vice-présidente de Vanilla Vida, qui innove dans la plantation et la maturation de vanille. Dans les locaux de la start-up, à Herzliya, non loin de Tel-Aviv, elle glisse ces quelques mots: « Personne ne fait la même chose que nous, c’est une situation très pratique. Mais c’est impressionnant de voir dans le secteur des protéines alternatives – tout le monde est dans ce secteur – que les concurrents s’entraident. Je crois beaucoup au karma, je crois que lorsque vous aidez quelqu’un, vous recevrez la pareille. » N. S.
Source : Le Temps