Sur une pleine page, Le Monde s’interroge sur le silence des juifs de France face à la crise politique qui secoue l’État d’Israël. L’article de Raphaëlle Bacqué met le doigt sur une gêne que nous sommes nombreux à éprouver, même si nous ne sommes pas tous totalement silencieux. La déclaration mesurée de Yonathan Arfi, président du CRIF, n’est nullement anodine, il est rare qu’un représentant qualifié de la communauté s’exprime ainsi sur une affaire intérieure de l’État d’Israël.

Mais comme le dit Arfi, il ne s’agit pas de politique intérieure, mais de la conception de l’état de droit, il s’agit de cette terre de liberté, de cette démocratie construite par les pionniers du sionisme, en dépit des sept guerres et du terrorisme permanent. Et je me sens parfaitement représenté par la déclaration de Yonathan Arfi.

Je ne puis imaginer qu’Israël soumette la Justice au pouvoir politique, et qu’une minorité impose sa loi à la majorité, surtout avec un système politique, l’élection à la proportionnelle, qui donne un pouvoir exorbitant aux petites formations.

Et pourtant j’éprouve bien cette gêne évoquée dans Le Monde par Raphaëlle Bacqué. Pour une raison fondamentale : bien sûr, je me fais une certaine idée de l’État Juif dont rêvait mon grand-père, quand il adhéra au Poale Zion , dans la Pologne soumise aux lois antisémites du Tsar de toutes les Russie. Je me sens lié au sionisme socialiste, par mon histoire, par ma famille et par mes amis en Israël. Seulement, je suis ici. J’ai fait ce choix, d’être un juif français, citoyen de la République, je me reconnais dans la France des Droits de l’Homme et de la laïcité, c’est en France que je vote, et, cela m’arrive aussi, que je manifeste.

Ici, je peux rêver que l’État d’Israël soit plus démocratique et plus juste que tous les autres, simplement parce qu’il est l’État des juifs, construit au long d’un siècle tragique. Mais je ne puis décider à la place des citoyens d’Israël, qui vivent les difficultés quotidiennes, et payent, plus que dans l’importe quel pays, ce que l’on appelle l’impôt du sang.

Il y a quelques années, invité à assister aux cérémonies de Yom Ha-zikaron sur une base militaire, j’ai vu de jeunes soldats rendre hommage à leurs camarades tombés pour la défense d’Israël. Qui suis-je pour leur donner des leçons ?

L’avenir d’Israël appartient à ceux qui, à 18 ans, partent pour deux ans à l’armée, avant d’entreprendre des études, qui peuvent ensuite à tout moment être rappelés pour assurer la défense du pays, l’avenir d’Israël appartient à ceux qui vivent sous la menace du terrorisme, à ceux, qui, pendant les alertes doivent se confiner dans leur pièce de sécurité.

Je connais en France de valeureux combattants de l’arrière, certains pensent qu’ils font beaucoup pour Israël, en venant dépenser l’argent de leurs vacances, où en y réalisant des investissements immobiliers. J’éprouve une certaine gêne que je les entends, tenir des propos enflammés, sur la plage Gordon ou à la marina d’Herzlia.

Alors, oui, je parle très prudemment, ici, en France, de la politique d’Israël, et quand je suis là-bas, j’écoute, j’observe, et je me garde bien de faire la leçon.

À l’inverse de ceux qui pratiquent la surenchère et s’identifient volontiers à l’extrême-droite israélienne, j’entends d’autres combattants de l’arrière, juifs progressistes, des amis souvent, qui n’ont de cesse d’exiger qu’Israël choisisse une fois pour toutes la justice et la paix. J’admire comme eux ce peuple qui manifeste et défend les valeurs démocratiques que, bien sûr, je partage. Mais je n’ai pas envie d’être un bon juif de France, qui se démarque d’Israël.

Bien sûr, je suis solidaire de ce peuple qui refuse l’avilissement de la démocratie israélienne. Mais, décidément, je suis ici, et je ne choisis pas le gouvernement d’Israël. Je peux désirer ardemment qu’une grande coalition sioniste ramène Israël dans la voie de la justice et de la liberté. Mais la décision appartient aux citoyennes et aux citoyens de l’État d’Israël.

Le Monde n’a pas tout à fait tort de titrer sur notre silence embarrassé.

Juifs de France, de diaspora, nous avons le droit d’exprimer nos inquiétudes, mais en respectant le peuple israélien qui est le seul habilité à décider de son destin, et en nous gardant de donner des gages aux détracteurs et aux ennemis d’Israël qui rêvent de voir le pays se déchirer.

Là-dessus, le calendrier nous incite à l’optimisme. Tout est possible, quand le peuple se lève, libéré des chaînes de l’esclavage.

Guy Konopnicki

RADIO J. EXTRAITS D’UN EDITORIAL.

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