Edith Bruder, chercheuse au CNRS, à la School of Oriental and African Studies de Londres, et à l’ UNISA (Université d’Afrique du sud ), est spécialiste des communautés juives émergentes d’Afrique Noire, auxquelles elle a consacré un livre, Black Jews , vient de faire publier chez Albin Michel un ouvrage consacré aux relations entre juifs et noirs : « Histoire des relations entre juifs et noirs : de la Bible à Black Lives Matter« .
Noirs et Juifs sont dans la culture occidentale, les deux minorités marginalisées, stigmatisées, voire confondues, les deux figures de l’autre par excellence et elles ont entretenu depuis l’Antiquité des relations complexes, entre identification, coopération et rivalité.
C’est cette histoire sur la longue durée que nous fait découvrir Edith Bruder, depuis les premières figures d’Africains de la Bible hébraïque jusqu’aux revendications contemporaines lorsque le mouvement Black Lives Matter affirme son soutien à la « résistance palestinienne ».
Ce parcours historique qui s’étend sur plus de 2000 ans n’élude aucune des questions religieuses, sociales et politiques qui, ont pu provoquer la confrontation des Noirs et des Juifs,
Il n’ignore pas non plus les moments lumineux de ces interactions et nous en fait découvrir les aspects méconnus aux Amériques, en Afrique ainsi qu’en France. À l’heure où les questions de racisme, de crispations identitaires, de concurrence mémorielle, et d’antisémitisme de la part d’autres minorités sont au coeur des tensions politiques, cet ouvrage entend faire le point de manière historienne sur les aspects composites de cette relation en l’inscrivant dans la longue durée.
Les relations entre noirs et juifs sont particulièrement aigües aux USA où une alliance spontanée s’est formée entre Juifs et Noirs entre 1900 et 1930. Le « modèle juif » occupait alors un rôle significatif dans les stratégies concernant l’avenir des Noirs. C’est autour de la création de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) dans les années 1910 que les préoccupations sociales et politiques des Juifs et des Noirs ont convergé pour plus d’égalité.
A partir des années 1920, des mouvements activistes noirs ont vu le jour. Les Afro-Américains ont pris conscience de la dignité de leur culture et se sont éloignés des Juifs, souvent taxés de paternalisme. De 1930 à 1960, Juifs et Noirs ont fait alliance dans la lutte contre les discriminations et ont lutté ensemble pour les droits civiques. La coopération entre organisations juives et afro-américaines a culminé dans l’après-guerre, au point que cette période constitue un « âge d’or » des relations judéo-afro-américaines.
La rupture entre les deux communautés a eu lieu dans les années 1990, lorsque le mouvement Nation of Islam a accusé les Juifs d’être les instigateurs et bénéficiaires du commerce des esclaves. Dès la seconde partie du XXe siècle, au radicalisme des Noirs est venu s’opposer le néoconservatisme de Juifs tenant pour acquise une relation politique ancienne. Aux Etats-Unis comme ailleurs, la relation Juifs-Noirs associe identification et rejet, amour et haine, dans le cadre de la domination par un pouvoir blanc.
En revanche, dans les années 1980-1990, la reconnaissance par Israël des Beta Israël d’Ethiopie en tant que juifs a été à l’origine de la proclamation par d’autres communautés africaines de leur affiliation au judaïsme.
Depuis ses traductions dans les langues africaines, la lecture de l’Ancien Testament est une source de fascination et d’espérance pour les Africains, qui se retrouvent dans l’histoire du peuple hébreu, asservi et exilé puis libéré. Les missionnaires, en les évangélisant de force, les ont contraints à renoncer à leurs traditions. Reconnaissant dans l’Ancien Testament des correspondances avec leurs propres traditions africaines, ils se sont identifiés aux Tribus perdues d’Israël qui furent déportées en Assyrie autour de 720 av. J.-C.], ce qui a suscité l’affiliation au judaïsme de nombreuses communautés d’Afrique subsaharienne.
Actuellement, le phénomène du judaïsme noir en Afrique et aux Etats-Unis, par son ampleur, est proprement stupéfiant. Il faut prendre en compte les nouvelles communautés juives qui se forment en Afrique subsaharienne, la ferveur dans les synagogues de New York et de Chicago. C’est ce qui m’amène à évoquer une « symbiose culturelle et religieuse » entre Noirs et Juifs…
Source : L’Express & Israël Valley