La police a lancé vendredi une enquête après que des graffitis dénonçant le ministre de la Justice Yariv Levin ont été peints à la bombe près de son domicile à Modiin. Le graffiti, griffonné sur un mur du centre-ville, appelait Levin « l’ennemi du peuple ». Il n’y a pas eu de commentaire immédiat de Levin, qui observe la période de deuil juif traditionnel après la mort de son père plus tôt cette semaine. Il n’était pas clair s’il était chez lui lorsque les graffitis ont été peints à la bombe. Un communiqué de la police a indiqué que les agents s’efforçaient de rassembler des preuves. Levin, haut responsable du Likoud et confident du Premier ministre Benyamin Netanyahou, est une figure de proue des efforts du gouvernement pour remanier le système judiciaire, qui ont suscité des manifestations de masse. (RADIO J. Gabriel Attal)
BLOG DE JAQUES BENILLOUCHE : Yariv Levin était un homme effacé, timide, au visage d’enfant sage, et l’on ne pensait pas pouvoir un jour l’accuser d’avoir divisé le pays. On pensait qu’il avait même été choisi par Netanyahou pour sa faculté d’effacement afin de diriger la Knesset et ensuite le ministère de la Justice. Yariv Gideon Levin, né le 22 juin 1969, a d’abord porté la robe d’avocat avant d’entrer en politique en tant que ministre de la Sécurité intérieure, ministre de Tourisme, et Ministre de l’Aliyah et de l’Intégration ; des postes qui ne le mettaient pas en première ligne du combat politique.
Il a des ascendances nationalistes puisque l’oncle de sa mère était le commandant du navire Altalena qui avait voulu s’opposer à Ben Gourion. Par ailleurs, honneur suprême, Menahem Begin avait été le parrain à l’occasion de sa circoncision. Il est trilingue, hébreu, anglais, arabe, ce qui lui a permis d’être traducteur au sein du Corps des renseignements israéliens. Diplômé de l’université hébraïque de Jérusalem, il a commencé sa carrière dans le droit civil et commercial. Rien ne le prédestinait à croiser le fer à la Knesset même si en tant qu’étudiant, il a été porte-parole du Likoud. Habitant de Modiin, il y a créé une section Likoud en 2003. À ce titre, il s’est opposé au plan de désengagement de Gaza.
Découvert par Netanyahou en 2006, il a été chargé de coordonner les activités de l’opposition contre le gouvernement d’Ehud Olmert. En plus de ses activités politiques, il a été chef du comité des avocats salariés de l’Association du Barreau, puis vice-président de l’Association du Barreau (2003–2005). Il a participé aux élections primaires du Likoud de 2009 qui le placèrent à la 21ème place pour 27 sièges élus. Le 3 août 2009, il a été nommé président du comité de la Knesset puis représentant de la Knesset auprès du comité de sélection des candidats au poste de procureur général.
Il a été très actif à la Knesset en présentant une quarantaine de projets de loi dont la loi de novembre 2010 qui stipule qu’un référendum doit être organisé en cas de projet d’abandon de terres souveraines ; un véritable record absolu pour un membre de la Knesset au cours d’un seul mandat. Lors des élections du 22 janvier 2013, il a été élu à la 9ème place et a été choisi le 18 mars 2013 pour être le chef de la coalition Likoud et le représentant de la Knesset auprès du comité de sélection des candidats au poste de procureur général.
Bien que Juif laïc, il n’était pas en bons termes avec les Juifs des États-Unis : «les Juifs réformés aux États-Unis sont un monde mourant. L’assimilation se produit à grande échelle. Ils ne suivent même pas cela correctement dans leurs communautés. Cela est démontré par le fait qu’un homme qui se dit rabbin réformé se tient là avec un prêtre et officie au mariage de la fille d’Hillary Clinton et personne ne le condamne, le légitimant ainsi».
Après les élections de 2015, il a été nommé ministre du tourisme et ministre de la Sécurité publique, poste qu’il abandonna rapidement au profit de Gilad Erdan. Le 24 décembre 2018, il a été nommé ministre de l’Aliyah et de l’Intégration. Pendant toute cette période, il n’a pas fait parler de lui, se comportant en bon «soldat» du Likoud, discipliné et entièrement dévoué à son chef. Cela lui valut d’être nommé président de la Knesset le 17 mai 2020, remplacé par la suite par Mickey Levy le 13 juin 2021.
À la suite des élections de 2022, Levin a été élu temporairement président de la Knesset le 13 décembre pour ensuite céder son poste le 27 décembre. Par sa discrétion, personne ne l’a vu venir et encore moins David Amsalem qui lorgnait le poste de ministre de la Justice. Levin lui a ravi le poste alors qu’il ne s’y attendait pas. Beaucoup ont interprété cette nomination comme une volonté de barrer la route aux Séfarades au sein du parti.
Le vrai visage de Levin est alors apparu lorsqu’en janvier 2023, il a décidé de démanteler le système judiciaire afin d’affaiblir la Cour suprême en accordant au gouvernement un contrôle effectif sur le comité de sélection des juges, en interdisant à la Cour de se prononcer sur la constitutionnalité de certaines lois et réglementations et en accordant à la Knesset le pouvoir d’annuler toute décision de justice par une simple majorité. Il a exploité la lacune des Lois fondamentales qui pouvaient être modifiées par une simple majorité alors que partout dans le monde les modifications constitutionnelles ne peuvent s’effectuer qu’avec une majorité des 2/3 de l’assemblée.
Ce fut le début de la controverse et des manifestations anti-gouvernementales contre son plan. On le savait nationaliste, opposé à la création d’un État palestinien et prônant le droit de tout Juif de s’installer partout en Cisjordanie. Il donne aujourd’hui l’impression d’avoir supplanté le premier ministre affaibli par l’acceptation de toutes les exigences de l’extrême-droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir qui font la pluie et le beau temps au gouvernement. On attendait le danger de la part de l’extrême-droite mais la révolution est venue de l’intérieur même du Likoud.
Il est étonnant que Netanyahou, contrairement à ses habitudes, ait laissé son ministre s’affirmer seul au grand jour alors qu’il a toujours empêché un concurrent potentiel d’être mis à la lumière. Pendant longtemps il avait refusé de nommer ministres ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, Nir Barkat en particulier. Or, le ministre de la Justice Yariv Levin a tenu seul une conférence de presse à la Knesset, le 4 janvier 2023, dans une sorte de one-man-show à l’heure de grande écoute à la télévision. Lors de sa conférence de presse à l’accent volontairement dramatique, programmée pour coïncider avec les journaux du soir, Levin, superstar, a annoncé sa décision de refonte complète du système juridique israélien. Netanyahou n’était pas présent ce qui l’a empêché de s’attribuer le mérite.
Avec la qualité pointilleuse d’un employé de banque et le ton volontairement mesuré d’un professeur de sciences politiques face à ses élèves, Yariv Levin s’est transformé en homme modéré, au comportement volontairement lourdaud alors qu’il est aujourd’hui le militant du Likoud le plus offensif et avec l’esprit le plus vif. Soutien inconditionnel de Netanyahou, il reste responsable d’un éventuel effondrement du gouvernement quelques mois après sa formation. Sur la demande pressante de son mentor, il a refusé de transiger et de modifier un iota de son projet en mettant en balance sa démission du gouvernement. C’est dire s’il a pris du poids pour engager sa révolution judiciaire.
On ne l’a pas vu venir et pourtant, pendant des décennies, Levin a été un féroce critique des tribunaux israéliens. Il aimait s’inspirer de Menahem Begin en citant une de ses remarques : «existe-t-il des juges à Jérusalem ?». On ne peut pas dire qu’il n’avait pas annoncé la couleur : «Je n’accepterai pas le portefeuille de la justice comme une babiole, mais seulement si on me donne le pouvoir d’effectuer des changements substantiels». Netanyahou a succombé à ses désidératas en lui garantissant le mérite de la réforme judiciaire, alors que le premier ministre n’avait jamais montré, durant ses douze années de pouvoir, une volonté de sacrifier la Cour suprême. Les Historiens auront beaucoup de travail pour comprendre comment le grand premier ministre a basculé dans les bras d’un ministre jadis éteint, d’un loup déguisé en brebis.
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