Un nouveau type de soirée commence alors à émerger dans des boîtes de nuit à Paris : les « Sober Parties » (Fêtes sobres). L’une d’elles s’est tenue en France le 6 décembre dans un célèbre club à Paris, le Badaboum, de 19 heures à 23 heures. Pour l’occasion, le club parisien a remisé les bouteilles d’alcool au placard. En Israël nous n’avons pas entendu parler de soirées sans alcool.
Derrière Corentin, le barman, pas de vodka ni de gin mais un choix d’une trentaine de boissons. « Du Komboutcha, des thés détox, des thés énergisants… », montre-t-il. Lyes, accoudé au bar avec sa bouteille, a opté pour un Komboutcha. Tout sourire, ce directeur financier de 42 ans, lunettes dorées, veste verte et pin’s coloré est un habitué du lieu.
« Je suis alcoolique et je ne bois plus, confie-t-il. J’espère que cette fois-ci c’est la bonne, parce que c’est très dur de sortir de l’alcool ». Ce soir, Lyes est vraiment détendu. « Je sors au Badaboum souvent. La dernière fois que je suis venu, je n’ai pas bu mais on m’a plusieurs fois proposé de boire, donc quand il y a des concepts de soirée comme ça, je trouve que c’est sécurisé ».
« Je peux sortir de l’alcool et m’amuser tout autant »
Lyes se rend sur la piste dans la salle d’à côté, le set va commencer, lancé par Maxime Musqua, humoriste, ancien alcoolique et figure de la sobriété joyeuse : « On va vous envoyer de la folie ce soir ! Merci d’être là et musique, Maestro ! ». L’obscurité, les stroboscopes et la fumée, tous les codes du clubbing sont là, avec de surcroît deux danseurs en tenue léopard pour galvaniser la foule. Les participants sont tout de suite entraînés et Lyes se lâche en rythme devant les platines.
Dans la foule, certains ont l’habitude de danser sobres, comme Simon, à l’arrière de la salle, qui a arrêté la boisson. « C’est génial, raconte-t-il, on a beaucoup mis l’alcool au cœur de tout et là, je peux sortir de ça et m’amuser tout autant. Il faut juste réapprendre à sortir sans boire, ça prend un peu de temps et après c’est ok ».
La soirée attire aussi pas mal de novices de la sobriété, autour de la trentaine surtout. « On en a marre de se coucher tard, d’être fatigué le lendemain, explique Marie en déposant son manteau aux vestiaires. On bosse beaucoup, donc ne pas avoir une demi-journée où on va être dans le mal, ça change aussi beaucoup pour nous. »
C’est en effet un argument qui revient beaucoup dans la bouche des femmes ici. « Je me sens plus en sécurité, assure Léana 24 ans, qui est venue toute seule. Les hommes alcoolisés, souvent, se permettent des choses. Alors que là, je n’ai senti aucun regard, rien du tout, donc c’est très agréable ».
« Finalement, c’est la danse qui nous alcoolise ! »
Dans cette soirée, on danse et, pendant la pause cigarette au fumoir, on réfléchit à la place de l’alcool dans sa vie. « Si on disait que c’est la norme de ne pas boire d’alcool, c’est possible ? », lance une jeune femme. « C’est encore un peu difficile pour moi, concède Loïk. Il y a un côté libérateur dans l’alcool. Mais là, j’ai commencé à surveiller ma consommation. J’ai fait un tableau Excel avec tous les verres que je bois et j’étais à une dizaine de pintes par semaine. Donc on pourrait se rapprocher de l’alcoolisme ».
Loïk l’a constaté : l’énergie sur la piste est différente, les gens sont plus conscients et plus connectés avec la musique. Résultat, à la sortie, beaucoup de mèches de cheveux collées sur des fronts en sueur à force d’avoir bougé. « Je me suis bien défoulé sur le dancefloor, assure-t-il, je n’avais pas envie de partir ! » « Je n’ai jamais vu autant de gens danser en club à Paris, s’exclame une jeune femme. D’habitude les gens ont des verres à la main, ça se bouscule, on en met partout. Là, on a découvert des nouveaux mouv’, c’était intéressant. Finalement, c’est la danse qui nous alcoolise ! », ajoute un jeune homme.
Des soirées « pas du tout rentables »
Hélène est ravie mais elle ressort aussi avec une question : arriverait-elle à draguer sans alcool ? « Je pense que l’alcool m’aide, reconnaît-elle. C’est triste quelque part d’avoir besoin d’alcool pour se faire confiance, mais je suis en chemin« . Alors, s’il y a une autre soirée du genre, elle signera. Mais il n’est pas sûr qu’elle en trouve beaucoup, car se pose la question du modèle économique. Ce soir-là, par exemple, malgré une bonne fréquentation, les personnes présentes n’ont pris en moyenne qu’une consommation, soit moitié moins que d’habitude. Le Badaboum a fait un chiffre bien inférieur. « Ce n’est pas du tout un événement rentable », admet Aurélien Delaéthère, le cofondateur de la boîte.
L’alcool permet aux établissements de faire beaucoup de marge, car les industriels, avec leurs gros volumes, leur vendent peu cher. Les petits producteurs de sans alcool ne peuvent pas se le permettre pour l’instant. Par ailleurs, les clients sobres commandent moins à boire. C’est donc toute un écosystème à réinventer. Malgré tout, le Badaboum compte bien proposer une nouvelle « Sober Party » dans les prochains mois ».