L’IA peut aussi lutter contre l’antisémitisme, pas seulement l’amplifier – étude
Des chercheurs liés à l’Anti-Defamation League ont entrainé un chatbot à contrer efficacement les théories du complot concernant les Juifs : les résultats sont encourageants
JTA — Il semble bien que chaque jour apporte son lot de gros titres sur les chatbots d’IA et leur rôle dans la propagation d’idées haineuses.
Ce qui n’empêche pas les chercheurs chargés de comprendre l’antisémitisme pour mieux s’y opposer d’affirmer avoir trouvé des preuves que les chatbots et l’IA peuvent servir dans la lutte contre la haine.
Des chercheurs affiliés au Center for Antisemitism Research de l’Anti-Defamation League ont ainsi entrainé un modèle dit large-language model (LLM) à contrer les théories du complot antisémites et invité des sympathisants de ces théories à interagir avec lui.
Selon une étude publiée mercredi, voici le résultat : les sympathisants en question ont rapidement moins cru aux théories antisémites et se sont déclarés mieux disposés envers la communauté juive. L’effet était encore fortement ressenti un mois plus tard, même sans nouvelle interaction avec le LLM.
Pour les chercheurs, il s’agit d’une avancée importante dans l’identification des stratégies pratiques de lutte contre la haine antisémite.
« Ce qui est remarquable, dans ces découvertes, c’est que la démystification factuelle fonctionne même pour des théories du complot ayant des racines historiques profondes et des liens forts avec l’identité et les préjugés », explique dans un communiqué David Rand, professeur à l’université Cornell et auteur principal de cette étude.
« Pour ce faire, notre robot adossé à l’intelligence artificielle ne s’appuie pas sur l’émotion, la recherche d’empathie ou les tactiques anti-préjugés », poursuit Rand en évoquant les pratiques les plus employées pour lutter contre l’antisémitisme, y compris à l’ADL.
« Il se contente pour l’essentiel de donner des informations exactes et des contre-arguments factuels, ce qui prouve que les faits ont leur utilité pour faire changer d’avis . »

À la tête du Center for Antisemitism Research depuis sa création, il y a de cela trois ans, Matt Williams explique que cette étude repose sur un corpus toujours plus conséquent d’études établissant que l’antisémitisme contemporain relève essentiellement d’un problème de désinformation, et non de droits civils.
« Il faut moins penser l’antisémitisme en termes de sentiments anti-Juifs et plus en termes de sentiments anti-Bigfoot », lâche-t-il lors d’une interview. « Ce que je veux dire par là, c’est que ce ne sont pas les ‘Juifs’, le problème. C’est « le Juif » en fonction de la théorie du complot qui pose problème. Et la relation entre les « Juifs » et « le Juif » dans ce contexte est bien plus fragile qu’on pourrait le penser. »
Qualifiant les théories du complot de « dysfonctionnements dans la manière dont nous tirons des vérités de ce monde », Williams estime que cette étude prouve quelque chose de remarquable.
« Il est possible de corriger ces dysfonctionnements », assure-t-il. « Les gens peuvent le faire, ce qui est à la fois dimensionnant et bigrement intéressant. »
Cette étude est issue d’une initiative assez récente de l’ADL destinée à trouver les moyens factuels de lutter contre l’antisémitisme, en travaillant avec des dizaines de chercheurs issus de diverses institutions, de façon à mener des expériences et faire en sorte que les plaidoyers ne se limitent pas à des devinettes.
Cette nouvelle expérience, menée plus tôt cette année, a impliqué plus de 1 200 personnes : il s’agit des mêmes personnes qui, lors d’une précédente enquête de l’ADL, avaient déclaré croire à au moins une des six grandes théories complotistes antisémites – comme par exemple celle qui consiste à affirme que les Juifs qui contrôlent les médias ou celle du « Grand Remplacement » et du rôle des Juifs dans l’immigration.
Les personnes se sont ensuite vu assigner au hasard trois scénarios différents : un tiers des sujets a discuté avec un LLM programmé sur le modèle Claude AI de Microsoft pour démystifier ces théories ; un autre tiers a discuté avec Claude d’un autre sujet et le dernier tiers a simplement été informé que sa croyance était une théorie complotiste « dangereuse ». Après quoi ils ont tous de nouveau mis leurs croyances à l’épreuve.
Au final, les sujets ayant conversé avec ce que les chercheurs qualifient de DebunkBot sont bien plus susceptibles que les autres de moins croire en ces complots, ont constaté les chercheurs.

DebunkBot n’est pas pour autant la panacée contre l’antisémitisme : l’étude a en effet révélé que les sujets les plus convaincus de la véracité des théories complotistes antisémites étaient ceux qui avaient le moins changé d’avis.
Selon Williams, cette étude montre que la croyance en ces conspirations antisémites est réduite, pas éradiquée, mais que toute stratégie permettant de lutter contre la massification des croyance en des théories du complot était bonne à prendre.
Ces dix dernières années, la proportion d’Américains séduits par les théories du complot a atteint jusqu’à 45 %, soit plus du double du taux des derniers 70 à 80 ans, souligne Williams.
« Pour moi, cette augmentation et ce niveau de saturation est bien plus inquiétante que n’importe quelle théorie du complot transgénérationnelle », poursuit-il. « Je ne pense pas qu’un jour nous descendrons sous la barre des 15 % — mais passer de 45 à 30 ou 25 me semble faisable. »
Ces derniers temps, les modèles d’IA sont de plus en plus utilisés par les Américains, ce qui suscite des inquiétudes quant à leurs conséquences pour les Juifs.
Lorsqu’Elon Musk a lancé son propre modèle, cette année, appelé Grok, on lui a très vite reproché de servir de caisse de résonance à l’antisémitisme — un phénomène qui a eu tendance à se généraliser.
Peu après, l’entreprise a présenté ses excuses et fait savoir qu’elle entraînerait son modèle pour éviter ce travers. Grok continue de prêter le flanc à la critique, mais plus à cause d’Hitler — même si, cette semaine encore, elle aurait dit à un utilisateur que les chambres à gaz nazies n’avaient pas servi à des massacres de masse, ce qui a conduit à l’ouverture d’une enquête de la part des autorités françaises.

La formation des chatbots est déterminante pour que l’IA génère des contenus de bonne qualité.
DebunkBot est disponible en ligne sur son site Internet mais Williams ajoute que l’ADL tente de persuader les entreprises exploitant de grandes plateformes d’IA d’intégrer son expertise.
« Il y a une très grande réceptivité, bien plus que l’on ne pourrait se le figurer », dit-il en soulignant que l’on en est encore au tout début et qu’il lui est difficile de donner beaucoup de détails.
Quoi qu’il advienne de cette initiative, ajoute Williams, les nouvelles études démontrent qu’il est possible de lutter contre ce que l’on qualifie parfois de plus ancienne haine du monde.
« L’IA et les LLM — ce sont des outils, non ? Et nous pouvons utiliser ces outils pour faire le bien comme pour faire le mal », conclut-il.
« Mais le fait que nous puissions mettre les théories du complot à l’épreuve d’arguments rationnels avec des résultats positifs est, selon moi, innovant, surprenant et extraordinairement utile. »









