Frédéric Journès, l’Ambassadeur de France en Israël (Page Opinion de Haaretz) :
« L’annonce par le président français Emmanuel Macron de la reconnaissance imminente d’un État palestinien par la France a suscité un large débat, accompagné de vives critiques en Israël. Je souhaite expliquer pourquoi cette décision de mon pays est loin d’être une « victoire contre le terrorisme » et représente au contraire un investissement dans la sécurité à long terme d’Israël et de toute la région.
Depuis le 7 octobre 2023, suite au massacre antisémite perpétré par le Hamas et au sort horrible des otages, qui prolonge le cauchemar, une guerre fait rage à Gaza, dans une impasse.
Il ne s’agit pas d’une de ces courtes batailles qu’Israël a menées – à plusieurs reprises – et qui ont réussi à modifier son équilibre sécuritaire. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit désormais d’une guerre qui nuit bien plus à Israël qu’elle ne contribue à sa sécurité, et qui menace de dégénérer en un conflit perpétuel.
Le Hamas, qui nie le droit d’Israël à l’existence et est responsable de l’attaque antisémite la plus grave depuis l’Holocauste, a échoué dans son pari initial à Gaza. Il n’a pas réussi à déclencher la confrontation totale avec Israël qu’il avait imaginée, et les alliés qu’il espérait voir se rallier à ses côtés ont subi de lourdes pertes. Le Hamas n’a apporté que destruction et souffrance aux Gazaouis comme aux Israéliens. Aujourd’hui, plus personne ne peut lui venir en aide, et le monde entier lui tourne le dos.
La France a remporté un succès diplomatique sans précédent à New York : l’isolement complet du Hamas sur la scène internationale. Pour la première fois depuis le 7 octobre, un document initié par une coalition d’États musulmans et arabes a été présenté à l’ONU. Ces pays – dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie et même le Qatar – ont explicitement condamné le groupe terroriste et appelé à son désarmement et à son exclusion de tout accord futur concernant Gaza.
Plus significatif encore, dans le texte final adopté à l’issue de la conférence, ces pays ont déclaré leur intention de normaliser leurs relations avec Israël et de participer, aux côtés d’Israël et d’un futur État palestinien, à une organisation régionale commune.
Cependant, le changement de position de ces pays, qui restaient à l’écart il y a un an seulement et sont aujourd’hui prêts, avec de nombreux pays européens, à s’engager à stabiliser et à reconstruire Gaza sans le Hamas, découle également de leur besoin crucial de mettre fin à la catastrophe humanitaire qui sévit dans la bande de Gaza. Ils ne le feront pas sous le feu des attaques, et certainement pas sous occupation.
Je sais que beaucoup en Israël refusent de croire ces chiffres, les accusant d’être manipulés, mais le chiffre de 5 000 enfants palestiniens de moins de cinq ans hospitalisés à Gaza en juillet pour malnutrition sévère est réel. La destruction de villes entières, visible sur les images satellite, est bien réelle. La panique générale qui se précipite vers les centres d’aide n’est pas une fiction.
La catastrophe humanitaire actuelle à Gaza nourrit les extrémistes, crée un terreau fertile pour le terrorisme de demain et renforce la campagne de diffamation contre Israël et la nouvelle vague d’antisémitisme, tant dans mon pays que dans le monde entier – une réalité qui m’horrifie. Elle bloque toute possibilité de réconciliation.
La France a récemment pris des mesures concrètes en acheminant par avion plus de 40 tonnes d’aide humanitaire depuis la Jordanie. Nous avons été contraints de faire la même chose il y a un an et demi, mais alors – comme aujourd’hui – il est impossible de nourrir deux millions de personnes par la seule voie aérienne, et encore moins de leur fournir des soins médicaux et un abri.
Seules la réouverture de tous les points de passage terrestres et l’instauration de conditions de sécurité à Gaza, permettant une distribution ordonnée de l’aide, peuvent répondre aux besoins immenses et prévenir les effusions de sang et les tragédies dont nous sommes quotidiennement témoins dans les files d’attente pour la distribution alimentaire.
Un cessez-le-feu immédiat est nécessaire à cette fin. C’est également une condition essentielle à la libération de tous les otages. Nous avons été horrifiés par les images de Rom Braslavski et d’Evyatar David, jeunes otages du festival de musique Nova le 7 octobre, dont l’apparence rappelle les scènes de la libération des camps de la mort. Ils sont encore en vie et peuvent être sauvés. La voie à suivre est la négociation.
Un cessez-le-feu durable ne peut être discuté sans l’élaboration préalable d’une vision commune pour la Gaza d’après-guerre, une vision qui, selon la France et les pays arabes musulmans signataires de la déclaration de New York, exclut le Hamas. Cela s’applique à tous les territoires où vivent les Palestiniens et où ils construiront leur État. Des réformes seront nécessaires : éradiquer l’éducation à la haine de l’intérieur et placer le leadership entre les mains de ceux qui rejettent le terrorisme et reconnaissent la paix avec Israël.
Cela paraît-il utopique ? Je ne le pense pas. La véritable illusion réside dans la fausse croyance selon laquelle la situation peut être résolue par la seule force, sans solution politique crédible. Ce ne sont pas les forces d’occupation qui éradiqueront la terreur du cœur du peuple, mais des dirigeants dignes de confiance, issus du peuple lui-même, déterminés à contenir les extrémistes, à rétablir les services que leurs citoyens méritent et à établir des relations de sécurité avec leurs voisins, relations qu’ils auront la charge de maintenir.
La reconnaissance d’un État palestinien n’est donc pas une « récompense au terrorisme », mais un message adressé aux Palestiniens : le moment est venu de prendre en main leur avenir, avec une vision réaliste et des moyens non violents, et nous les soutiendrons dans cette démarche. C’est un levier diplomatique que nous avons utilisé pour rallier les pays occidentaux, musulmans et arabes à l’effort commun pour l’après-guerre, en vue d’une solution rapide et durable – et non de décennies supplémentaires de stagnation – et pour marginaliser définitivement les extrémistes.
Seules la réouverture de tous les points de passage terrestres et l’instauration de conditions de sécurité à Gaza, permettant une distribution ordonnée de l’aide, peuvent répondre aux besoins immenses et prévenir les effusions de sang et les tragédies dont nous sommes quotidiennement témoins dans les files d’attente pour la distribution alimentaire.
En offrant aux Palestiniens responsables un horizon politique crédible, nous privilégions l’argument principal du Hamas selon lequel une telle situation n’existe pas. Parallèlement, nous renforçons la légitimité d’Israël en tant qu’État démocratique en droit de vivre en paix avec ses voisins et qui la recherche activement.
Les récentes affirmations du Hamas concernant une prétendue victoire diplomatique suite à la reconnaissance d’un État palestinien ne doivent tromper personne. Le Hamas a toujours été, et demeure, l’ennemi juré de la solution à deux États, car il nie le droit d’Israël à exister. C’est une véritable défaite pour le groupe terroriste. Nous ne devons pas tomber dans le piège de sa rhétorique mensongère ni nous laisser entraîner dans une guerre sans fin, qui est sa seule chance de survie.
Notre initiative ne récompense pas la violence, mais investit dans la paix et la sécurité à un moment où la région s’y prépare, créant ainsi une opportunité unique. La France a choisi d’utiliser ce levier pour construire une alternative à la guerre sans fin. Grâce à nos outils diplomatiques et à notre influence, ainsi qu’à nos connexions dans la région et à notre position en Europe, c’est un rôle que nous sommes bien placés pour remplir.
Désormais, il appartient aux peuples et aux pays concernés de saisir cette opportunité. Les Israéliens ont le choix : s’ils prennent au sérieux la main tendue de ceux qui proposent la paix, ils peuvent gagner la guerre et faire du 7 octobre un jour marquant la défaite de la barbarie. Ensuite, il faudra panser les plaies et tourner notre regard vers le tikkoun olam : réparer et améliorer le monde, cette merveilleuse vision du monde que le judaïsme a donnée à l’humanisme.
Frédéric Journès est l’ambassadeur de France en Israël.

