L’Iran attaque Israël avec ses drones Shahed 136, l’arme signature de Téhéran
En octobre 2024, Téhéran avait coûté cher à Israël avec une vague d’attaque des mêmes drones kamikazes, qu’il produit en masse.
Par Matthieu Balu
TECHNOLOGIE – La riposte était attendue. L’armée israélienne a indiqué ce vendredi 13 juin que ses forces aériennes continuaient d’intercepter des drones lancés depuis l’Iran, en réponse à une série de frappes aériennes d’Israël sur des sites militaires et nucléaires de la République islamique.
Selon Tsahal, Téhéran a lancé une centaine de drones en direction du territoire israélien. Des drones Shahed 129, qui sont une réplique de Predator américains, mais surtout des drones kamikazes Shahed 136. Développés au début des années 2020, exportés notamment en Russie où ils sont utilisés contre l’Ukraine, ils sont devenus le symbole de la puissance de frappe de Téhéran.
Comme vous pouvez le découvrir dans la vidéo en tête de cet article, les atouts de l’engin iranien en font une arme peu chère et mobile, utilisable par vagues de plusieurs dizaines, voire de centaines. Le pouvoir iranien l’avait démontré 1er octobre 2024, en envoyant près de 200 Shahed 136 accompagnés de missiles balistiques en direction d’Israël.
À l’époque, l’attaque avait fait très peu de dégâts, mais avait coûté très cher aux finances israéliennes. Selon des spécialistes interrogés par l’agence de Reuters, la facture des interceptions du Dôme de fer s’était montée à plus de 1 milliard d’euros. L’Iran, de son côté, avait engagé moins de 10 % de la somme pour produire ses Shahed 136.
Le drone est en forme d’aile delta. La section du nez contient l’ogive ainsi que les optiques nécessaires à une attaque de précision. Le moteur se trouve à l’arrière du fuselage et entraîne une hélice propulsive bipale[4],[5].
Le groupe moteur.
Le drone mesure 3,50 m de long avec une envergure de 2,50 m. Il pèse environ 200 kg et vole à plus de 185 km/h[6]. Selon certaines informations l’ogive contiendrait jusqu’à 40 kg d’explosif[7]. L’hélice est entraînée par un moteur thermique Iranien Mado MD 550, possiblement dérivé du moteur d’avion allemand L550e[8] conçu par Limbach Flugmotoren[6]. Ce moteur de 50 cv est un quatre cylindres à plat, deux temps, refroidi par air, dont le bruit se rapproche d’un cyclomoteur ou d’une tondeuse à gazon[9].
Les drones utilisent un système de navigation et de positionnement par satellites (GNSS) et des systèmes de guidage inertiel pour attaquer à des coordonnées géographiques spécifiques. Ils peuvent également être équipés d’un chercheur infrarouge d’imagerie (IIR) ou antiradar pour l’identification des cibles et la suppression des défenses aériennes. Cela signifie qu’ils ne sont efficaces que contre des cibles fixes présélectionnées (contrairement aux drones « kamikazes », qui peuvent sélectionner leurs propres cibles statiques ou mobiles). Certains militaires préconisent l’utilisation de ces drones en tandem avec des drones de reconnaissance afin de mettre à jour en temps réel les coordonnées envoyées au drone et ainsi leur permettre d’atteindre des cibles mobiles[10].
Selon les forces armées ukrainiennes le drone utilise beaucoup de composants civils ce qui le rend assez vulnérable aux contremesures électroniques. Cependant en cas de brouillage le drone peut toujours se servir de son système de navigation inertielle, mais la précision en serait grandement réduite.
Il est lancé depuis une plateforme terrestre ou installée sur un camion qui peut lancer une salve de cinq drones[12]. Le drone utilise un système de RATO (décollage assisté par fusée) via une nacelle qui est installée sous le drone et qui se détache après le lancement[13],[14].
Gueran 2
À partir de septembre 2022, le Shahed 136 est utilisé en Ukraine par les forces russes. Il sera produit plus tard par la Russie sous le nom de « Gueran-2 » (Geranium-2)[15]. La structure, l’électronique et la charge militaire de la munition sont adaptées aux besoins de l’armée russe[16]. Depuis qu’ils ont reçu ces drones et que leur usine en Russie est opérationnelle plusieurs améliorations ont été apportées au Shahed, on ne dispose que de peu d’informations et tous les Gueran-2 que la Russie utilise en Ukraine ne prennent pas forcement en compte ces améliorations.
L’analyse des débris de la munition révèle des modifications de la structure par rapport au Shahed-136. Là où le Shahed-136 utilise une structure composite interne en nid d’abeille, le Geran-2 la remplace par une mousse polymère ou un coffrage vide[17]. Le groupe Conflict Armament Reseach note également la présence d’un nouvel ordinateur de vol, ainsi qu’un système global de navigation satellitaire russe GLONASS « Kometa-M » résistant au brouillage, afin d’améliorer la portée, la résistance à la guerre électronique et la précision de la munition[16],[18]. Il a aussi été rapporté que le placement des composants à l’intérieur du drone a été modifié apportant une meilleure répartition de sa masse et donc une meilleure stabilité en vol.
Selon une enquête publiée en février 2023, CNN indique que l’ogive du Shahed a été modifiée pour maximiser l’effet destructeur de l’explosion dans une zone. Pour cela de nombreux petits fragments de métal ont été installés sur l’ogive pour se disperser lors de l’impact. L’objectif est de projeter des centaines de ces petits fragments pour un effet dévastateur de zone pour les installations techniques, notamment électriques : détruire des transformateurs, des câbles et des appareils techniques, et leur infliger des dégâts si importants que leur réparation est rendue extrêmement difficile et onéreuse[19],[20].
Geran-2 avec une peinture noire
Une des premières modifications fut de changer la couleur du drone ; en changeant le matériau du fuselage les Russes ont aussi décidé de le repeindre en noir afin de compliquer la tache des défenses antiaériennes ennemies lors des attaques nocturnes[21].
Ogive de Geran-2
En mars 2024, l’Ukraine a abattu un Shahed 136 qui était équipé d’une caméra, on ne sait pas si le drone a conservé son ogive[22].
En avril 2024, il a été annoncé que la Russie avait encore développé et mis en service une 3eme génération d’ogive pour les Gueran 2. Selon les informations disponibles, la charge militaire a été augmentée passant de 50 kg à 90 kg et l’ogive est produite en plusieurs variantes : incendiaire, thermobarique et à fragmentation. Toutes ces améliorations permettent au Shahed 136 d’être beaucoup plus flexible dans son utilisation pouvant toucher de nouveaux types de cible tout en étant plus résistant à la guerre électronique et aux défenses antiaériennes[23].
Sunflower 200
En août 2023, les Chinois présentent au forum Army 2023 le drone Sunflower 200 qui est une copie quasi conforme du Shahed 136. Les caractéristiques sont en grande partie les mêmes, à l’exception de la masse du drone, réduite à 175 kg pour le modèle chinois[24].
Le drone est utilisé par l’Iran en 2022 contre le quartier général du mouvement séparatiste kurde Komala, situé dans le Kurdistan irakien[25].
Invasion de l’Ukraine par la Russie (2022)
Il est engagé par l’armée russe à partir de lors de l’invasion de l’Ukraine[11]. Les renseignements américains estiment que plusieurs centaines d’exemplaires ont été livrés. Il est nommé Gueran-2 (russe : Герань-2, littéralement : géranium-2) par la Russie[26]. Son coût est moindre que celui des missiles et sa simplicité permet de se passer de composants technologiques avancés soumis à des sanctions internationales[27].
Le 28 septembre 2022, deux douzaines de ces drones ont été tirés sur Odessa, l’Ukraine revendiquant l’interception de la moitié d’entre eux. L’appareil est difficile à intercepter car il vole à basse altitude, mais son vrombissement est entendu de loin. L’Ukraine souligne que son efficacité est assez faible mais que son effet psychologique sur la population civile est important[30].
Durant la nuit du 5 octobre 2022, toujours dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, six drones Geran-2 (Shahed 136) ont été tirés contre des objectifs situés à Bila Tserkva dans l’oblast de Kyïv, à 80 km au sud de la capitale ukrainienne ; une personne a été blessée par ces frappes[31]. C’est la première fois que la région de Kyïv est touchée par des frappes de ces engins.
Selon le renseignement britannique, 60 % des drones Shahed-136 lancés par la Russie le 10 octobre 2022 auraient été interceptés. Les Britanniques soulignent que l’autonomie annoncée de 2 500 kilomètres est contre-balancée par le fait que le drone ne peut emporter qu’une faible charge explosive[9].
Le , un MiG-29 ukrainien s’écrase à Vinnytsia en essayant d’abattre un Shahed-136 russe. Des analystes a affirment que le drone a explosé près de l’avion et que les éclats (shrapnel) ont endommagé l’avion, ce qui a contraint le pilote à s’éjecter[32],[33].
Dans la matinée du 17 octobre, Kiev est de nouveau attaquée par plusieurs de ces drones, des vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux montrent encore une fois les drones en train de subir des tirs denses depuis le sol par des armes automatiques de petit calibre. Malgré la présence de systèmes de défense antiaérienne plus adéquats, les drones ont réussi à frapper plusieurs endroits, y compris les bureaux d’Ukrenergo, provoquant des pannes de courant dans de vastes régions. D’autres infrastructures énergétiques auraient également été attaquées. Quatre civils sont tués dans la frappe[34],[35],[36].
Le , l’armée ukrainienne affirme que sept drones Shahed ont été tirés par la Russie sur des infrastructures énergétiques dans les régions de Kharkiv et Zaporijjia[37].
Selon le gouvernement ukrainien en octobre 2022, la Russie aurait commandé 2 400 drones aux Iraniens[38].
Entre 2022 et 4 000 drones Shahed ont été lancés sur l’Ukraine par la Russie. L’usine de la zone économique spéciale d’Alabouga(en) est prévue pour en fabriquer 6 500 exemplaires par an[39].
(en-GB) Dan Sabbagh, Dan Sabbagh Defence et security correspondent, « Deadly, cheap and widespread: how Iran-supplied drones are changing the nature of warfare », The Guardian, (ISSN0261-3077, lire en ligne [archive], consulté le )
(en) Simon Scarr, Adolfo Arranz, Jonathan Saul et Han Huang, « How Yemen’s Houthi rebels are carrying out attacks on Red Sea ships », Reuters, (lire en ligne [archive], consulté le )