Analyse | « Une relâche stratégique pour sortir de l’impasse », par Raphaël Jerusalmy
L’interruption des hostilités pourrait constituer un nouveau levier diplomatique et militaire contre le Hamas, permettant à Israël de reprendre l’initiative stratégique

Après 600 jours de guerre, une question se pose. Israël serait-il tombé dans le piège que lui tend l’ennemi ? Celui d’une guerre d’attrition destinée à l’essouffler militairement, économiquement, moralement. Le général Zamir, chef de l’état-major de Tsahal, affirme que la pression militaire exercée sur le Hamas depuis ces dernières semaines offre une opportunité à saisir. D’après lui, le moment est venu de conclure un accord pour la libération des otages, si pénible soit-il. Il précise que Tsahal est prêt à gérer toute solution, y compris une cessation des combats à long terme. Nul n’est certain de l’issue de tels combats. Une chose demeure néanmoins indubitable : le Hamas n’a pas la capacité d’en sortir victorieux. Mais même si la branche militaire du Hamas finit par concéder la défaite, il restera à se débarrasser de l’autre branche, politique et administrative, comptant des dizaines de milliers de terroristes en col blanc qui détiennent les postes clés des finances, de la police, de l’éducation.
Plutôt que de nous demander si l’offensive menée actuellement par Tsahal à Gaza peut vraiment mettre fin à la crise ou non, voyons quels seraient les avantages d’un arrêt des combats. Le premier serait celui d’une pause dont les réservistes et leurs familles, mais aussi tous les Israéliens, ont bien besoin. Par-delà cette fatigue somme toute naturelle, il y a des facteurs vitaux. À commencer par le gaspillage de munitions et l’utilisation d’équipement coûteux dont l’armée pourrait manquer si jamais les États-Unis ne réapprovisionnaient pas suffisamment ou à temps dans le cas d’un conflit d’envergure avec l’Iran ou la Turquie. Idem pour l’économie israélienne qui traverse une passe difficile se caractérisant par une baisse des investissements étrangers, un arrêt presque total de l’industrie du tourisme, une crise dans le domaine de la construction, une augmentation vertigineuse du coût de la vie, tous dus à cette durée indéfinie du conflit. À quoi s’ajoute dernièrement un essoufflement diplomatique sur la scène internationale et une lassitude médiatique qui jouent en faveur des antisémites malgré les efforts constants de ceux qui soutiennent Israël face à ce raz-de-marée de haine et de violence n’ayant d’égal que la montée du nazisme. Il devient évident que la prolongation de la guerre sert plus les intérêts du Hamas et de l’Iran, qui cherchent à jouer la montre et gagner du temps, que ceux d’Israël.
L’avantage d’un arrêt sur image de l’offensive militaire serait de mettre le Hamas à l’épreuve de ses déclarations. Ou plutôt de son bluff. Une cessation des combats est un moyen plus économiquement et politiquement viable de montrer au monde que le Hamas est le problème, l’obstacle. Mais aussi d’établir que le monde lui-même est le problème. Il est temps de placer les nations dites bien intentionnées devant leurs responsabilités et de les mettre à l’épreuve de leurs slogans en l’air. Israël devrait conditionner une fin de la guerre à l’implication de l’Égypte, des pays arabes, de l’Union européenne, dans la reconstruction de Gaza. Puisque le sort de Gaza leur tient tant à cœur, qu’ils en prennent le contrôle économique et politique tandis que Tsahal assurera la sécurité périphérique de la zone. La population israélienne considère désormais comme impératif de ne plus risquer la vie de nos soldats et soldates pour des acquis tactiques qui n’en valent pas toujours la peine et prolongent la crise des otages. Il faudra plusieurs semaines, en effet, pour atteindre l’objectif d’écrasement complet des unités armées du Hamas, du Djihad islamique et autres. Semaines dont les otages, dans leur état de santé, ne disposent pas.
Il faut aussi conditionner l’approvisionnement de la bande de Gaza à la suppression des boycottages et sanctions visant Israël. Si l’on attend d’Israël qu’il ravitaille Gaza, on ne peut pas, dans le même temps, saboter l’économie du pays dont ce ravitaillement dépend. Il faut la soutenir, au contraire. Ceci étant, tant que le Hamas demeure au pouvoir, aucune reconstruction de Gaza n’est concevable, aucune entrée de matériaux de construction, ni d’argent. Plus on attendra et plus les Gazaouis se verront condamnés à pique-niquer parmi les ruines. À moins que la communauté internationale ne prenne enfin les mesures qui s’imposent, diplomatiques et sécuritaires, afin d’évincer le Hamas en évitant de faire appel à Tsahal qu’elle critique si allègrement sans toutefois montrer comment s’y prendre autrement. Évidemment, rien de tout cela ne peut être envisagé sans une libération préalable de tous les otages.
Une attaque massive n’est que l’une des stratégies possibles. Elle est loin d’être la seule. Et il y a plusieurs façons de la mener. Le retrait est aussi utilisé comme stratégie par les militaires. Ainsi que l’interruption d’un assaut pour se regrouper, se redéployer et jouer sur les nerfs de l’adversaire. Une relâche peut s’avérer tout aussi tactique qu’une incursion, laissant le rival désarçonné, bras ballants, seul au milieu du champ de bataille. Une trêve prolongée ferait en sorte que le Hamas baisse sa garde, ne serait-ce que pour reformer les rangs. Ce qui le rendrait vulnérable. D’un autre côté, c’est bien la pression militaire qui a forcé les Sinwar et Nasrallah à sortir de leurs tanières.
La semaine passée, le député Amit Halévi du parti Likoud s’est vu limoger du cabinet de sécurité par sa propre coalition pour avoir mis en doute l’efficacité de l’offensive militaire actuelle sur Gaza. Les sondages révèlent ce même scepticisme au sein de la population générale. Par-delà le pour et le contre d’une relâche stratégique, il est important que nous marquions tous une pause. Inspirons, expirons ! Dégageons-nous, ne serait-ce qu’un bref instant, de la tourmente de l’histoire. Nous en sortirons renforcés. Après de longs mois d’effort, le moment est venu pour Israël de reprendre son souffle et de s’offrir un moment de répit bien mérité.