Israël sous pression après les taxes de Trump : quelles conséquences pour son économie ?
Selon des experts, les exportations israéliennes de biens industriels seront pénalisées, mais les services, notamment high-tech, devraient rester largement épargnés

« Nous savions que cela allait se produire, mais nous sommes surpris par l’ampleur des droits de douane et nous sommes encore en train d’en apprendre les implications », a déclaré Abramzon, s’exprimant lors d’une conférence à l’université Reichman d’Herzliya. « Nous entretenons de bonnes relations avec l’administration américaine et je pense qu’à travers le dialogue et la négociation, nous allons parvenir à transformer cette situation en quelque chose de positif. »
Évoquant les répercussions plus larges de cette décision, Abramzon a estimé que si « l’économie mondiale est affaiblie, notre économie en subirait, elle aussi, les conséquences ».
Mercredi en fin de journée, Trump a annoncé une série de droits de douane punitifs allant de 10 % à 49 %, visant environ soixante pays à travers le monde, y compris certains de ses alliés commerciaux les plus proches, dans une décision qui, selon les analystes, pourrait déclencher une guerre commerciale mondiale aux effets dévastateurs.
Trump a justifié cette mesure en la présentant comme une réponse de réciprocité aux taxes imposées aux exportations américaines dans de nombreux pays.

Un taux de base de 10 % devrait entrer en vigueur le 5 avril, tandis que des droits de douane spécifiques à chaque pays seront appliqués à partir du 9 avril. La Chine devra s’acquitter de droits de 34 % sur ses exportations vers les États-Unis, l’Union européenne (UE) de 20 %, et le Japon de 24 %. Trump a indiqué que ces mesures visaient à corriger les déséquilibres commerciaux et à protéger les emplois ainsi que l’industrie manufacturière américaine.
Pour établir les nouveaux taux douaniers, l’administration américaine s’est basée sur le déficit commercial bilatéral : elle a divisé ce déficit par le volume des exportations du pays concerné vers les États-Unis, puis a réduit de moitié le pourcentage obtenu pour fixer le taux final.
Les États-Unis sont le principal partenaire commercial d’Israël. Le commerce bilatéral (importations et exportations de biens) entre Israël et les États-Unis s’élevait à environ 37 milliards de dollars en 2024, selon les données commerciales américaines. Les exportations israéliennes vers les États-Unis, incluant diamants, machines, équipements optiques, médicaments, produits pharmaceutiques et électroniques, ont dépassé les 22 milliards de dollars l’année dernière. Le déficit commercial israélien vis-à-vis des États-Unis s’élève à environ 7,4 milliards de dollars.
« Trump a lancé une guerre commerciale mondiale, et Israël fait désormais partie de l’énorme incertitude mondiale », a confié au Times of Israel Leo Leiderman, conseiller économique en chef à la banque Hapoalim, l’une des plus grandes banques du pays, et ancien cadre de la Banque d’Israël.
Il a ajouté que « bien que les nouvelles augmentations tarifaires aient été présentées, nous ne considérons pas qu’il s’agisse d’un plan définitif, car nous avons vu Trump changer d’avis ». Selon lui, « il pourrait donc y avoir une marge de négociation pour un taux de tarif inférieur, en particulier compte tenu de la relation étroite entre Trump et Netanyahu ».
Évoquant les conséquences sur l’économie israélienne, Leiderman, également professeur à l’université de Tel Aviv, a souligné que la plupart des exportations israéliennes vers les États-Unis ne sont pas des biens, mais des services — notamment dans la finance, le conseil, et surtout des exportations de services dans l’industrie high-tech, le principal moteur de croissance de l’économie israélienne.
Selon Abramzon, « la position actuelle en Israël consiste à dire que les nouveaux droits de douane ne s’appliqueront pas aux exportations de services vers les États-Unis. L’impact sur notre économie devrait donc être plus modéré, puisque plus de 50 % de nos exportations relèvent du secteur des services, et que l’industrie de la haute technologie devrait être en grande partie épargnée ».
En 2023, environ 70 % des exportations technologiques israéliennes étaient composées de services logiciels. Les 30 % restants concernaient des biens matériels. Parmi ceux-ci, des produits comme les semi-conducteurs et les médicaments devraient être largement exemptés, car ils sont couverts par des régimes tarifaires harmonisés à l’échelle mondiale. En conséquence, seule une partie des biens, essentiellement des machines, des équipements industriels et d’autres produits similaires, pourrait être soumise aux nouveaux droits de douane, soit environ 30 % des exportations technologiques israéliennes, selon les estimations du marché.
Leo Leiderman pense qu’Israël devrait pouvoir obtenir un traitement spécial, voire une exemption, dans certains domaines stratégiques comme les semi-conducteurs, étant donné la pénurie de puces dont souffrent actuellement les États-Unis.
Ron Tomer, président de l’Association des fabricants d’Israël (MAI), a qualifié l’imposition de droits de douane de « mesure inquiétante pour les fabricants et les exportateurs israéliens ». pour lui, la coopération économique entre Israël et les États-Unis est « cruciale, en particulier dans le domaine de la sécurité ».
Tomer a appelé à la suppression urgente des barrières commerciales, y compris des quotas sur l’importation de puces avancées en provenance des États-Unis, qu’il considère comme un élément central de la coopération technologique et sécuritaire entre les deux pays.
La MAI travaille en collaboration avec plusieurs ministères pour tenter d’obtenir l’annulation des nouveaux droits de douane. Si ceux-ci devaient néanmoins rester en place, l’association prévient qu’ils porteraient atteinte aux relations commerciales et d’investissement de longue date entre Israël et les États-Unis, affaibliraient la compétitivité des entreprises israéliennes sur le marché américain, et menaceraient l’emploi.
L’association élabore parallèlement des stratégies alternatives pour faire face à la situation, en explorant de nouveaux marchés pour les exportations israéliennes, tout en dialoguant avec les décideurs à Washington afin « d’atténuer les effets négatifs » de ces mesures.
De son côté, Karin Mayer Rubinstein, présidente de l’Association israélienne des industries technologiques avancées (IATI), a qualifié les droits de douane annoncés par Trump de « mesure spectaculaire aux implications potentiellement vastes pour l’économie mondiale, et pour l’économie israélienne en particulier ».
Elle a souligné que « d’un côté, le taux de taxe appliqué à Israël reste relativement faible par rapport à celui imposé à d’autres pays, ce qui pourrait offrir un avantage concurrentiel aux entreprises israéliennes face à des sociétés étrangères non américaines ». Mais elle a également noté que « le secteur israélien de la high-tech est surtout en concurrence avec les entreprises américaines, si bien que l’effet global pourrait s’avérer complexe et dépendra des modalités précises de la décision ».
Mayer Rubinstein a averti que cette mesure aurait un impact direct sur l’industrie technologique israélienne, tout en reconnaissant que cet impact resterait limité si les droits de douane ne s’appliquent qu’aux biens matériels, tels que les composants électroniques, les machines ou les produits alimentaires. Elle a toutefois ajouté que « des dommages causés à d’autres secteurs de l’économie pourraient, de manière indirecte, fragiliser l’écosystème de l’innovation ».
Mayer Rubinstein a également averti que si les droits de douane devaient s’appliquer aux produits logiciels, et en particulier aux solutions SaaS (Software as a Service), qui constituent le cœur d’activité de nombreuses entreprises high-tech israéliennes, cela pourrait profondément modifier leur accès au marché américain et dissuader d’éventuels investisseurs ou clients. Elle a aussi souligné qu’il est essentiel d’examiner si les exportations de puces électroniques seront concernées, un secteur stratégique dans lequel les entreprises israéliennes jouent un rôle important à l’échelle mondiale.
Ronen Menahem, économiste en chef des marchés à la banque Mizrahi Tefahot, a pour sa part observé que si le nouveau régime tarifaire risque de nuire à la compétitivité d’Israël, en rendant ses produits plus chers sur le marché américain face à la concurrence européenne et asiatique, ce changement pourrait créer un avantage relatif pour Israël. En outre, si l’Union européenne devait répondre à la mesure américaine par des droits de douane réciproques, Israël pourrait tirer parti de son accord de libre-échange existant avec l’UE.
Leiderman a estimé que « d’un point de vue stratégique, qu’il s’agisse du gouvernement ou du secteur privé, Israël doit désormais envisager un nouvel ordre économique mondial et renforcer ses liens, plus étroits et plus nombreux, avec l’Union européenne, la Chine et le reste de l’Asie, qui vont jouer un rôle de plus en plus central ».
Enfin, Menahem a rappelé « qu’Israël est également un important producteur et exportateur de gaz naturel » et « qu’en raison de l’expérience de guerre récente, la demande pour ses technologies de défense est aujourd’hui en forte hausse chez plusieurs partenaires commerciaux européens ».
Times of Israël