Analyse | « Nous sommes tous des réservistes : quand la nation entière défend Israël », par Raphaël Jerusalmy

En pleine guerre multifronts, les réservistes de Tsahal, essentiels mais éprouvés, méritent notre soutien. L’unité nationale est vitale face à cette menace existentielle.

Raphaël Jerusalmy
Raphaël JerusalmyAncien officier du renseignement militaire israélien, Auteur d' »Evacuation » chez Acte Sud
Des soldats israéliens opérant dans la bande de Gaza
Des soldats israéliens opérant dans la bande de GazaIDF Spokesperson

La supériorité absolue de Tsahal sur ses adversaires, ce n’est pas la technologie, ni les armements sophistiqués, ce ne sont pas les satellites, ni même le dôme de fer. C’est avant tout la motivation. C’est elle qui fait de nos combattants les plus valeureux de n’importe quelle autre armée au monde. Ce haut degré de motivation s’explique par plusieurs facteurs qui ne sont pas uniquement d’ordre militaire. Tout d’abord, aucun de nos ennemis n’a à défendre son existence même. Aucun d’eux ne doit protéger sa femme, ses enfants, ses proches de la menace d’une tuerie barbare s’il venait à perdre la bataille ou la guerre.

Aucun d’eux ne fait l’objet d’un projet d’extermination « de la rivière à la mer ». En sus de ce combat purement existentiel, il y a la défense d’un idéal, la lutte pour la préservation de nos valeurs juives, sionistes, démocratiques, contre les forces du mal et de l’obscurantisme intégriste. Il y a le devoir que nous devons assumer en tant qu’héritiers de tous ceux qui, avant nous, se sont battus héroïquement face aux pogroms, du fond des ghettos et jusque dans les camps de la mort. Il y a la tradition de la pugnacité qui va de Nili au Palmah, de l’Irgoun à la Haganah, de Joseph Trumpeldor à Mordecaï Aniélévicz, de Hanah Senesh à Avigdor Kahalani. Mais le bon moral de nos troupes est aussi dû à un autre facteur d’une extrême importance : le soutien et l’amour qu’elles reçoivent de l’arrière, de la population civile israélienne et de tout le peuple juif à travers le monde.

Chacun d’entre nous joue un rôle crucial dans la suprématie de Tsahal sur l’adversaire, par notre appui, par des contributions, par notre réaction aux bassesses de certains médias et politiciens mal embouchés. Les soldats et officiers d’Israël nous en sont reconnaissants. Il est important, dans le feu du combat, qu’ils se sentent portés, aimés, fortifiés. Et, d’une certaine manière, défendus !

Tsahal est l’armée du peuple. C’est une armée qui compte relativement peu de personnel de carrière par rapport à la majorité écrasante des officiers et combattants du service militaire et de la réserve. En sus des 160 000 conscrits appelés annuellement à servir sous les drapeaux, Tsahal peut compter sur 450 000 réservistes au total.

Depuis le 7 octobre 2023, 360 000 de ces réservistes ont été appelés à combattre. Ils ont servi deux mois en moyenne, dans des conditions éprouvantes. Mais beaucoup, dans les unités d’élite, ont servi jusqu’à quatre mois d’affilée ou six mois en plusieurs fois. À ce jour, toutefois, le nombre de réservistes a dramatiquement baissé du fait de milliers de combattants tombés sur tous les fronts, blessés ou handicapés à vie, souffrant de problèmes psychologiques et post-traumatiques.

À l’heure d’une reprise des combats, les voici fatigués physiquement, mais aussi moralement et souvent financièrement. Ils abandonnent leurs affaires, leurs études, leurs familles pendant de longues semaines et ne sont pas toujours suffisamment compensés des coûts et pertes encourus. Bien des foyers fonctionnent avec un seul parent pour tout assumer à la maison et au travail. Il y a même des foyers dont les deux parents, mari et femme, servent dans la réserve.

Bien des petits commerçants mettent la clef sous la porte en l’absence de qui gérer l’affaire en leur absence. Nombre de jeunes, sous contrat précaire ou stagiaires, perdent leur emploi. Il est inadmissible qu’ils rencontrent de telles difficultés alors que notre survie repose sur eux, mais aussi celle de nos enfants et petits-enfants. Car après la guerre multi-frontale actuelle et des suites de l’incursion terroriste du 7 octobre, les réservistes seront sollicités bien plus qu’auparavant, même en temps d’accalmie. Et ce, en sus de leurs périodes d’entraînement. L’armée ne se basera plus autant sur le renseignement que par le passé. Elle accroîtra sa présence sur le terrain, multipliera les patrouilles, mènera des missions de surveillance et de prévention.

Or Tsahal manque de personnel. Ce mois-ci, cinq brigades de réserve supplémentaires ont été créées sur base d’un recrutement d’urgence de candidats âgés de 38 à 55 ans. De nombreux commandants lancent aujourd’hui des appels sur les réseaux sociaux à la recherche de volontaires prêts à remplir les postes vacants. Une telle pénurie est alarmante en soi. Bien plus préoccupante encore est la perte de motivation que force nous est de constater ces derniers jours. Mais, attention. Que nul n’en rejette la responsabilité sur quiconque d’autre que soi-même. Nous sommes collectivement responsables de la baisse de la motivation à servir dans la réserve.

En sus du fait que le fardeau ne soit pas équitablement partagé, trop d’exemptés et de tire-au-flanc, il y a aujourd’hui un problème de société d’une gravité sans précédent : jamais, en temps de guerre, n’avait-on assisté à un tel manque d’unité. Les élus, qu’ils appartiennent à l’opposition ou aux rangs de la coalition au pouvoir, se sont montrés incapables de mettre de côté leurs divergences pour former un gouvernement d’union nationale. Les réservistes racontent comment, dans leurs unités, la solidarité règne par-delà les différences d’opinion ou de milieu social. Et comment, à leur retour, ils ont du mal à se replonger dans la zizanie qui sévit chez les civils. Un autre phénomène jamais vu est le dénigrement. Des voix s’élèvent, au beau milieu de la guerre, pour prendre à partie les généraux, critiquer les chefs des services secrets, haranguer les réservistes de l’armée de l’air ou des corps d’élite. Ces voix émanent pour la plupart de personnalités n’ayant aucune formation militaire, ni académique, les habilitant à porter un jugement averti en matière de défense et sécurité. Il faut les faire taire pour la simple et bonne raison qu’elles ont pour effet de démoraliser ceux-là mêmes qui ont pour mission de nous protéger. Et par là, elles nuisent à l’effort de guerre. Une guerre qui est loin d’être finie.

À nous, quelles que soient nos opinions et nos croyances, de nous unir autour de l’objectif à atteindre en priorité : la défaite de l’ennemi. À nous de fortifier ceux qui nous défendent, de les encourager, de les aimer de toutes nos forces. Comme eux le font de toutes les leurs, au péril de leur vie. Combattons à leurs côtés, dans la même unité, le même bataillon, contre l’antisémitisme, le racisme, le terrorisme et toutes les formes de la haine. Que nous portions ou non l’uniforme, nous sommes tous des réservistes.

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