Pour la première fois depuis sa création en 2005, le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire fait l’objet d’une poursuite judiciaire. Les historiennes Michèle Riot-Sarcey, professeure émérite à l’université Paris-8 et cofondatrice du comité avec Gérard Noiriel et Nicolas Offenstadt, ainsi que Natacha Coquery, professeure à l’université Lyon-2 et actuelle présidente de l’association, font l’objet d’une plainte en diffamation et ont été citées à comparaître le 20 mars devant la 14e chambre du tribunal de Bobigny.

A l’origine de la procédure se trouvent un proche de l’extrême droite, Jean-Marc Berlière, spécialiste de l’histoire des polices, professeur émérite à l’université de Bourgogne et connu pour ses analyses régulièrement taxées de révisionnistes, ainsi que René Fiévet, ex-ingénieur et historien amateur. Tous deux sont coauteurs avec Emmanuel de Chambost, autre cadre supérieur retraité, d’un pamphlet, Histoire d’une falsification. Vichy et la Shoah dans l’histoire officielle et le discours commémoratif, paru en 2023 aux éditions de l’Artilleur, connues pour ses ouvrages au ton climatosceptique, réactionnaire ou complotiste.

Le motif de la plainte tient en une phrase, écrite par Michèle Riot-Sarcey fin 2024 et visant les trois auteurs de «Pour une histoire scientifique et critique de l’Occupation» : «Du point de vue de ces historiens révisionnistes, l’autre est l’ennemi, notamment le Juif, étranger par définition selon le point de vue des véritables falsificateurs.»

«Ces auteurs, explique à Libération Michèle Riot-Sarcey, qui tombe des nues et se dit choquée, justifient dans leur ouvrage le bien-fondé de la rumeur zemmourienne, selon laquelle le gouvernement de Vichy a protégé les Juifs français. » Pétain sauveur des Juifs, la thèse consistant à minorer l’antisémitisme de la politique de Vichy et son rôle dans la déportation des Juifs de France, existe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. «La France était vaincue, sous le joug allemand qui a imposé ses conditions», affirme Jean-Marc Berlière joint par Libération.

Battue en brèche par un consensus historique établi de longue date, cette théorie a été revivifiée par l’ex-candidat à la présidentielle et auteur du Suicide français (2014), via des propos tenus à l’écrit et dans diverses interventions médiatiques, qui lui valent d’être encore poursuivi aujourd’hui pour «contestation de crime contre l’humanité». Après deux relaxes et la saisie de la Cour de cassation par le parquet général, la décision de justice finale est attendue au printemps. Un contexte flottant qui a pu encourager les trois auteurs à attaquer aujourd’hui Michèle Riot-Sarcey et Natacha Coquery.

Cette théorie selon laquelle la protection des Juifs français aurait été au cœur des négociations entre René Bousquet et le chef de la police SS en juillet 1942, lesquelles auraient permis un compromis, est réfutée depuis des décennies par l’ensemble des historiens spécialistes, comme Robert Paxton, Serge Berstein, Jacques Semelin ou d’autres comme Denis Peschanski.

Dans un communiqué, les historiennes attaquées annoncent lancer une cagnotte de soutien au Comité qui, rappellent-elles, «ne dispose d’aucune ressource propre et n’est pas en mesure, tant s’en faut, de payer les frais de justice évalués à 7 500 euros par notre avocat».

Source : Libération (copyright)

 

 

Partager :