La menace du président américain Donald Trump de suspendre l’aide à l’Égypte et à la Jordanie s’ils n’acceptent pas d’accueillir des réfugiés palestiniens de la bande de Gaza a engendré une crise diplomatique sans précédent entre ces nations et les États-Unis.
Ces deux pays, dépendants de l’aide américaine tant sur le plan économique que sécuritaire, se trouvent confrontés à un dilemme majeur.
Néanmoins, Le Caire et Amman affichent une opposition coordonnée face au plan de Trump, au point que l’Égypte envisage d’annuler la rencontre prévue entre le président Abdel Fattah al-Sissi et Trump si la question du transfert des Palestiniens de Gaza est abordée.
Une dépendance économique profonde
Depuis la signature de l’accord de paix avec Israël, l’Égypte a reçu près de 90 milliards de dollars d’aide des États-Unis, dont 1,3 milliard annuellement destiné à son armée, largement équipée en armements américains.
Bien que ces dernières années, Le Caire ait diversifié ses sources d’approvisionnement militaire en se tournant vers la Russie, la Chine, la France et l’Allemagne, Washington demeure un partenaire clé.
La Jordanie, quant à elle, perçoit environ 1,5 milliard de dollars d’aide américaine par an.
En septembre 2022, un protocole d’accord a été signé, garantissant à Amman une assistance économique et militaire de 1,45 milliard de dollars par an jusqu’en 2029, soit une augmentation de 13,7 % par rapport à l’accord précédent.
Pour 2025, le Congrès a approuvé une aide totale de 2,1 milliards de dollars pour la Jordanie, représentant plus d’un dixième de son budget annuel estimé à 18 milliards de dollars.
Au-delà de l’aide financière
La dépendance de l’Égypte et de la Jordanie envers les États-Unis ne se limite pas à l’aide financière directe. Washington exerce une influence économique, militaire et diplomatique significative sur ces deux nations. Les États-Unis soutiennent ces pays au sein des institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international, qui a accordé des prêts de plusieurs milliards de dollars à l’Égypte et à la Jordanie ces dernières années dans le cadre de programmes de réformes économiques.
“Les mesures de pression américaines supplémentaires contre les deux pays, bien que beaucoup moins probables, pourraient inclure la suppression du soutien américain aux programmes de réforme du FMI, le retrait des accords commerciaux bilatéraux et la réduction des investissements”, explique le Dr Ofir Winter, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) et professeur au département d’études arabes et islamiques de l’Université de Tel-Aviv.
“L’importance économique pourrait être grande pour les pays dont les économies sont déjà fragiles et qui doivent faire face à des difficultés aiguës telles qu’une dette extérieure importante, l’inflation et le chômage, et à une réalité démographique complexe.”
Sur le plan militaire, les États-Unis fournissent non seulement des fonds, mais aussi des équipements, des formations et une coopération en matière de renseignement.
L’arrêt de l’aide pourrait affecter la maintenabilité des systèmes d’armes américains et la disponibilité des pièces de rechange, en particulier pour l’armée égyptienne, qui dépend fortement de l’équipement américain.
La Jordanie, alliée clé des États-Unis bien qu’elle ne soit pas membre de l’OTAN, organise des formations conjointes avec les forces américaines et d’autres pays, dont Israël. Environ 3 000 soldats américains sont présents en permanence en Jordanie, et l’armée américaine a libre accès à 12 bases militaires jordaniennes clés sur ordre du roi Abdallah.
Une opposition coordonnée
Malgré leur profonde dépendance, al-Sissi et Abdallah sont unis dans leur opposition au plan de Trump. L’Égypte a réaffirmé à plusieurs reprises, tant dans des déclarations officielles que dans des rapports médiatiques, son refus de coopérer à toute initiative visant à déplacer et expulser les Palestiniens de la bande de Gaza.
“Il y a une réelle inquiétude à ce sujet”, déclare le Dr Winter, “mais les deux pays soulignent qu’ils ne renonceront pas à leurs principes sur la question palestinienne ni aux éléments qu’ils perçoivent comme étant d’un intérêt national suprême en raison des pressions financières américaines.”
Selon le Dr Winter, l’Égypte et la Jordanie tentent d’éviter une confrontation frontale et publique avec Trump et préfèrent parvenir à un accord avec lui. Dans le cadre des efforts de médiation, le roi de Jordanie a fait un geste symbolique en accueillant 2 000 enfants malades de Gaza.
Parallèlement, les deux pays devraient présenter à la fin du mois un plan arabe global pour la reconstruction de la bande de Gaza, tout en maintenant ses habitants sur place.
Ce plan vise à obtenir un large soutien du monde arabe et musulman, avec l’Arabie saoudite – considérée comme ayant une influence particulière sur Trump – en tête de la démarche.
Un plan de contournement
À ce stade, Le Caire et Amman tentent de convaincre Washington que la clé de la stabilité régionale réside dans la solution à deux États et non dans un transfert de population.
Ils soulignent l’importance de l’alliance stratégique avec les États-Unis en tant qu’intérêt mutuel, y compris pour les Américains, notamment dans des domaines tels que la lutte contre le terrorisme et la gestion des relations avec l’Iran.
“Il y a une discussion dans les deux pays sur la possibilité d’intensifier la politique de diversification des alliances mondiales et de se rapprocher des rivaux des États-Unis dans le monde, comme la Chine, la Russie et l’Inde, et dans la région, comme l’Iran”, note le Dr Winter.
“Bien sûr, un changement d’orientation des deux pays, qui font partie du camp régional pro-occidental modéré depuis des décennies, n’est pas souhaitable pour les États-Unis et Israël.”
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