A Sao Paulo, au Brésil, il existe un trésor : le « TAIB » : le Théâtre d’art israélite brésilien, intégré dans les sous-sols de la Casa do povo (« Maison du peuple »), fondée en 1953 par des juifs de gauche qui souhaitaient rendre hommage aux victimes de la Shoah et dont la salle de spectacle a été dessinée par l’architecte italo-brésilien Jorge Wilheim.

Cette étonnante présence est due à l’arrivée de milliers de juifs ashkénazes, venus de Pologne et de la Russie impériale, qui fuyaient les pogroms pour s’installer au Brésil. A Sao Paulo, les pauvres migrants posent leurs maigres valises dans le quartier de Bom Retiro, où est aujourd’hui située la Casa do povo. Des groupes de théâtre amateurs se forment, perpétuant la langue et la culture du Yiddishland.  Sao Paulo s’érige vite en capitale du genre, étape incontournable des troupes européennes en tournée en Amérique du Sud. Quelque 550 pièces yiddish y sont jouées entre 1913 et 1970.

Après-guerre, l’extermination des juifs d’Europe orientale renforce la centralité de Sao Paulo dans l’univers yiddish, mais à l’apogée succède un déclin brutal. Privée de sa « source » européenne du fait de la Shoah et des régimes staliniens à l’Est, la culture yiddish se délite. Les nouvelles générations ne s’identifient plus à la langue du shtetl, ces bourgades juives d’Europe orientale. Les juifs paulistanos, embourgeoisés et plus conservateurs, quittent Bom Retiro pour le quartier chic d’Higienópolis. En 1969, aucune pièce en yiddish n’est mise en scène à Sao Paulo.

Mais le TAIB parvient à se renouveler et devient l’un des pôles du théâtre avant-gardiste et contestataire, en résistance contre la dictature militaire (1964-1985). La fin de la dictature, en 1985, signe cependant l’ultime déchéance du TAIB. Depuis les lieux ont perdu en superbe et le TAIB, inauguré en 1960,  qui fut dans ses beaux jours l’un des très hauts lieux de la culture paulistano, bastion du théâtre yiddish et contestataire est à l’abandon depuis plus de vingt ans…

Cependant un projet de rénovation est en cours pour ses lettres de noblesse au théâtre yiddish et contestataire, mais aussi pour faire de la place aux nouveaux habitants de Bom Retiro, où dominent désormais les diasporas coréenne et bolivienne. « On veut conserver l’aspect abîmé du lieu, traversé comme ce quartier par tant d’histoires… », explique Benjamin Seroussi, 44 ans, directeur français de la Casa do povo .

Le « nouveau TAIB » devrait compter autour 300 places, avec climatisation, ascenseur, système électrique, bar et prévention incendie… Une remise à neuf qui a un coût conséquent : 5,2 millions de reais (820 000 euros). La Casa do povo affirme en avoir déjà récolté la moitié grâce à un appel aux dons.

L’opération n’a rien de simple dans une ville et une région gouvernées à droite par des alliés de Jair Bolsonaro, hostiles à l’art contestataire . « L’argent public finance aujourd’hui l’industrie du divertissement, et non le monde de l’art , déplore le dramaturge Aimar Labaki. C’est d’autant plus regrettable qu’il n’y a pas de crise du public dans le théâtre de Sao Paulo. Les salles sont pleines tous les soirs. On pourrait rouvrir deux théâtres TAIB par quartier qu’ils ne désempliraient pas ! »

Pour contribuer au projet de rénovation : https://casadopovo.colabore.org/taibpresente_en/single_step

Source : Le Monde (résumé par Israël Valley)

 

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