EDITORIAL. TEMOIGNAGE. Daniel Rouach.
Claude Allègre, ancien ministre de l’Education nationale, est mort à l’âge de 87 ans. J’ai eu l’occasion de parler avec lui, de manière détendue, plus de deux heures sans interruptions (nos téléphones cellulaires étaient fermés), invités par le Groupe de Consulting Cap Gemini pour des conférences en simultané. Claude Allègre était dans un amphi et parlait, en Anglais, de « Sciences et Innovations ». Et moi dans un autre (mes conférences, en Anglais, portaient sur l’Intelligence Economique et l’Innovation). Les groupes de consultants expérimentés de Cap Gemini passaient d’un amphi vers un autre, toutes les deux heures.
Hasard de la programmation, nous nous sommes retrouvés seuls durant deux heures entre deux conférences. Nous avons mangé ensuite dans le restaurant du Château (Nord de Paris) qui était le lieu de formation des consultants de Cap Gemini. Durant le repas (un appétit d’ogre pour l’ex-Ministre) il m’a posé mille questions.
Nous avons parlé d’Israël et de l’innovation de l’Etat Hébreu. Claude Allègre était très intéressé par l’expérience israélienne et surtout par les modes de fonctionnement des Centres de Transferts de Technologies des Universités, dont le Weizman Institute (j’avais réalisé, avec le cabinet de Conseil Arthur D Little, une étude destinée à l’Union Européenne sur les transferts de technologie israéliens). Sans aucun doute son admiration pour Israël était bien réelle. Claude Allègre parlait « cash » sans fioritures. C’était sa marque de fabrique.
Son voyage de plusieurs jours avec le Président Sarkozy en Israël en 2008 ne m’a pas du tout étonné. Nicolas Sarkozy était accompagné d’une délégation de plus de 150 personnes, comptant six membres du gouvernement, des parlementaires, une centaine de patrons.
LE PLUS. A voir sur « Google Photo », Claude Allegre et André Glucksmann qui arrivent à la Knesset avant le discours du président français Nicolas Sarkozy, à Jérusalem, Israël, le 23 juin 2008, le deuxième jour de la visite d’État de trois jours de Sarkozy en Israël et dans les Territoires palestiniens.
E PLUS. La carrière de Claude Allègre est d’abord celle d’un scientifique à la renommée internationale. Né le 31 mars 1937 de parents tous les deux professeurs, à Paris, il s’oriente après le baccalauréat dans des études de géologie, une discipline qu’il contribue à faire rayonner à partir des années 1970, époque où il prend la direction de l’Institut de physique du globe de Paris, dont le crédit scientifique sera salué dans le monde entier.
LE PLUS. Télérama : « Claude Allègre affiche une double casquette, scientifique et politique, atypique dans le paysage français. Monté très haut en sciences, comme géochimiste de renommée internationale, lauréat du prix Crafoord et de la médaille d’or du CNRS.
Et très haut en politique, comme président du groupe des experts du Parti socialiste en 1986, puis conseiller spécial de Lionel Jospin à l’Education nationale en 1988 et ministre de l’Education et de la Recherche de 1997 à 2000.
Grand bosseur, doté d’une énergie considérable et d’un goût de la castagne, ne rechignant pas aux exagérations pour l’emporter, y compris face à des scientifiques épris de rigueur. Cultivant ses réseaux, à gauche comme à droite.
En juin 2008, il faisait partie du voyage officiel du président de la République en Israël, comme représentant de la science française. Deux mois plus tard, Nicolas Sarkozy lui proposait d’organiser les Assises européennes de l’innovation.
Avec son intelligence fonceuse et culottée, doublée d’un féroce appétit pour la bonne vie et le pouvoir, Allègre s’est construit une stratégie implacable : il use de son aura scientifique auprès des politiques, et de ses réseaux politiques face au monde scientifique. C’est cette méthode qu’il utilise actuellement pour monter sa Fondation pour l’écologie d’avenir, défendant en tant que géochimiste « désintéressé » des projets de séquestration du carbone en sous-sol et pratiquant un lobbying intensif auprès de grands patrons comme Bernard Arnault (LVMH), qui, dit-on, apprécie son côté Astérix, seul contre tous. Mais il l’a, surtout, mise en oeuvre pour l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), qu’il dirigea dix ans et dont il a fait un fleuron de la recherche française. « Il lui a appliqué des méthodes jusque-là inédites de management, gérant les labos comme des entreprises, avec le goût du montage de projets, du lobbying. Mais jusqu’où a-t-on le droit de mettre la pression, et à quel prix ? » résume un ancien collaborateur. Comme beaucoup d’autres, il décrit « un personnage paradoxal : autoritaire et souvent méprisant, ne supportant aucune contradiction, mais capable de faire confiance à de jeunes chercheurs ».