Le terme anglais « brainrot » a été nommé mot de l’année par l’Oxford University Press. Les prestigieuses éditions universitaires le définissent comme « Une détérioration supposée de l’état mental ou intellectuel d’un individu, en particulier comme résultante d’une surconsommation de contenu (en ligne) considéré comme peu intéressant. Aussi : quelque chose pouvant conduire à cette détérioration. » En résumé, le « brainrot », c’est le contenu des réseaux sociaux qui rend stupide.

La première occurence du mot « brainrot » remonte à bien plus loin que les vidéos de chats et les memes sur Facebook. En 1854, le philosophe américain publie Walden, une réflexion sur la société et la nature écrite depuis une retraite dans les bois. Il y critique alors une tendance à dévaluer les idées complexes et regrette ce qu’il voit comme un déclin du niveau intellectuel de son époque : « Tandis que l’Angleterre s’ingénie à guérir le black-rot des pommes de terre, n’y aura-t-il personne pour s’ingénier à guérir le black-rot du cerveau [brain rot dans le texte original], tellement plus répandu et tellement plus fatal ? »

« C’est emblématique de notre manière de consommer le contenu »

Un retour naturel en 2024, année marquée par les débats sur l’exposition des enfants aux écrans. « Choisir « brain rot » représente un symbole d’une manière de consommer les réseaux sociaux, confirme Albin Wagener, professeur et chercheur en sciences du langage à l’Université catholique de Lille et auteur de Mémologie : théorie postdigitale des mèmes. C’est assez emblématique de notre manière de consommer le contenu en scrollant, le fait qu’on y passe du temps et qu’on ne voit pas toujours des choses qui nous grandissent intellectuellement. » L’actualité chargée y est aussi peut-être pour quelque chose : les changements apportés à X par Elon Musk sont de plus en plus décriés, et TikTok doit faire face à la justice américaine.

 

Pourtant, comme le souligne l’Oxford University Press, le terme n’est pas forcément dénigrant. Sur TikTok, les générations Z et Alpha se sont très vite réapproprié le terme pour désigner un humour absurde, à base de montages surréalistes et d’une surutilisation de néologismes qui ont plus ou moins de sens : skibidi, gyatt ou encore rizz, d’ailleurs mot de l’année 2023 pour Oxford. En français, l’équivalent serait une expression comme quoicoubeh, qui avait laissé pantois les plus de 30 ans en 2023. « Le réemploi est lié à la contre-culture d’Internet, commente Albin Wagener. Les internautes essayent de montrer qu’ils ont du recul sur leurs pratiques, tout en les assumant. »

Internet est aussi un terrain fertile pour l’apparition de nouveaux termes. « Du fait du basculement de la société sur les réseaux sociaux, c’est là-bas qu’émergent de nouvelles pratiques qui donnent de nouveaux mots. » Et la technologie n’a pas fini d’influencer notre vocabulaire. « L’IA va avoir un impact, c’est sûr et certain, poursuit le chercheur. On va créer des pratiques qu’on n’imagine même pas encore. « Prompt », par exemple, n’était pas dans le champ lexical de tout le monde il y a encore quatre ans. » Le mot de 2025 sera-t-il « cyborg » ?

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