JACQUES BENDELAC. Lors d’une récente intervention à la Knesset, le ministre israélien des Finances n’a pas hésité à déclarer que la poursuite de la guerre est bonne pour l’économie.

Le cessez-le-feu au Liban a conforté Bezalel Smotrich qui répète inlassablement que la situation économique du pays est bonne et que la reprise sera au rendez-vous en 2025.

En septembre dernier, s’exprimant à une réunion de la Commission des Finances de la Knesset, Bezalel Smotrich n’avait pas hésité à parier une bouteille de whisky que le plafond du déficit budgétaire (6,6% du PIB) ne serait pas dépassé en 2024 ; avec un déficit qui tourne autour de 8% du PIB, il devra bientôt se séparer d’une bonne bouteille.

Déséquilibre instable.

Peu importe si les chiffres officiels indiquent que l’économie s’enfonce dans la récession et que le déficit budgétaire dérape, il y a quelques jours, Bezalel Smotrich a franchi un nouveau sommet de la démagogie populiste renforcée par l’incompréhension des données économiques.

Dans un discours prononcé à la tribune de la Knesset le 20 novembre dernier, le ministre des Finances a affirmé que « la meilleure chose pour l’économie est de poursuivre la guerre jusqu’à la pleine réalisation de ses objectifs et la victoire ».

La guerre serait donc bonne pour l’économie, un comble ! D’énormes dépenses militaires, le financement de la reconstruction, la pénurie de main d’œuvre, l’indemnisation des victimes, des réservistes et des familles déplacées – autant de facteurs qui jettent un doute sur l’affirmation du ministre des Finances.

Les calculs du coût (direct et indirect) de la guerre sont régulièrement corrigés à la hausse. La dernière estimation de la Banque d’Israël remonte au mois de mai et évaluait le coût de la guerre à 250 milliards de shekels (13% du PIB) sous l’hypothèse que le conflit se terminerait complètement d’ici la fin de 2024.

Entretemps, la guerre s’est prolongée et intensifiée au Liban, ce qui devrait augmenter le coût global de la guerre pour le porter autour de 300 milliards de shekels (75 milliards d’euros) soit l’équivalent de 16% du PIB annuel ; un montant astronomique que l’économie d’Israël ne pourra supporter qu’au prix de sacrifices douloureux.

Retour en arrière.

En fait, la guerre a éteint les moteurs de l’économie, depuis les exportations jusqu’au tourisme. Sur les dix premiers mois de 2024, les exportations de marchandises ont reculé de 6%, le nombre de touristes étrangers a chuté de 70%. Même tendance pour les investissements dans l’économie israélienne qui ont baissé de 16%.

La guerre n’est pas bonne non plus pour le pouvoir d’achat des Israéliens : au cours des douze derniers mois, les prix au détail, déjà élevés en Israël, sont repartis à la hausse avec une inflation annuelle de 3,5%.

Depuis le déclenchement de la guerre, le niveau de vie des citoyens israéliens (mesuré par le PIB par habitant) a diminué de 2,3% et il ne devrait pas s’améliorer en 2025.

En prenant en compte la durée de la reconstruction, le retour à la normalité économique n’est envisageable que pour 2026.

Non monsieur Smotrich, la guerre n’est pas bonne pour l’économie. C’est même le contraire qui est vrai : une guerre marque un grand bond en arrière pour l’économie et pour le niveau de vie de la population qui en paie un prix économique et humain élevé.

Le délire économique du ministre des Finances ne doit pas cacher la vérité : l’intérêt économique d’Israël est de terminer cette guerre multi-fronts au plus tôt.

AUTEUR.

Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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