L’économie israélienne à l’épreuve de la guerre.
L’économie israélienne paye au prix fort 12 mois de guerre, sans pour autant être à terre, mais la poursuite des hostilités risque d’entraîner une augmentation draconienne de la pauvreté, déjà très élevée en Israël, selon des analystes.
« L’économie israélienne a beau être solide, elle a du mal à supporter cette guerre qui dure trop longtemps. Le pays est en train de s’enfoncer dans une récession qu’il n’a pas connue depuis vingt ans », prédit l’économiste Jacques Bendelac, professeur émérite à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Déjà fragilisée en 2023 par les turbulences politiques autour de la réforme du système judiciaire très controversée voulue par le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, et ses alliés d’extrême droite, l’économie israélienne est loin de s’être remise du choc de la guerre déclenchée le 7 octobre par l’attaque sanglante du Hamas en Israël.
Après avoir plongé de 21 % en rythme annuel au quatrième trimestre de 2023, le PIB israélien a rebondi de 14,4 % sur les trois premiers mois de 2024, selon les données officielles, mais la croissance a été poussive au deuxième trimestre (+ 0,7 %).
La prolongation de la guerre la plus longue qu’ait connue Israël depuis celle ayant accompagné sa création en 1948-49, a poussé les trois principales agences de notation financière à abaisser la note de la dette du pays, qui reste néanmoins considéré comme un emprunteur solide.
En justifiant sa décision, l’agence Fitch notait en août que « le conflit à Gaza pourrait durer jusqu’en 2025 » et s’inquiétait « des risques qu’il s’étende à d’autres fronts ».
« L’économie d’Israël est solide », avait réagi M. Nétanyahou en ajoutant : « La dégradation de la note est le résultat d’une guerre sur plusieurs fronts qui (nous) est imposée. La note remontera lorsque nous aurons gagné. »
Chantiers à l’arrêt
Le front entre Israël et le Hezbollah s’est ainsi intensifié ces derniers jours avec des explosions d’appareils de retransmission du parti libanais attribuées au Mossad et une escalade des violences de part et d’autre de la frontière.
Les deux principaux vecteurs de croissance du pays restent les techniques de pointe et l’industrie de l’armement qui pèsent pour près de la moitié de la richesse, mais les autres moteurs de l’économie d’Israël que sont le tourisme, la construction et l’agriculture « s’éteignent les uns après les autres », détaille M. Bendelac.
Avec la guerre, Israël fait face à un manque criant de main-d’oeuvre. Selon l’association de défense des droits des travailleurs Kav LaOved, avec l’interdiction d’entrée imposée par les autorités aux Palestiniens de Cisjordanie occupée, seuls 8000 d’entre eux restent employés dans des usines définies comme essentielles.
Avant-guerre, 100 000 permis de travail étaient délivrés notamment dans le secteur de la construction (10 % du PIB), de l’agriculture et de l’industrie, auxquels venaient s’ajouter environ 80 000 à 100 000 clandestins, selon certaines estimations.
À Tel-Aviv, poumon économique du pays, des chantiers sont à l’arrêt depuis des mois. Des gratte-ciels attendent d’être achevés tout comme des infrastructures de transports majeures.
Le tourisme a aussi plongé depuis le 7 octobre, la guerre faisant fuir à la fois les vacanciers et les pèlerins. De janvier à juillet, le pays a accueilli 500 000 touristes, plus de quatre fois moins que sur la même période de l’année précédente, selon le ministère du Tourisme.
Sans clientèle, Hilik Wald, 47 ans, a renoncé à son travail de guide indépendant à Jérusalem qui lui rapportait en moyenne 18 000 shekels par mois (environ 6800 dollars canadiens ). Il travaille désormais à mi-temps dans un point d’accueil dans une gare.
Il a reçu pendant 174 jours une aide de l’État, mais ses droits à percevoir une allocation ont expiré. « J’espère que la guerre sera bientôt terminée », confie ce père de deux enfants en bas âge.
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Nouveaux bénéficiaires
Résultat de la révolution libérale portée par M. Nétanyahou, le pays s’est développé depuis une vingtaine d’années « sur une consommation à crédit, et dans les situations de crise, beaucoup de familles ne peuvent plus rembourser leurs emprunts », relève M. Bendelac.
Or un coût de la vie élevé (comme c’est le cas en Israël) couplé à une économie qui tourne au ralenti « se traduit inéluctablement par un élargissement de la pauvreté », note-t-il.
Avant la guerre, plus du quart de la population israélienne vivait dans la pauvreté, selon Latet, principale ONG israélienne d’aide aux indigents.
De nouveaux visages se retrouvent dans les files d’attente des distributions alimentaires. Dans le parking d’un centre commercial à Rishon LeZion, ville côtière du centre d’Israël, dans le sud de l’agglomération de Tel-Aviv, l’ONG Pitchon-Lev (« À coeur ouvert ») offre deux fois par semaine des paniers comprenant des fruits, des légumes et de la viande.
Depuis le début de la guerre, « nous avons plus que doublé nos activités », témoigne Eli Cohen, fondateur de cette ONG qui dit soutenir près de 200 000 familles dans tout le pays.
Parmi les nouveaux bénéficiaires, il rencontre « des jeunes, des familles dont les maris sont des réservistes, beaucoup de gens qui étaient naguère des donateurs et tous ceux qui ont été évacués de leurs maisons », dit-il en référence aux dizaines de milliers de personnes évacuées dans le nord du pays où les échanges de tirs transfrontaliers entre l’armée et le Hezbollah sont quasi quotidiens depuis octobre dernier.
À l’issue d’une guerre, « il y a toujours un redémarrage très fort de l’économie », observe M. Bendelac, mais « plus cette guerre durera, plus le redémarrage sera lent et difficile ».