EDITORIAL. LIBRE EXPRESSION. Dans un contexte de fortes tensions internationales, marqué par un réarmement massif des États notamment en Europe et au Proche-Orient, l’explosion simultanée de bipeurs au Liban a démontré la domination technologique d’Israël. Cette opération relance le débat sur les faiblesses des chaînes d’approvisionnement en matériel militaire et pourrait intensifier un climat de méfiance généralisée, fragilisant un peu plus la sécurité des chaînes logistiques des États.
Il est aux alentours de 15 h 30 (heure locale), le mardi 17 septembre, quand des centaines de « bipeurs » détenus par des membres du Hezbollah explosent simultanément. Le lendemain, plusieurs déflagrations résonnent à nouveau dans le sud de Beyrouth. L’origine provient cette fois-ci de talkies-walkies également utilisés par certains membres du parti. Le Liban accuse immédiatement Israël et notamment l’une de ses agences de renseignement, le Mossad, d’être l’instigateur de ces attaques. Mais derrière l’ampleur et la sophistication de l’opération se pose la question de la sécurité des chaînes logistiques des États, une seule faille pouvant suffire à provoquer l’effondrement de l’ensemble d’un système de sécurité.
La chaîne d’approvisionnement mise en cause
Le Hezbollah avait pourtant pris ses précautions. Dans une déclaration survenue quelques mois plus tôt, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah avait exhorté ses troupes à abandonner l’usage de leurs smartphones. Ces derniers étaient en effet jugés trop peu fiables au regard du degré de confidentialité requis pour les communications du régime. Les membres du parti furent alors équipés de « bipeurs » de type AR-924 fabriqués par l’entreprise taïwanaise Gold Apollo. Ces petits appareils permettent d’échanger de courts messages directement transmis par ondes radios. Dépourvus de GPS, ils sont aussi moins vulnérables à l’espionnage et au piratage. Ce sont pourtant ces objets de radiocommunication qui ont explosé, preuve qu’il n’existe pas de technologies infaillibles. D’après les premiers éléments, une petite charge explosive (de 10 à 20 grammes) munie d’un détonateur actionnable à distance, aurait été placée à proximité de la batterie. Si la technique utilisée n’est pas encore avérée, elle pose la question de la complicité des fournisseurs.
Une société écran au service de l’État hébreu ?
Quelques heures après l’attaque, les soupçons se tournent vers l’industriel Gold Apollo. Le groupe s’est immédiatement déchargé de toute responsabilité en visant directement l’un de ses sous-traitants hongrois, la mystérieuse société BAC Consulting. Cette société, basée à Budapest, est autorisée par le groupe Gold Apollo à utiliser la marque sur les produits qu’elle fabrique. La nature de cette société interroge puisque, en s’intéressant à ses activités, cette dernière produirait du matériel de télécommunication classique pour des « clients ordinaires ».
La fabrication du matériel destiné au Hezbollah était opérée en parallèle avec des batteries contenant l’explosif PETN, l’un des explosifs les plus puissants du marché. Petit à petit, ces appareils auraient été distribués aux membres du Hezbollah à partir de l’été 2022; la déclaration d’Hassan Nasrallah visant à supprimer les communications par téléphone portable ayant de facto accéléré le processus de livraison. Cette stratégie aurait permis à Israël de garder un avantage tactique, lui offrant ainsi une liberté d’action sans précédent.
Réarmement mondial : le facteur risque des chaînes d’approvisionnement.
Dans un contexte déjà marqué par un réarmement massif, les bases industrielles de défense (BITD) sont fortement sollicitées. De fait, l’augmentation des capacités de production de l’industrie de défense entraîne un risque important d’attaque des chaînes d’approvisionnement. Déjà fragilisées par la pandémie de COVID-19, certaines entreprises sont en plus contraintes de diversifier leurs sources d’approvisionnements, notamment en se tournant vers l’étranger.
En outre, l’afflux massif de commandes a rendu encore plus interdépendant le monde de la défense. Le risque est également de voir se développer une culture de la suspicion entre partenaires pouvant aboutir à une rupture de confiance et à des restrictions dans le partage des technologies militaires. Premier effet de l’opération : le président Vénézuélien Nicolas Maduro a exhorté son gouvernement et son administration à ne pas accepter de « cadeaux électroniques » et à prioriser les « objets artisanaux et jouets fabriqués au Venezuela ».
Cet événement devrait conduire les États à adopter une posture de vigilance quant à la sécurité de leur chaîne d’approvisionnement. Et il ne fait aucun doute qu’Israël, grand pourvoyeur de technologie de surveillance, subira l’impact de cette défiance alors même que le pays avait déjà été fragilisé par l’affaire Pegasus.
Grégoire Melin
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