Plongé dans un conflit majeur, Israël voit son économie bousculée. La secousse initiale a été financière, mais la rupture ne viendra pas de là. Le principal indice boursier a peut-être décroché après les attentats du 7 octobre mais il s’est rapidement redressé, atteignant même un niveau record.
La pénurie de main-d’œuvre pèse lourdement sur l’économie
Le taux de change du shekel a suivi le même type de trajectoire : tombé face au dollar à son plus bas niveau depuis 14 ans, il s’est repris et surpasse son niveau d’avant le début des hostilités. Malgré le renchérissement des produits frais (qui attise le mécontentement de la population), l’impact de la guerre sur l’inflation reste modéré à ce stade. Elle est descendue sous 3% et se situe dans la cible fixée par la Banque d’Israël ce qui l’a conduit à réduire son principal taux directeur en début d’année.
Le véritable point noir se situe en fait du côté de l’offre. Les conséquences du conflit sur la disponibilité de la main d’œuvre sont bien plus pénalisantes. Au-delà des réservistes mobilisés, le pays est mis en difficulté pour trois raisons majeures : le déplacement de 200 000 habitants contraints de quitter leur domicile pour échapper aux attaques du Hamas au Sud et du Hezbollah au Nord ; le départ massif des travailleurs immigrés notamment asiatiques ; la quasi-interdiction des Palestiniens de Cisjordanie de venir travailler en Israël. Avant-guerre, il y avait 100 000 permis valides pour les travailleurs palestiniens, auxquels s’ajoutaient de 80 à 100 000 clandestins. Or, l’économie israélienne était proche du plein emploi avant le conflit. Avec un taux de chômage à peine supérieur à 3%, moins de 155 000 personnes se retrouvaient sans emploi. En d’autres termes, le réservoir de main-d’œuvre était déjà vide ou presque. Les entreprises se retrouvent aujourd’hui en pénurie de personnel.
La récession devrait être évitée
Le BTP est particulièrement affecté comme l’agriculture qui ne représente peut-être que 1% du PIB mais constitue un secteur à la fois stratégique et emblématique. Certaines filières doivent en outre composer avec le défaut partiel ou quasi-total de leur demande. C’est le cas du tourisme, important créateur de richesse et d’emplois. En chute de 80%, le nombre de visiteurs étrangers est quasiment tombé à ses planchers de la crise de la Covid-19.
Toutes ces difficultés se retrouvent condensées dans le décrochage de la croissance fin 2023. Un choc sévère mais en partie effacé. C’est un rebond mécanique après la violence du choc subi et son effet de sidération. Le tissu productif s’est adapté avec difficultés et partiellement, au manque de bras ; un temps stoppé, les exportations se sont redressées notamment celles de gaz vers la Jordanie et surtout l’Égypte qui sont de nouveau au maximum de leur potentiel ; la consommation s’est ressaisie. Le rattrapage est cependant encore incomplet et le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant les hostilités. La suite du chemin sera en outre plus chaotique même si le pays devrait éviter la récession cette année.
Des ajustements budgétaires sont impératifs pour financer la guerre
Il faudra d’abord digérer le coût de la guerre. Selon les estimations de la Banque d’Israël, les combats devraient coûter près de 65 milliards d’euros en dépenses de défense, besoins civils et pertes de revenus fiscaux sur la période 2023-2025. Les finances publiques en portent les séquelles. Le déficit se creuse et devrait représenter 7,5% du PIB cette année selon les prévisions officielles.
Des ajustements budgétaires significatifs sont donc rendus nécessaires, tant du côté des dépenses que des recettes. Une augmentation de la TVA de 17 à 18% est déjà programmée pour 2025. Vient ensuite la défiance des entreprises étrangères. Faire des affaires avec Israël est devenu un handicap et fait courir le risque d’un boycott par une partie du reste du monde. Les investissements directs étrangers sont passés de 20-25 milliards de dollars par an à 16 en 2023 et certainement beaucoup moins cette année. Même le secteur phare de la Tech est touché. Intel a suspendu début juin un projet d’extension d’une usine de semi-conducteurs, un investissement à 15 milliards de dollars.
Enfin, le clivage de la société entre les ultra-orthodoxes (soit 13% de la population) et le reste des habitants s’est amplifié avec la guerre autour de deux débats : la conscription des jeunes étudiants religieux en yeshiva exemptés jusqu’à maintenant du service militaire et de la mobilisation ainsi que les fonds publics dont bénéficient cette communauté de plus en plus jugés comme indus d’autant que les finances publiques sont sous pression. Construit comme une économie de guerre, Israël sait fonctionner lors des conflits et rebondir quand ils s’achèvent. Mais les plaies seront cette fois-ci plus longues à cicatriser.
ALEXANDRE MIRLICOURTOIS.
XERFI