JACQUES BENDELAC. Les explosions de bipeurs et de talkies-walkies au Liban n’ont pas fait oublier à l’Israélien la cherté de la vie, la valse des prix et les fins de mois de plus en plus difficiles ; il a même failli être privé de son légume favori.
Le prix de la tomate a flambé de 37% le mois dernier et la valse des étiquettes n’est pas près de s’achever. En annonçant un embargo sur ses exportations vers Israël en avril dernier, le président turc Erdogan ne se doutait pas qu’il allait bouleverser l’assiette du consommateur israélien.
Fruit pour les uns, légume pour les autres, la tomate n’a pas fini de semer la confusion en Israël. Et pas tant pour ses bienfaits culinaires : l’Israélien s’inquiète de voir le prix de la tomate s’envoler, peut-être même de la voir disparaître des étalages des marchés et supermarchés.
Pénurie chronique.
Bon an mal an, les agriculteurs israéliens produisent autour de 300 000 tonnes de tomates, soit 30 kg par habitant. Une partie de la production est destinée à l’exportation : en 2023, 15 000 tonnes, surtout les tomates cerises, ont été vendues sur les marchés européens.
La production de masse ne suffit pas à satisfaire la gourmandise des Israéliens : la pénurie de tomates tire régulièrement leur prix vers le haut, contraignant le gouvernement à se fournir ailleurs.
D’où ce paradoxe économique : le pays exporte une partie de sa production mais il est obligé de s’approvisionner à l’étranger pour satisfaire à la demande locale.
C’est ainsi que les importations de tomates se sont envolées pour atteindre un record de 40 000 tonnes en 2020, et se stabiliser autour de 20 000 en 2023. Le fournisseur principal de tomates à Israël est la Turquie, mais aussi la Jordanie et les Territoires palestiniens (Cisjordanie et Gaza).
Guerre de la tomate.
Seulement voilà : vers la fin 2023, plusieurs facteurs sont venus entraver la production et la distribution de la tomate. La guerre dans le sud d’Israël, qui produit la moitié des tomates du pays, a réduit l’offre locale : depuis le début de la guerre, les ouvriers étrangers (palestiniens compris) n’assurent plus les récoltes, alors que la tomate palestinienne a disparu des marchés israéliens.
En mai dernier, la Turquie a déclaré la « guerre de la tomate » avec l’Etat juif ; l’embargo a aggravé la pénurie, accélérant l’envolée de son prix qui peut atteindre 40 shekels le kilo (10 euros).
De même, les records de chaleurs de cet été n’ont pas favorisé les cultures maraîchères, tomates comprises. Le mauvais sort a continué de s’abattre sur l’aliment favori de l’Israélien : à la suite d’une alerte au choléra en août, Israël a interrompu ses importations de produits agricoles jordaniens, tomates comprises.
Il aura fallu l’ingéniosité des hommes d’affaires israéliens pour détourner l’embargo décrété par la Turquie : désormais, les importateurs israéliens ont recours à des intermédiaires palestiniens de Cisjordanie pour contourner l’obstacle. Autrement dit, beaucoup de produits turcs vendus aux Palestiniens sont destinés à Israël.
Même en temps de guerre, la coopération régionale bat son plein : Israéliens, Palestiniens et Turcs sont gagnants au change. L’argent a ses raisons que la raison ignore…