L’école publique en Israël est de moins en moins gratuite.

Le chaos qui règne dans l’enseignement secondaire depuis la rentrée de septembre illustre la dégradation qu’a connu le système scolaire en Israël durant la dernière décennie.

Après six jours de grève, les enseignants du secondaire ont décidé de reprendre le chemin du lycée. Leur mouvement de protestation dénonce notamment une forme de privatisation de l’éducation : le ministère de l’Éducation veut nommer des enseignants qui n’auront pas le statut de fonctionnaire et qui n’ont pas de diplôme d’enseignement.

Voilà plus d’une décennie que le système scolaire se dégrade en Israël : classes surchargées, pénurie d’enseignants, salaires insuffisants, etc… En fait, les pouvoirs publics ne dépensent pas assez pour l’éducation des petits Israéliens, obligeant les parents d’élèves à mettre la main à la poche.

Coïncidence ou pas, l’Institut de la Statistique a publié en plein cœur de l’été un des indicateurs les plus importants pour l’avenir du pays : les dépenses nationales d’éducation pour 2023.

Croissance démographique.

On y apprend qu’Israël a consacré 148,9 milliards de shekels aux dépenses d’éducation en 2023, soit l’équivalent de 8% de son PIB annuel ; un montant qui semble suffisant pour satisfaire aux besoins du pays. D’autant plus qu’en 2023, les dépenses nationales d’éducation ont augmenté de 1,3% par rapport à l’année précédente.

On pourrait aussi se réjouir à la lecture du dernier rapport de l’OCDE Regards sur l’éducation 2024 qui précise qu’Israël se classe parmi les premiers pays occidentaux en termes de dépenses d’éducation en pourcentage du PIB.

C’est oublier qu’Israël est un pays jeune, qui connaît une croissance démographique forte (autour de 2% l’an) ; ce qui signifie que le système scolaire accueille de plus en plus d’enfants dont il faut financer la scolarité.

En prenant en compte la démographie, la surprise laisse la place à l’inquiétude ; en fait, les dépenses d’éducation ont baissé l’an dernier de 0,8% par personne.

Autrement dit, les dépenses ne suivent pas le rythme d’augmentation de la population israélienne qui augmente plus vite (+2,1%) que les dépenses d’éducation (+1,3%). Non seulement les dépenses nationales par habitant reculent, mais leur financement repose de plus en plus sur l’argent privé.

Éducation payante

La privatisation que connaît l’économie israélienne depuis quelques années s’est aussi étendue au système scolaire ; beaucoup d’enseignants ne font plus partie de la fonction publique et l’État achète à des sociétés privées des services qui étaient autrefois fournis par ses propres agents.

Résultat de cette démission de l’État : en 2023, les pouvoirs publics (gouvernement et municipalités) ne finançaient que 80,5% des dépenses nationales d’éducation. Le cinquième des dépenses nationales d’éducation (exactement 19,5%) est financé par des sources privées, c’est-à-dire les parents d’élèves et autres associations volontaires.

Ce qui fait que la gratuité de l’éducation jusqu’à 16 ans devient de plus en plus relative en Israël. Les directeurs d’école se tournent vers les parents pour trouver des sources alternatives de financement pour le matériel scolaire et certaines activités réalisées dans le cadre de l’école (sorties, assurances, etc…).

Les parents d’élèves sont donc mis à contribution pour ne pas subir une baisse de la qualité et quantité des services fournis à leurs enfants par l’éducation publique. La réduction des heures d’enseignement et les classes surchargées les obligent aussi à accroître leur budget pour des activités extra-scolaires, cours particuliers et ateliers divers.

En 2024, les coupes budgétaires réalisées dans toutes les dépenses civiles pour cause de guerre ne laissent rien présager de bon ; l’école publique et gratuite est en passe de devenir un mythe en Israël…

à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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