Le magazine « le Nouvel Obs » a consacré cet été une série d’articles sur le Les séries emblématiques sur la guerre évidemment un d’entre eux a été consacré à « Fauda », la série israélienne couronnée de succès diffusée depuis 2015 et qui suit des mista’arvim, ces hommes sous couverture à la recherche de terroristes dans les Territoires palestiniens.

Mais à la fin de la saison 4, les héros étaient montrés blessés à l’issue d’âpres combats face à  des terroristes palestiniens. Un an après ces images, la réalité a rattrapé la fiction et l’équipe de la série a été submergée par l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dans laquelle près de 1 200 Israéliens ont trouvé la mort et la guerre à Gaza qui a coûté la vie à 40 000 Palestiniens. Dès ce chabbat noir, jour de la fête juive de Simhat Torah, une large partie de l’équipe s’est exprimée sur les réseaux sociaux, confirmant grâce aux témoignages de leurs proches sur place l’horreur des massacres dans les kibboutz du sud du pays.

Certains, pourvus d’une expérience militaire comme le coauteur de la série Lior Raz, qui a servi dans l’unité d’élite Douvdevan et incarne le personnage principal Doron Kabillio, ont même pris les armes pour secourir les civils attaqués. D’autres ont répondu les jours suivant au rappel des soldats réservistes en vue de la contre-offensive sur Gaza. Parmi eux, Idan Amedi, qui, à 36 ans, après avoir été brûlé au point d’être méconnaissable, portera à vie dans sa chair les stigmates du conflit.

La carrière artistique du jeune homme a toujours été étrangement liée à son expérience militaire. Dans un pays où la conscription est maintenue pour les garçons (trois ans) et les filles (deux ans), l’armée est une institution. Mais pour Idan, tout s’entremêle. D’abord connu en tant que chanteur grâce à sa participation en 2010 au concours musical Kokhav Nolad (Une étoile est née), il doit son succès à une chanson inspirée de son expérience au sein d’un bataillon de génie de combat. « A Warrior’s pain » aborde les traumatismes des soldats de retour à la maison : « Je ne suis plus moi ; Des images me traversent l’esprit de cette nuit ; Des larmes, la douleur d’un guerrier » , chante le jeune homme.

Le titre a intégré ces derniers mois la « bande-son » de la guerre, reprise par d’autres artistes comme le chanteur druze Loai Ali, qui joue d’ailleurs dans la dernière saison de « Fauda ». Idan Amedi, lui, a rejoint le casting lors de la deuxième saison, en 2017.

La série Netflix, plébiscitée à travers le monde, est unanimement saluée par la critique (elle sera classée en 2019 par le « New York Times » au huitième rang des meilleures séries internationales de la décennie). Idan Amedi, alias Sagi Tzur, incarne l’un des membres de l’unité de Doron Kabillio, agent aux méthodes expéditives qui encadre des mista’arvim. L’annonce de son hospitalisation, en janvier, tient le pays en haleine. L’acteur devient le symbole de ces centaines de milliers de jeunes Israéliens, conscrits et réservistes, embarqués dans une guerre inhabituellement longue, et dont les familles attendent désespérément le retour à la maison.

« Ce jeune homme, qui n’était pas une grande star mais un simple comédien un peu connu, a pris une dimension de héros » , affirme Yaël Munk, professeure de cinéma à l’Open University de Tel Aviv. Le comédien Itzik Cohen ne tarit pas d’éloges : « Idan est un garçon merveilleux, d’une grande douceur, qui a su transformer ses blessures en force. Pour lui, pour toute notre équipe et le pays entier. C’est un miracle qu’il soit encore là avec nous. »

Alors que la cinquième saison de « Fauda » était écrite, ses coauteurs Lior Raz et Avi Issacharoff ont annoncé reprendre le scénario pour tenir compte des derniers événements. Comment trouver la distance nécessaire ?

Pour Yaël Munk, tout cela est très prématuré. La professeure établit un parallèle entre l’attaque du 7 octobre et celle de Yom Kippour, en 1973, durant laquelle, de nombreux dysfonctionnements étaient également apparus au plus haut niveau de décisions. Or, rappelle-t-elle, «  il aura fallu près de cinquante ans pour qu’une série, « la Vallée des larmes », soit tournée sur ce moment de notre histoire Il y a déjà eu plusieurs documentaires sur le 7 octobre, mais une oeuvre de fiction défend nécessairement un parti pris. Comment tirer des leçons pour écrire un film ou une série si près d’événements aussi traumatisants ? »

Très impactés par les événements, certains membres de l’équipe ont pris des positions radicales, en droite ligne avec l’opinion israélienne. En mai, une enquête d’opinion du Pew Research Center de Washington révèle que 39 % des Israéliens estiment que la réponse militaire d’Israël contre le Hamas à Gaza est appropriée, 34 % jugent qu’elle n’est pas allée assez loin tandis que seulement 19 % la pensent excessive.

« Nous ne pouvons plus humaniser l’autre côté », a lâché Lior Raz en annonçant la réécriture de la saison 5. « Il faut leur casser les os », a réagi Idan Amedi après qu’un tir du Hezbollah libanais a touché un terrain de foot, tuant douze enfants druzes dans un village du Golan annexé en 1981. « C’est très difficile, quand on a traversé ce genre d’épreuve, de ne pas réagir comme un animal blessé » , affirme la comédienne Laetitia Eido.

Française, de mère Libanaise et issue d’une famille où coexistaient chrétiens, musulmans et juifs, l’actrice qui incarnait l’inoubliable docteur Shirin El-Abed dans les deux premières saisons de Fauda s’est immédiatement rapprochée des organisations pacifistes lorsqu’elle a commencé à travailler en Israël. « Depuis trop longtemps, dans le conflit israélo-arabe chacun parle de sa blessure et occulte celles des autres , regrette-t-elle. C’est éminemment difficile bien sûr, mais considérer l’humanité de l’autre est la seule alternative pour aller vers la paix. »

Les positions parfois bellicistes de membres de l’équipe, qui traduisent la plaie toujours à vif du 7 octobre, ont choqué ceux qui avaient voulu croire en un certain équilibre du propos de « Fauda ». Symbole d’une certaine mixité, l’équipe elle-même a toujours été constituée, à l’image de la population israélienne, d’acteurs et de techniciens juifs et arabes israéliens. Mais, inquiets de la tournure que pourrait prendre la 5 saison, certains hésitent à rempiler.

« Au départ, Lior Raz voulait montrer que lorsqu’on fait la guerre, on perd tout, quel que soit le camp. C’est ce qui m’avait intéressée dans son projet » , affirme Laetitia Eido, qui avait, en accord avec l’auteur, donné un positionnement très humain à son personnage de médecin franco-palestinienne. Mais après dix mois de souffrances et de peurs, les auteurs pourront-ils prendre la distance nécessaire et ne pas tomber dans un déferlement de haine ou un manichéisme caricatural ? « J’aimerais tellement que la prochaine saison de « Fauda » amène un questionnement profond. Les raisons qui m’ont poussée à accepter le projet semblent si obsolètes alors qu’elles sont plus que jamais nécessaires. »

Dans ce Moyen-Orient en proie à toutes les menaces, les questions sont, malheureusement, souvent plus terre à terre. Pour Idan Amedi, le problème est de savoir, tout simplement, s’il sera en capacité de jouer.

Source : Le Nouvel Obs (copyright)

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