Qu’est-il donc arrivé à Marks & Spencer, qui représentait autrefois la quintessence de l’entreprise britannique juive ? Parmi les saints, rares sont ceux qui ont été plus populaires que saint Michel en Grande-Bretagne. Ce n’est cependant pas le célèbre archange lui-même qui jouissait d’un tel renom, mais son image, effigie de la très florissante chaîne de magasins Marks & Spencer.
A une époque, les femmes achetaient chaque semaine 1 million de culottes portant l’effigie de saint Michel, tandis que deux soutien-gorge sur cinq vendus en Grande-Bretagne étaient également estampillés à son image. Un journaliste a ainsi pu écrire que saint Michel “jouissait de la même affection que la reine mère”.
Apparue en 1928, l’image de saint Michel a perpétué la mémoire de Michael Marks, un Juif d’origine russe qui fonda Marks & Spencer à la fin du XIXe siècle. Elle en est venue à symboliser la qualité britannique des articles distribués par la chaîne, ainsi que les racines résolument juives de “Marks & Sparks”, comme on appelle familièrement l’entreprise.
Lorsque Marks & Spencer décida, en mars dernier, d’abandonner le label saint Michel, cela fut interprété par les commentateurs comme un geste de courage ou comme une réaction de panique face aux risques de rachats hostiles. Certains crurent également déceler dans cette décision le signe d’une rupture des liens que la marque entretenait avec son passé – en particulier avec son passé juif.
Le déclin de la marque a été aussi spectaculaire qu’inattendu. Jusqu’à la fin de 1997, l’entreprise était considérée comme le quatrième détaillant le plus rentable au monde. Pourtant, au début de l’année 2000, le fléchissement des bénéfices avait entraîné l’action M&S à son niveau le plus bas depuis neuf ans. Dans les 400 magasins de la chaîne à travers le monde, les ventes avaient chuté de 4,5 %.
Les manoeuvres des raiders ont été repoussées, mais l’idée que M&S s’est quelque peu égaré à cette occasion fait naître des inquiétudes sur son avenir, ainsi que sur celui des entreprises et institutions juives ou israéliennes qui entretiennent des liens avec la chaîne. Parmi celles-ci on trouve aussi bien des organismes caritatifs que les industriels israéliens figurant sur la liste de ses fournisseurs privilégiés.
Il est incontestable que depuis des années M&S a pris de plus en plus de distances par rapport à son héritage juif. En 1960, son conseil d’administration était truffé de noms juifs : à côté des inévitables Marks et Sieff – les deux dynasties familiales à l’origine de cet empire commercial, qui ont de tout temps entretenu des liens étroits renforcés par de nombreux mariages -, on trouvait deux Sacher, un Laski, un Goldberg et un Goodman.
Neuf de ses quatorze membres appartenaient ainsi à la famille Marks et Sieff.
Aujourd’hui, rares sont les Juifs à siéger à la table du conseil, surtout après le retrait de lord Andrew Stone, en septembre 1989. Sir Richard Greenbury, qui, après les longues années de règne de lord Marcus Sieff, l’a remplacé comme président et directeur général en 1988, n’était qu’à moitié juif. En janvier 2000, le Belge Luc Vandervelde a à son tour accédé à la présidence.
Barry Kosmin, de l’Institute for Jewish Policy Research, se souvient des liens autrefois légendaires de l’entreprise avec la communauté juive. “M&S a été important, et même essentiel pour la communauté juive britannique entre les années 60 et les années 80 […] d’une part en raison de ses liens historiques étroits avec le sionisme et, d’autre part, pour avoir ouvert le marché anglais aux produits israéliens. M&S a été vanté comme étant le vaisseau amiral des succès commerciaux britanniques pendant les années Thatcher. Plus encore, M&S a ouvertement apporté son soutien aux conservateurs, ce qui montrait que les Juifs devenaient partie intégrante d’une tendance nouvelle.”
L’histoire de M&S appartient au folklore juif anglais. En 1864, Michael Marks, un réfugié de Russie, ouvrit un étal sur le marché de Leeds, à 300 km au nord de Londres. Tout comme ses concurrents, Marks y proposait des articles de ménage et de mercerie, des jouets et des partitions musicales. Mais il se distingua vite par son sens commercial. Bientôt il se retrouva à la tête d’une chaîne d’étals de vente d’articles de bazar dont la publicité proclamait : “Ne demandez pas combien ça coûte : tout est à 1 penny.”
En 1894, le chrétien britannique Thomas Spencer s’associa à Marks, lui permettant ainsi d’accéder à une clientèle beaucoup plus large. Agnes, l’épouse de Spencer, une institutrice, aida Michael à perfectionner son anglais, tandis que Tom initiait le fils de Marks au cricket. En quelques années, M&S se transforma en une chaîne de magasins ayant son siège à Manchester mais couvrant tout le nord de l’Angleterre.
Lorsqu’il en devint le président, en 1916, à l’âge de 28 ans, Simon Marks procéda à une série de changements commerciaux. Mais son idée la plus géniale fut de nommer son ami d’enfance Israel Sieff au poste de directeur. Le partenariat entre Marks et Sieff se prolongea au-delà du domaine professionnel pour embrasser le militantisme sioniste.
Sieff était un partisan convaincu du sionisme depuis sa rencontre avec Chaim Weizmann, en 1913 [ce dernier devint le premier président de l’Etat d’Israël en 1949]. Avec Weizmann, Marks et Sieff contribuèrent à mettre en branle la suite des événements, qui culmina en 1917 avec la déclaration Balfour [du nom du ministre des Affaires étrangères britannique qui préconisa la constitution d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine]. L’année suivante, Israel Sieff se retrouvait à la tête d’une commission sioniste cherchant à étendre les droits des Juifs, puis devint le secrétaire de Weizmann durant la conférence de Versailles. Rebecca, la femme de Sieff (qui était par ailleurs la soeur de Simon), participa en 1920 à la fondation de l’organisation sioniste féminine WIZO, qu’elle devait ensuite diriger pendant vingt ans avec Vera Weizmann.
Pourquoi M&S connaît-il de tels revers à l’aube du XXIe siècle ? Beaucoup de raisons ont été avancées. Peut-être a-t-il tout simplement atteint une taille trop grande. Ou alors a-t-il évolué trop lentement. Jusqu’à tout récemment, aucun magasin M&S n’acceptait les cartes de crédit, et la chaîne rechignait à faire de la publicité jusque dans les années 90.
M&S avait autrefois une politique d’embauche excentrique mais efficace. C’était probablement la seule institution commerciale anglaise qui cherchait à recruter des diplômés de philosophie au motif qu’ils savaient réfléchir de façon logique. Aujourd’hui, M&S leur préfère des managers dotés d’un mastère en business.
En cette époque de globalisation et de marketing international, tous ces changements étaient peut-être inévitables. Et puis l’héritage commercial des familles Marks et Sieff ne pouvait sans doute se prolonger éternellement. Pas plus que les origines juives de l’entreprise qui a fait leur fortune.
Marks & Spencer : le come-back inespéré de l’icône anglaise.
Le bénéfice de l’emblématique distributeur britannique a augmenté de 58 % par rapport à l’exercice précédent. Ses dirigeants y voient les fruits de leur plan de redressement.
C’est une bonne nouvelle pour l’emblématique distributeur britannique.Marks & Spencer (M&S), avec ses 1.060 magasins à travers le Royaume-Uni, a annoncé une hausse de 58 % de son bénéfice annuel, lors de la publication de ses résultats de son exercice décalé, ce mercredi.
Le groupe, à la fois positionné sur les secteurs de l’alimentaire et de l’habillement, a enregistré au total un bénéfice avant impôt de 716,4 millions de livres, contre 453,3 millions sur l’exercice précédent. Dans sa présentation, le groupe indique que « M&S a terminé l’année avec la meilleure santé financière depuis 1997 », année où l’entreprise avait affiché un bénéfice avant imposition d’un milliard de livres.