Israël, les Palestiniens… Et les Chinois, par Raphaël Jerusalmy
Bien que semblant durcir son attitude, Pékin ne tient pas à préjudicier ses relations économiques et technologiques avec Israël. La Chine ménage donc les deux adversaires, Iran et Israël
Le 24 juillet dernier, des délégués de plusieurs factions palestiniennes, dont l’OLP et le Hamas, ont signé la « déclaration de Pékin », proclamant la fin de leurs divisions et le projet de former un gouvernement intérimaire d’unité nationale. Cet accord qui ne tiendra pas plus que les précédents ne mériterait pas qu’on lui accorde d’intérêt si n’était qu’il a été initié, pour ne pas dire imposé, par la diplomatie chinoise. Cette mesure assez inhabituelle indique un changement d’attitude de Pékin, des suites du 7 octobre. En sus de son implication économique, la Chine qui s’était montrée jusque-là discrète, veut désormais s’affirmer comme acteur politique et géostratégique prédominant dans les affaires du Proche-Orient. En cela, elle entend faire contrepoids à l’influence américaine, surtout depuis que les Russes, occupés avec l’Ukraine, ont perdu du terrain. Le prétendu sommet palestinien tenu cette semaine à Pékin est une entrée dans l’arène au moment propice où les Américains sont pris par leur campagne électorale à la présidence. Mais que veulent les Chinois ?
Il est clair que, au même titre que les pays arabes, ce soutien à la « cause palestinienne » n’est qu’un moyen de parvenir à une fin. Le président de l’Autorité palestinienne est conscient de n’être qu’un pion sur l’échiquier. Mais il est aux abois. Alors, pour se faire bien voir de son maître chinois, Mahmoud Abbas, lors de ses visites en Chine, dont celle de juin 2023, a été jusqu’à acclamer la répression contre les minorités musulmanes du Xinjiang. Rappelons que les atroces souffrances qu’endurent les Ouïghours ne font pratiquement pas l’objet de résolutions de l’ONU, ni de procès au tribunal de La Haye. En comparaison de leur détresse, la vie à Ramallah ou Jéricho est une villégiature. Sans compter que bien des Chinois vivent sous un seuil de pauvreté égal à celui des Gazaouis.
Si Pékin a besoin des Palestiniens dans le cadre de sa stratégie, c’est uniquement pour faire pression sur Israël. Pékin redoute qu’un conflit israélien avec l’Iran menace les ressources énergétiques dont l’économie chinoise dépend. Le pétrole et le gaz naturel iraniens sont à ce point vitaux pour la Chine que Pékin a signé un engagement auprès de Téhéran pour protéger les sites d’extraction en cas d’attaque « comme si c’était le sol chinois ».
Bien que semblant durcir son attitude, Pékin ne tient pas à préjudicier ses relations économiques et technologiques avec Israël. La Chine ménage donc les deux adversaires, Iran et Israël. Et il se pourrait fort que, pour les raisons citées ci-dessus, elle puisse jouer un rôle modérateur et intimer Téhéran à la retenue. Surtout après ce qu’il vient d’arriver aux Houthis ! Pékin ne tient pas à voir les puits de pétrole iraniens partir en flammes. Et son économie flamber de même. Sans oublier le mégaprojet de la nouvelle route de la soie, nommée « la ceinture et la route » en chinois, dont la voie maritime passe par la mer Rouge et le canal de Suez.
Selon cette même logique, la Chine a encouragé et servi de médiateur dans le rétablissement des relations diplomatiques et commerciales entre l’Iran et l’Arabie saoudite, entériné en mars 2023. Ce rapprochement inquiète Washington d’autant plus qu’il marque l’influence croissante de la diplomatie chinoise dans la région. MBS, le premier ministre saoudien, capitalise sur cette crainte américaine pour monnayer cher son appartenance éventuelle au camp américain. Le Forum de Coopération de la Chine avec les États Arabes, créé en 2004, joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la manœuvre antiaméricaine.
Israël pourrait-il aussi menacer de basculer dans le camp sino-russe ? Après tout, la Chine courtise les Israéliens, escomptant leur acheter des armes et des produits de technologie militaire que le monde occidental lui refuse. Elle est l’un des principaux clients de l’industrie aérospatiale israélienne, surtout pour les satellites de communication. Et elle voudrait qu’Israël l’aide à moderniser son armée de l’air. Les Américains, qui voient ses achats d’un très mauvais œil, ont exigé des Israéliens d’annuler certaines ventes d’armes à la Chine. Mais Israël dépend aussi de Pékin qui investit depuis plusieurs années dans des domaines vitaux de l’économie israélienne, dont les start-ups Hi-Tech et les sites portuaires. Le contrôle chinois sur le port de Haïfa inquiète également les Américains, car ce port n’est pas qu’une structure commerciale. C’est un point stratégique crucial en mer Méditerranée.
Éphraïm Halévi, ancien chef du Mossad, considère comme risqué de laisser la Chine étendre ses tentacules en Israël. Il rappelle que Pékin assiste ouvertement Téhéran dans son programme nucléaire et l’aide à contourner les sanctions imposées par l’Europe et les États-Unis. Depuis le 7 octobre, les Chinois ont grandement contribué à la montée de l’antisémitisme, par le biais de TikTok. Enfin, Pékin compte sur les deux guerres actuelles, Russie-Ukraine et Hamas-Israël, pour impacter tant la stabilité que l’économie de ses rivaux occidentaux. Et aussi afin qu’Américains et Européens vident leurs entrepôts de munition, ce qui les affaiblira en cas de l’ouverture d’un front sur Taïwan.
Après l’Afrique, et selon la même stratégie économique et diplomatique qui rappelle étrangement la tactique du jeu de Go, le Proche-Orient est aujourd’hui la proie de l’expansion chinoise. Prochaine étape ? L’Europe !