XERFI. COPYRIGHTS. Lorsque l’iPhone apparait en juin 2007, les fabricants de téléphones à écran minuscule, avec des touches à enfoncer et souvent un clapet, comprennent assez vite que leur marché a explosé. Qu’ils vont devoir passer eux aussi au smartphone, à moins de se contenter d’un marché epsilonesque. Mais chez Blackberry, on n’a pas conscience du danger. Et pour cause : Blackberry est un smartphone avant l’heure, il existe depuis 1999. Il est fiable, sécurisé, il permet un accès gratuit à ses mails, à une époque où les forfaits sont limités et où seule une élite va sur Internet depuis son téléphone. Les autres appareils n’ont que des touches numérotées qui rendent l’écriture fastidieuse (vous vous rappelez ? Il fallait taper trois fois sur le 7 pour faire un « R » !) alors que le Blackberry possède un clavier complet. Il y a aussi une messagerie instantanée entre les utilisateurs, le BlackBerry Messenger. Bref, il est l’accessoire fétiche des cadres et des dirigeants internationaux – l’outil des « pros », financé par l’entreprise, un « privilège » de cadre -, quand l’iphone et ses suiveurs sous Androïd s’attaquent à tout le marché.
L’immense majorité de la tribu ne veut donc pas renoncer à son Blackberry : après tout, que leur apporterait l’iphone et son écran tactile ? Ils sont entraînés à pianoter à toute vitesse sur un clavier physique, avec les touches qui s’enfoncent sous les doigts, ils n’ont pas envie de réapprendre à taper avec un iphone.
En plus, la marque possède des ambassadeurs extraordinaires, comme Kim Kardashian ou Barack Obama. En arrivant à la Maison Blanche, en 2009, le président se bat contre ses équipes de sécurité pour garder son Blackberry. Mais comme il l’avoue dans ses mémoires, il est obligé d’accepter que son appareil soit bridé : plus d’appels possibles, plus d’accès à Internet, des échanges de mails limités à une vingtaine de contacts ! Sa femme Michelle se moque de lui : elle lui dit que son téléphone est comme un jouet pour les tout-petits, avec juste des lumières et des boutons pour faire du bruit…
En dépit de son fan club, le Blackberry ne va tenir qu’une décennie. Car il se laisse vieillir, sans proposer de nouvelles fonctionnalités. Et les utilisateurs, peu à peu, vont finir par lui préférer les écrans plus grands, les applications plus nombreuses et l’interface plus conviviale de l’iphone… Malgré l’érosion de sa part de marché, le constructeur – RIM – s’obstine à développer son système d’exploitation propriétaire, le BlackBerry OS. Il attend 2015 et des milliards de pertes avant de basculer sous Android… Trop tard. Le dernier modèle sort en 2018, et en janvier 2022, tous les Blackberry cessent de fonctionner. Entre nostalgie chic et ringardise, la frontière était trop ténue.
La leçon de cette histoire, c’est que vendre un produit qui donne 100% de satisfaction, au moment où débarque un « game changer » (un acteur qui change la donne) est un piège. C’est au moment où des études marketing dithyrambiques vous sécurisent – les utilisateurs sont ultra-fidèles, ils ne veulent surtout pas qu’on change quoi que ce soit -, que vous courez au contraire le plus grand danger. Car votre produit, s’il n’évolue pas, se démode et même les inconditionnels finiront par partir, la mort dans l’âme, rejoindre les adeptes du nouveau joujou plus sophistiqué qui, insensiblement, les a fait passer pour des ringards.
KERDELLANT.