L’ouverture exceptionnelle des archives du pontificat de Pie XII (1939-1958), en mars 2020, n’a pas mis fin aux controverses autour des silences du pape face aux atrocités nazies et la presse en avait beaucoup parlé, mais en analysant scrupuleusement pendant trois ans ces documents, l’historienne Nina Valbousquet a pu dresser dans son livre récemment sorti « Les âmes tièdes » un bilan sinistre de l’action du Saint-Siège, car durant cette période cruciale, l’Eglise catholique baignait à de rares exceptions près dans une culture antisémite qui tenait le peuple du livre pour déicide, et jugeait que les Juifs étaient perfides et ingrats.

Si le Vatican ne resta pas les bras ballants face au drame qui se jouait, il se montra pour le moins sélectif dans l’aide qu’il apportait aux réprouvés. Il aida prioritairement les convertis que traquaient les nazis et leurs séides, et de temps à autre se montra sensible au sort des proscrits. Lors des rafles qui visèrent la communauté juive de Rome, en octobre 1943, les églises et les couvents s’ouvrirent aux hommes et aux femmes que la machine génocidaire traquait.

En d’autres termes, ce sont d’abord les intérêts de l’Eglise et des considérations humanitaires qui guidèrent parfois la politique du pontife, sans qu’il ne se départît pour autant d’une grande prudence, afin d’éviter le risque de l’instrumentalisation politique et de ne pas déclencher de représailles. Grâce à son réseau diplomatique et aux clergés nationaux, le Vatican était pourtant bien informé des massacres qui se perpétraient à l’Est. C’est dire que la réponse qu’il apporta ne fut pas à la hauteur de l’histoire.

L’originalité de ce livre réside dans le fait qu’il restitue les motivations, les réflexions et les dilemmes des personnes impliquées dans cette histoire, leurs voix mais aussi leurs silences.

Dépassant une approche classique focalisée sur le pape et sur la diplomatie, cet ouvrage éclaire les enjeux politiques, humanitaires, religieux et culturels des choix du Saint-Siège.

Il s’inscrit dans la longue durée des relations entre l’Église et les Juifs, afin d’évaluer le poids d’une culture pluriséculaire d’hostilité dans les réponses du Vatican face aux persécutions antisémites, avant et pendant la guerre, mais aussi après la Shoah.

Ainsi, le Vatican ne protesta pas quand se produisit le pogrom de Kielce, en Pologne, en 1946. Autrement dit, les préjugés anti-judaïques se maintinrent des décennies durant.

Au demeurant, Rome n’observa pas la même retenue à l’égard de l’Allemagne hitlérienne. Elle appela à la clémence, demandant même l’indulgence pour certains bourreaux nazis.

Au total, les silences de Pie XII entachèrent à jamais l’image du Vatican. Car Nina Valbousquet montre bien que par-delà le pape, toute une administration réagissait plus ou moins à l’unisson, à commencer par Angelo Dell’Acqua, chargé du dossier de l’aide aux Juifs, qu’un antisémitisme forcené inspirait.

Tous les prélats ne réagirent cependant pas comme leur chef spirituel qui, enfermé dans de fausses logiques, fut infidèle aux enseignements moraux de son Eglise comme le confirme ce livre salutaire. Enfin, en faisant entendre la voix des acteurs de terrain et des persécutés, en particulier des familles mixtes judéo-chrétiennes, ce livre interroge plus largement la résilience du religieux face au génocide et la capacité de nos sociétés civiles à répondre aux violences de masse.

Les plus d’Israël Valley : le titre du livre « Les âmes tièdes » vient d’un éditorial critique qu’Albert Camus consacra à la papauté dans le journal Combat (26 décembre 1944) : « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants. »

Source : Libération & Israël Valley

 

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