Les étudiants juifs de Columbia écrivent une lettre ouverte aux manifestants anti-israéliens.
Des étudiants juifs de l’université de Columbia ont écrit une lettre ouverte aux manifestants anti-israéliens qui les « diabolisent », affirmant qu’il n’est « jamais trop tard » pour réparer les « fractures politiques et religieuses ».
La lettre, signée par plus de 450 étudiants, affirme qu’ils n’ont jamais voulu être des militants politiques, mais qu’ils ont été contraints de jouer ce rôle par ceux « qui nous diabolisent sous le couvert de l’antisionisme ».
L’intégralité de la lettre a été traduite en français par Davy Sokolski, un étudiant francophone de Columbia, et transmise à i24NEWS:
« Au cours des six derniers mois, beaucoup ont parlé en notre nom. Certains sont d’anciens étudiants bien intentionnés ou des personnes non affiliées à l’université qui se présentent devant les portes du campus pour agiter des drapeau israéliens. Certains sont des politiciens qui cherchent à utiliser nos expériences pour attiser la guerre culturelle en cours aux États-Unis. D’autres, notamment, sont nos pairs, des étudiants Juifs, qui clament détenir les “vraies valeurs juives” et tentent de délégitimer notre vécu de l’antisémitisme. Nous vous écrivons, en tant qu’étudiants Juifs de Columbia, en tant qu’étudiants profondément liés à notre communauté et
engagés dans la transmission de notre culture et de notre histoire. Nous aimerions enfin pouvoir nous exprimer en notre nom. Beaucoup d’entre nous sont assis à côté de vous en classe. Nous sommes vos partenaires de laboratoire, vos camarades, vos pairs et vos amis. Nous sommes engagés dans les mêmes associations étudiantes, dans les mêmes clubs, nous faisons partie des mêmes organisations de bénévolat et supportons les mêmes équipes sportives que vous. La plupart d’entre nous n’avons pas choisi d’être des militants politiques. Nous n’utilisons pas des tambours pour rythmer des slogans accrocheurs. Nous sommes des étudiants ordinaires, qui essaient simplement de réussir leurs examens, tout comme vous. Ceux qui nous diabolisent sous couvert de l’antisionisme nous ont forcé à militer et à défendre publiquement notre identité juive. Nous croyons fièrement que le droit du peuple Juif à l’autodétermination sur sa terre ancestrale est un principe fondamental de notre identité juive. Contrairement à ce que beaucoup ont essayé de vous faire croire : non, le judaïsme ne peut pas être séparé d’Israël. Le sionisme est donc la simple manifestation de cette croyance. Nos textes religieux sont remplis de références à Israël, Sion et Jérusalem. La terre d’Israël est pleine de vestiges archéologiques témoignant d’une présence juive qui s’étend sur plusieurs siècles. Et malgré de nombreuses générations d’exil et diaspora à travers le monde, le peuple Juif n’a jamais cessé de rêver du retour à sa patrie – la Judée, le lieu même d’où nous tirons notre nom, “Juifs”. En effet, il y a quelques jours, nous avons tous clôturé le seder (repas rituel) de Pessah (Pâques juive) en proclamant : “L’an prochain à Jérusalem !”
Beaucoup d’entre nous ne sont pas pratiquants mais le sionisme reste un pilier de notre identité juive. Nous avons été chassés de Russie, de Libye, d’Éthiopie, du Yémen, d’Afghanistan, de Pologne, d’Égypte, d’Algérie, d’Allemagne, d’Iran,… Nous sommes attachés à Israël non seulement car c’est notre patrie ancestrale mais surtout car c’est le seul endroit au monde où les Juifs peuvent prendre leur destin en main, en toute sécurité. Les expériences que nous avons vécues à Columbia au cours des six derniers mois nous le rappellent urgemment. Nous avons été éduqués par les histoires de nos grands-parents dans les camps de concentration, dans les chambres à gaz et par leur vécu du nettoyage ethnique entrepris par les Nazis. L’essence même de l’antisémitisme hitlérien venait du fait que nous n’étions “pas assez Européens”, qu’en tant que Juifs, nous étions une menace pour la race aryenne, considérée comme “supérieure”. Cette idéologie a réduit en cendres six millions des nôtres. L’ironie diabolique de l’antisémitisme d’aujourd’hui est un renversement tordu de notre héritage de la Shoah : les manifestants sur le campus nous ont déshumanisés, nous caractérisant comme le “colonisateur blanc”. On nous a dit que nous étions “les oppresseurs de tous les peuples de couleurs” et que “la Shoah n’avait rien de particulier”. Les étudiants de Columbia ont scandé, encore et encore, “nous ne voulons pas de sionistes ici”, “mort à l’État sioniste” et “retournez en Pologne”, là même où beaucoup de membres de nos familles reposent dans des fosses communes. Cette déformation perverse met en lumière la nature de l’antisémitisme : Dans chaque génération, les Juifs sont blâmés et désignés comme boucs émissaires, responsables des maux de la société de l’époque. En Iran et dans le monde arabe, nous avons fait l’objet d’un nettoyage ethnique en raison de nos liens présumés avec l' »entité sioniste ». En Russie, nous avons subi des violences et avons finalement été massacrés parce que nous étions des capitalistes. En Europe, nous avons été victimes d’un génocide parce que nous étions communistes et jugés pas assez européens. Et aujourd’hui, nous sommes accusés d’être trop européens, décrits comme les pires maux de la société – colonisateurs et oppresseurs.
Nous sommes pris pour cible parce que nous avons la conviction qu’Israël, notre patrie ancestrale et religieuse, a le droit d’exister. Nous sommes la cible de ceux qui utilisent abusivement le mot sioniste comme une insulte aseptisée pour juif, synonyme de raciste, d’oppresseur ou de génocidaire. Nous ne savons que trop bien que l’antisémitisme est changeant. Nous sommes fiers d’Israël. Seule démocratie du Moyen-Orient, Israël compte des millions de juifs mizrachis (originaires du Moyen-Orient), de juifs ashkénazes (originaires d’Europe centrale et de l’Est) et de juifs éthiopiens, ainsi que des millions d’Arabes israéliens, plus d’un million de musulmans et des centaines de milliers de chrétiens et de druzes. Israël est tout simplement un miracle pour le peuple juif et, plus largement, pour le Moyen-Orient. Notre amour pour Israël ne nous impose pas un conformisme politique aveugle. Bien au contraire. Pour beaucoup d’entre nous, c’est notre amour profond et nous engagement pour Israël qui nous poussent à nous opposer lorsque le gouvernement israélien agit d’une manière que nous jugeons problématique. Le désaccord politique israélien est une activité intrinsèquement sioniste ; il suffit de regarder les manifestations contre les réformes judiciaires de Netanyahou – de New York à Tel-Aviv – pour comprendre ce que signifie le fait de se battre pour l’État d’Israël que nous imaginons. Il suffit de discuter avec chacun d’entre nous autour d’un café pour se rendre compte que nos visions d’Israël diffèrent considérablement les unes des autres. Pourtant, nous venons tous d’un lieu d’amour et d’une aspiration à un avenir meilleur pour les Israéliens comme pour les Palestiniens.
Si les six derniers mois que nous avons passés sur le campus sur le campus nous ont appris quelque chose, c’est qu’une grande partie de la communauté de Columbia ne comprend pas la signification du sionisme et, par conséquent, ne comprend pas l’essence du peuple juif. Pourtant, bien que nous ayons dénoncé l’antisémitisme dont nous sommes victimes depuis des mois, nos préoccupations ont été balayées d’un revers de main et jugés invalides. Nous sommes donc là pour vous le rappeler : Nous avons tiré la sonnette d’alarme le 12 octobre lorsque nombre de nos camarades manifestaient contre Israël alors que les cadavres de nos amis et de nos familles étaient encore chauds. Nous avons été apeurés lorsque certains ont crié « résistez par tous les moyens nécessaires », nous disant que nous étions « tous consanguins » et que nous « n’avions pas de culture ». Nous frissonnions lorsqu’une « activiste » a brandi une pancarte annonçant aux étudiants juifs qu’ils étaient les prochaines cibles du Hamas, et nous ne voulions pas y croire lorsque des utilisateurs de Sidechat (réseau social non-officiel de la communauté étudiante) nous ont dit que nous mettions. Finalement, nous n’avons pas été surpris lorsqu’un dirigeant du campement organisé par CUAD (Columbia University Apartheid Divest) a déclaré publiquement et fièrement que « les sionistes ne méritent pas de vivre » et que nous devions nous estimer chanceux qu’il « ne sorte pas pour assassiner des sionistes ». Nous nous sommes sentis impuissants en voyant des étudiants et des professeurs empêcher physiquement des étudiants juifs d’entrer dans certaines parties du campus que nous partageons, ou même lorsqu’ils détournaient le visage en silence.
Ce silence nous est familier. Nous n’oublierons jamais. Une chose est sûre. Nous ne cesserons jamais de nous défendre. Nous sommes fiers d’être juifs, et nous sommes fiers d’être sionistes. Nous sommes venus à Columbia parce que nous voulions étendre notre compréhension du monde et prendre part à des conversations et des débats difficiles. Si le campus est aujourd’hui criblé de discours haineux et de binarismes simplistes, il n’est jamais trop tard pour commencer à réparer les fractures et à nouer des relations significatives, au-delà des clivages politiques et religieux. Notre tradition nous dit : « Aimez la paix et recherchez la paix ». Nous espérons que vous vous joindrez à nous dans la recherche sincère de la paix, de la vérité et de l’empathie. Ensemble, nous pouvons réparer notre campus.