Le déluge Eden Golan. (Copyrights Tribune Juive)

Je n’ai jamais compris l’enthousiasme des israéliens pour l’Eurovision. Cela fait bien longtemps que ce concours n’est plus une grande messe populaire. N’empêche que ce matin, en voyant les huées et les manifestations contre Eden Golan, j’ai immédiatement pensé aux mémoires de Sarah Bernhardt. Je ne compare pas les deux chanteuses par le talent, mais par la situation. Sarah Bernhardt revenait de Londres où elle avait joué Hernani et acheté quelques créatures exotiques. Elle se prit en pleine à son retour face la haine et l’aigreur de sa profession et des Parisiens. La devise de Sarah Bernhardt était “Quand-même”: elle marque son tempérament dans l’adversité et les épreuves. Gageons que cette devise accompagnera Eden Golan face aux amis de Greta Thumberg enroulés dans le drapeau palestinien à Malmo.

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“La rentrée de la comédie dans ses foyers devint un événement, mais un événement sournois. Notre départ de Paris avait été tapageur, gai, et public; notre retour fut clandestin, pour beaucoup : artistes pour les incompris, rageurs pour les ratés.

Je n’étais pas à la maison depuis une heure que notre administrateur Perrin me fut annoncé. Il commença doucement les reproches contre le peu de soin que je prenais de ma santé. Il me dit que je faisais trop de tapage autour de moi. ‘Mais, m’écriai-je, est-ce ma faute si je suis trop mince ! Si j’ai trop de cheveux! S’ils sont trop frisés ! Et si je ne pense pas comme les autres? Admettez que pendant un mois je prenne de l’arsenic à me faire gonfler comme un tonneau, que je me rase la tête comme un Arabe, et que je réponde “oui” à tout ce que vous dites : on me dira que c’est pour faire de la réclame – Mais, me répondit Perrin, mais ma chère enfant, il y a des gens ni gras, ni maigres, ni rasés, ni chevelus, et qui répondent oui et non’.

Je restai pétrifiée par la justesse de ce raisonnement, et je compris le “Parce que” de tous ces “Pourquoi” que je me posais depuis des années. Je n’étais pas de la moyenne ; J’avais du “trop” et du “trop peu”. Et je sentais qu’il n’y avait rien à faire à cela. Je l’avouai à Perrin en lui disant qu’il avait raison.

Il profita de cette sage disposition pour me sermonner et, enfin, pour me donner le conseil de ne point paraitre à la Cérémonie du retour, à la Comédie-Française. Il craignait une cabale contre moi. ‘Les esprits étaient montés, à tort ou à raison, un peu des deux’, disait-il avec cet air fin et courtois qu’il gardait presque toujours.

Je l’écoutai sans l’interrompre, ce qui le gêna un peu, car Perrin était un ergoteur, pas un orateur.

Quand il eut fini : ‘Vous m’avez dit trop de choses qui m’excitent, cher Monsieur Perrin, j’adore la bataille. Je paraitrai à la cérémonie. Tenez, j’étais prévenue déjà : voilà trois lettres anonymes. Lisez celle-là. Elle est la plus jolie’. Il déplia le papier parfumé d’ambre et lut :

‘Mon pauvre squelette, tu feras bien de ne pas faire voir ton horrible nez juif à la Cérémonie après-demain. Je crains pour lui qu’il ne serve de cible à toutes les pommes qu’on fait cuire en ce moment dans ta bonne ville de Paris à ton intention. Fais dire dans les échos que tu as craché le sang, et reste dans ton lit à réfléchir sur les conséquences de la réclame à outrance’.

‘Un abonné’.

Perrin repoussa la lettre avec dégoût. ‘En voici deux autres’, lui dis-je, ‘mais elles sont trop grossières, je vous en fais grâce. J’irai à la Cérémonie’. – ‘Bien ! dit Perrin. On répète demain. Viendrez-vous? – je viendrai’.

Le lendemain à la répétition, les artistes, hommes et femmes, ne tenaient guère à venir saluer avec moi. Je dois dire qu’ils y mirent tous, quand même, de la bonne grâce.

Mais je déclarai que je voulais entrer seule, contre la règle ordinaire, car je devais seule supporter la mauvaise humeur et la cabale.

La salle était archi-comble.

Au lever du rideau, la Cérémonie commençait au milieu des bravos. Le public était heureux de revoir ses artistes aimés. Ils s’avançaient deux par deux, un à droite, l’autre à gauche, tenant la palme ou la couronne destinée à orner le buste de Molière.

Mon tour venu, je m’avançai seule. Je me sentais pâle et pleine de volonté conquérante. Je m’avançai lentement vers la rampe et, au lieu de saluer comme mes camarades, je restai droite, regardant de mes deux yeux dans tous les yeux convergeant vers moi. On m’avait annoncé à la bataille : je ne voulais pas la provoquer, mais je ne voulais pas la fuir.

J’attendis une seconde, je sentais la salle frémissante, énervée; puis tout à coup, soulevée par une impression de tendresse généreuse, elle éclata dans une fanfare de bravos et de cris. Et le public, si aimé et si aimant, se grisait de sa joie. Ce fut certainement un des plus beaux triomphe de ma carrière”.

Sarah Bernhardt – “Ma double vie”. 

© Laurine Martinez

Laurine Martinez

Laurine Martinez est chanteuse lyrique, diplômée de sciences pipo Paris, russophone.

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