Après maintenant plus d’une semaine d’occupation de la pelouse ouest de l’université Columbia par des étudiants anti-Israël, nombre d’étudiants juifs ont quitté le campus pour des raisons de sécurité, au moment-même où discours antisémites et menaces se répandent, sans certitudes quant à la capacité des autorités universitaires à les protéger.

« La présidente de Columbia, Minouche Shafik, devrait dire ‘Stop, ça suffit’. C’est complètement incompréhensible et absurde qu’on leur permette de continuer », se confie au Times of Israel, par téléphone depuis son domicile à Los Angeles, Michael Lippman, un étudiant de licence. Il pense retourner sur le campus en fin de semaine.

Le « on » auquel Lippman fait référence est le campement non autorisé érigé par des groupes pro-palestiniens et anti-Israël sur le campus de Columbia. Il a été érigé le 17 avril dernier, le jour où Shafik s’est rendue au Capitole pour évoquer devant le Congrès sa gestion de l’antisémitisme rampant, depuis le 7 octobre, date à laquelle des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont massacré près de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et fait 253 otages, déclencheur du conflit actuel.

Les manifestations à Columbia se poursuivent et les étudiants juifs disent au Times of Israel leur peur, mêlée de colère et de déception. Ils sont nombreux à craindre pour leur sécurité, et tous se disent profondément déçus par ce qu’ils qualifient d’inertie de l’université à assurer leur sécurité et, plus globalement, à prendre des mesures pour lutter contre l’antisémitisme.

« Il faudra que quelque chose de vraiment grave se produise pour qu’ils agissent. [Les manifestants] ont obtenu ce qu’ils voulaient. Le campus est maintenant Judenrein. C’est un territoire occupé. C’est tellement drôle qu’ils appellent cela une zone de désoccupation, ou une zone libre, alors que les Juifs y sont persona non grata », explique Noah Miller lors d’une interview Zoom depuis sa maison, à Houston.

Des personnes se rassemblent sur le campus de l’Université Columbia, occupé par des manifestants pro-palestiniens et anti-Israël à New York, le 22 avril 2024. (Charly Triballeau/AFP)

Miller, qui est en première année d’architecture, pense ne pas retourner sur le campus avant le prochain semestre car il ne fait pas confiance à l’administration pour protéger les étudiants juifs.

Les étudiants anti-Israël organisent de nombreuses manifestations, souvent en violation des règlements de l’université, mais celle-ci est de loin la plus importante et la plus suivie. Ces derniers jours, des vidéos tournées à l’intérieur du campement ont permis de voir et d’entendre des étudiants scander « Les sionistes ne sont pas les bienvenus ici », « Retournez en Pologne » ou « 10 000 fois le 7 octobre ».

Des manifestations anti-israéliennes et antisémites ont lieu dans les villes et campus des États-Unis depuis le 7 octobre, soit avant la campagne militaire israélienne dans la bande de Gaza qui a débuté le 27 octobre mais, plus la guerre dure, plus les manifestations vont crescendo.

Les manifestants qui occupent la pelouse ouest de Columbia exigent que l’école se défasse de ses liens financiers et académiques avec Israël, et notamment du programme de double diplôme avec l’Université de Tel Aviv. Une centaine de personnes ont été arrêtées jeudi dernier pour intrusion, les étudiants suspendus ayant bravé les interdits officiels et pénétré sur le campus.

Les autorités universitaires se sont entretenues avec les organisateurs du campement, auxquels elles ont laissé jusqu’à mardi, minuit, pour conclure un accord sur la levée du campement.

 (Crédit : Charly Triballeau/AFP)

Selon l’université, les manifestants étudiants s’étaient engagés à démanteler le camp et retirer l’essentiel des tentes. Pour l’heure, il semble qu’ils n’aient pas tenu leur promesse, commente une étudiante nommée Sabrina, qui a passé du temps devant le campement mercredi. Elle ne souhaite pas donner son nom de famille pour des raisons de sécurité.

Selon Sabrina, il y a apparemment toujours autant de tentes, et les manifestants de ce campement attisent clairement la haine.

« Il y a des étudiants avec des gilets jaunes, en plus de leur keffieh : s’ils voient des gens du campement parler avec des personnes extérieures, ils les éloignent et leur disent : ‘Tu ne dois pas leur adresser la parole’. Ils disent par exemple : ‘Tuez tous les Juifs’ ou ‘Nous voulons un État arabe’ », précise Sabrina.

« Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le campus est devenu un foyer d’antisémitisme radical », ajoute-t-elle. « Un peu comme les Jeunesses hitlériennes. Ils disent par exemple : ‘Un sioniste est entré dans le camp’. Ils nous considèrent comme des entités susceptibles d’être éradiquées. J’ai beaucoup plus peur maintenant que juste après le 7 octobre. »

Elle a beau avoir peur sur le campus, Sabrina refuse de se résigner à cacher la plaque d’identité « Ramenez-les à la maison » qu’elle porte autour de son cou, en hommage aux otages, ou son collier orné d’un pendentif en forme d’étoile de David.

De son côté, Melissa Saidak, qui sortira bientôt diplômée de la Columbia School of Social Work, estime que cette dernière semaine a de loin été la plus éprouvante de tout le semestre.

A cause des manifestations, elle ne peut plus sortir à sa station de métro habituelle, occupée par des manifestants anti-israéliens. C’est problématique, mais c’est gérable, dit-elle. Le vrai problème, c’est la violence verbale.

« On m’a hurlé dessus parce que je portais une plaque en hommage aux otages : j’ai aussi été traitée de sioniste et d’assassin », confie Saidak.

« Les gens ne parlent pas assez de l’anti-sionisme qui fait rage au sein du campement et qui contribue à normaliser les préjugés envers les Israéliens et les Juifs dans leur ensemble. Il faudrait forcer les étudiants juifs à dénoncer le sionisme ? Mais personne ne l’exige des autres étudiants. Personne ne demande aux étudiants chinois de dénoncer leur armée avant de commencer à avoir une conversation », dit-elle.

Le sujet n’a pas manqué d’appeler l’attention de la communauté internationale. Des équipes de journalistes britanniques, canadiennes, françaises ou encore israéliennes se disputent l’espace sur le trottoir, face à l’entrée principale de l’Université. Diane Perkins, 54 ans, en visite à New York depuis Tel Aviv, les rejoint.

« Un peu à l’instar des Américains venus en Israël voir de leurs propres yeux ce qui s’est passé, je suis venue ici pour pouvoir raconter ce qui se passe à mes amis et mes proches », explique Perkins, avec à la main une petite photo d’Emily Damari, 27 ans, kidnappée par les terroristes du Hamas au kibboutz Kfar Aza le 7 octobre.

De son côté, le Premier ministre Benjamin Netanyahu appelle à une condamnation sans équivoque de ces manifestations.

« Des foules antisémites ont pris le contrôle des principales
universités », a déclaré Netanyahu dans une déclaration vidéo.  « Ils veulent l’anéantissement d’Israël, attaquent des étudiants juifs, des professeurs juifs. Cela rappelle ce qui s’est passé dans les universités allemandes dans les années 1930. C’est inadmissible. Il faut y mettre un terme. Cela doit être condamné sans équivoque. Mais ce n’est pas ce à quoi on assiste. »

« Ils disent non seulement ‘Mort à Israël’ et ‘Mort aux Juifs’, mais aussi ‘Mort à l’Amérique’ », a-t-il dénoncé.

Rien de tout cela ne dissuadera Nick Baum, étudiant en première année, de revenir sur le campus vendredi.

« L’histoire de Pessah tourne précisément autour du thème de l’errance, à l’étranger, jusqu’au moment où nous sommes arrivés chez nous, sur la terre des Juifs », explique Baum. « En ce moment, Columbia nous donne l’impression que nous ne sommes pas les bienvenus. Quand ils disent : ‘ Nous ne voulons pas de sionistes ici’, cela signifie que nous, les sionistes juifs, devons repartir. Être présent est une forme de résistance. »

Times of Israel

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